Cotenteam

Le très enthousiaste équipage 100% féminin cherbourgeois

Quand six amies, Cherbourgeoises d’origine ou d’adoption, passionnées de voile, se réunissent autour d’un projet commun en 2018, ça donne Cotenteam, l’équipage féminin naviguant en J80 dans le nord Cotentin. « On est des femmes, on fait de la voile, on n’est pas célèbres et on n’est pas pro », c’est avec ces mots rieurs qu’elles me reçoivent à l’étage de l’École de Voile de Cherbourg, une fin d’après-midi de décembre. Cotenteam, ce sont des femmes marins, des femmes qui travaillent, des femmes mamans, des femmes qui rigolent et bavardent, des femmes qui aiment les défis fous.

Les Cotenteam, prêtes pour l’entraînement (de gauche à droite : Muriel Anthouard, Dorothée Bon, Julie Agogué, Camille Le Naguard, Morgane Courtay, Marie Varennes)

Portraits de l’équipage

Julie Agogué, originaire de la région parisienne, est arrivée à Cherbourg pour ses études en biologie marine. La région lui a plue, là voilà devenue Cherbourgeoise. Aujourd’hui, elle a 32 ans, deux enfants et travaille en tant que technicienne dans un laboratoire de biologie marine. Elle a découvert la voile à l’école primaire, et, depuis, n’a jamais arrêté. Elle s’est même tournée vers la régate. Poste à bord : tacticienne ou embraque.

Dorothée Bon est née et habite à Cherbourg. Elle a 44 ans et trois enfants. Paysagiste de métier, elle travaille en ce moment dans l’insertion professionnelle. Dans sa famille, ils sont toujours sortis en mer à bord d’un bateau à moteur. Dorothée aime les sports sur l’eau, plaisirs qu’elle partage avec Muriel. Poste à bord : embraque et piano.

Camille Le Naguard, 30 ans, est née et habite à Cherbourg également. Elle travaille comme éducatrice pour adulte en situation de handicap. Son père étant moniteur de voile, Camille a été bercée dès l’enfance par les bateaux, s’investissant sur de nombreuses compétitions en dériveur quand elle était plus jeune.  » Là, avec les filles, ça continue ! » Poste à bord : barreuse ou tacticienne.

Muriel Anthouard, 40 ans, originaire de la région parisienne, habite près de Cherbourg depuis longtemps maintenant. Formée à la voile à Granville, dans le sud Manche, elle a passé son Brevet d’État. N’envisageant pas ce métier à long terme, elle s’est réorientée pour devenir infirmière libérale. Avec Cotenteam « la passion est revenue », énonce-t-elle, « quand on navigue, c’est ma bouffée d’air. » Poste à bord : barreuse ou tacticienne.

Morgane Courtay a 30 ans. Elle travaille dans le secteur de l’industrie nucléaire, l’un des pôles d’activités les plus importants de la région. Passionnés, ses parents ont toujours eu un voilier à Saint-Vaast-la-Hougue. Ils ont embarqué très tôt leurs enfants en croisière, et leur ont fait suivre des stages de voile tous les étés. Pendant une dizaine d’années, elle a « levé le pied » jusqu’à s’y remettre avec Cotenteam. Poste à bord : numéro un ou embraque.

Marie Varennes, du même âge que Muriel, est maman de deux enfants. Éducatrice spécialisée et originaire du sud Manche, son travail l’a amenée à s’installer à Cherbourg il y a une quinzaine d’années : « je suis tombée amoureuse du nord Cotentin, c’est hyper sauvage et beau » et y a découvert le monde de la mer. Et celui de la voile grâce principalement à son conjoint, skipper cherbourgeois. Poste à bord : numéro un ou embraque.

Cotenteam, une histoire de femmes et de conjoints

Spontanément, Julie prend la parole et explique la naissance de Cotenteam : « l’histoire, c’est qu’un jour j’ai eu 30 ans, j’étais maman d’une petite fille de trois mois et mon conjoint [qui travaille dans le nautisme à Cherbourg (N.D.R.)] a eu peur que je m’encroûte, et donc il a eu la merveilleuse idée de m’offrir un package comprenant l’inscription à la Women’s Cup1 de 2018 et un équipage préformé [à savoir par les compagnes des copains de son conjoint (N.D.R.)], et quatre séances d’entraînement à l’école de voile ». L’anniversaire de Julie étant en mai, il fallait être prête pour le mois de mars de l’année suivante. Les filles ne se connaissaient pas toutes, mais les voilà parties pour une aventure collective, chouchoutées par des partenaires convertis en préparateurs techniques pour la Women’s Cup, une régate féminine qui a lieu tous les ans en mars à Pornichet. Pendant presqu’un an, elles se sont entraînées et préparées pour, au final, s’être assez bien défendues !

Une forte amitié s’était liée entre elles, il leur fallait continuer ! Continuer de se retrouver au bar pour discuter de tout et de bateau, et continuer les entraînements : « on se voit avant, comme ça sur l’eau, on est concentrée, c’est la règle d’or ! » explique Dorothée.

L’équipage féminin Cotenteam s’est alors inscrit aux régates organisées par le Yacht Club de Cherbourg. En parallèle, elles ont été très fières d’annoncer qu’elles avaient remporté la WLS Trophy 2020, le circuit de compétition 100 % féminine organisé par la Fédération française de voile. En 2021, elles sont arrivées quatrièmes sur 45 équipages inscrits.

Le bateau : Jopium, le J80

Camille et Morgane avaient l’habitude de naviguer en J802 avec leurs anciens équipages. Puisqu’il y en avait un à vendre à Cherbourg, les Cotenteam ont rassemblé l’argent nécessaire et acheté ce bateau, déjà assez bien équipé, appelé Jopium.

Elles font l’entretien ensemble quand leurs agendas respectifs le permettent. Adhérentes au Yacht Club de Cherbourg, elles peuvent profiter de l’aménagement du club et du matériel mis à disposition. Les filles remarquent que beaucoup de personnes viennent leur donner des coups de main. L’une d’entre elles souligne : « c’est aussi pratique d’être des filles parce qu’il y a toujours une personne qui vient nous aider, sans qu’on demande ».

Les Demoizelles de Cherbourg

Et comme le dit l’adage, « on n’arrête pas une équipe qui gagne », ces dames ont même leur régate ! Comme les filles bénéficient d’un entourage et d’un réseau local sur lesquels s’appuyer ainsi que d’un plan d’eau sécurisé – la rade de Cherbourg -, elles se sont lancées, en 2018, dans la création de cette régate, qui s’est tenue le weekend du 13 et 14 octobre 2018. Cinq bateaux ont concourus, principalement des locaux et des Normands. Depuis, plusieurs éditions se sont succédées et le nombre d’équipages a plus que doublé. Fort de l’engouement 100 % féminin, la régate des Demoizelles fait désormais partie de la WLS Trophy.

En parallèle, Muriel, infirmière de métier, a su tisser un lien entre la régate féminine et la campagne nationale de sensibilisation au dépistage du cancer du sein, qui se tient tous les mois d’octobre.

A bord, comment ça se passe ?

Sur Jopium, elles ne peuvent être que quatre à cinq personnes maximum. Complémentaires, les membres de l’équipage de Cotenteam ont chacune deux postes pour pouvoir se relayer, en fonction des disponibilités et des envies des unes et des autres. Même si, au début, elles préféraient tourner pour se rendre compte des difficultés que chacune rencontrait, elles conservent généralement le même poste pour pouvoir se perfectionner, avoir des bons automatismes et être bien coordonnées entre elles.

Marie et Morgane partagent le poste de numéro un ou embraque3 : « c’est moi qui suis à l’avant, qui me prend tous les paquets de vagues et qui protège tout mon équipage », plaisante Marie. « Parfois, je m’amuse à ne pas dire « vague » quand il y en a une grosse qui arrive, comme ça je partage un peu ». « Être numéro un, c’est aussi gérer le spi, la voile toute gonflée et colorée devant », précise-t-elle, « et regarder le plan d’eau pour contrôler les bateaux alentours, les casiers, les risées, les cailloux ».

Ensuite, il y a le poste de piano embraque assuré par Dorothée, qui s’occupe principalement des voiles, et qui gère le spi avec la numéro un. Il lui faut aller récupérer dans le cockpit, assister, sortir le bout-dehors4 si besoin et gérer tous les bouts qui arrivent dans le bateau.

Le poste à la grand-voile dit de tacticienne est partagé par Julie, Muriel et Camille. Il faut s’occuper du positionnement du bateau par rapport aux autres et aux bouées et donc cela demande au préalable de réfléchir au cap et à la trajectoire, d’observer le vent et le courant, paramètres très importants dans la Manche. Avant la régate, elles font un point tactique toutes ensemble.

Julie, Muriel et Camille sont les trois potentielles barreuses. Celle qui ne barre pas sera à la grand-voile, et aura « le nez dans les voiles pour regarder comment marche le bateau ».

Régater ensemble, trouver un équilibre

Pourtant, le poste de numéro un demande beaucoup d’efforts d’un seul coup, « cela aiderait de faire du sport, surtout les bras ! » Morgane reconnaît qu’elles sont toujours en gainage pour se maintenir à la gîte, et qu’il leur faut faire attention à leur position car un mal de dos peut vite arriver.

Julie remarque : « c’est ça aussi la voile loisir, on fait des régates et des compétitions mais, à côté, on n’est pas pro, on a un métier et nos vies à côté, et c’est difficile de tout allier ! » Et Camille résume tout simplement : « il faut trouver un juste milieu».

Une certaine renommée !

Marie reconnaît que « c’est un peu le début d’une grande aventure ici, un équipage féminin, c’est un nouveau. » A Cherbourg, en plus de Cotenteam, trois autres équipages féminins de J80 sont présents depuis peu, le groupe de l’école Intechmer5 (Sail’Intechmer), celui des « filles de la Marine » et le tout nouvel équipage J’Zelles Sailing team.

Si le public, les médias et les locaux s’intéressent à elles, c’est aussi parce qu’elles pensent avoir développé une dynamique dans le port et sur le territoire cherbourgeois. « On nous appelle « les filles » ou « Jopium les filles.» Tout cela pour « prouver que nous aussi les filles, on peut être performante, naviguer dans des grosses conditions et organiser des régates qui font parties du championnat féminin maintenant. En deux ans et demi, ça a pris vraiment fort. »

Sans quelques difficultés !

Au-delà de l’enthousiasme et de la fougue qu’elles manifestent, chacune à tour de rôle me confie ses réticences, ses propres difficultés liées à la régate, au bateau ou à l’équipage.

Pour Marie, par exemple, l’enjeu principal au départ était de s’intégrer dans un nouveau groupe et de connaître chaque personne afin de créer de la cohésion. Le deuxième enjeu était de tenir le rythme de la régate. Aujourd’hui, c’est celui de la force physique. Sinon, « c’est juste génial » s’exclame-t-elle.

Pour Dorothée, ce qui l’incommode le plus, c’est de ne pas pouvoir communiquer sur le moment car en général en régate, si elles font une erreur, elles n’en parlent pas pour rester concentrer. D’où l’importance de débriefer ensemble à chaque fois pour ne pas rester dans l’erreur et passer à autre chose.

Elles évoquent aussi leur difficulté à reprendre confiance après des déceptions. Elles n’ont que très rarement l’occasion d’être suivies, ce qui les a amené à ajouter une ligne « entraînement » dans le budget de leur demande de sponsoring. Aussi, aujourd’hui, elles bénéficient d’un coaching par le Yacht club de Cherbourg.

L’équipage féminin Cotenteam, qui vient tout juste de fêter ses cinq ans d’existence, a su dépasser les obstacles du démarrage et s’ajuster ensemble. Elles ont réussi à être plus fluides et plus détendues sur l’eau, le tout à grand renfort de communication entre elles et de parties de rigolade. La preuve en est, leurs résultats sont plus que prometteurs. Très récemment, elles ont remporté la quatrième place dans leur catégorie au Tour des Port de la Manche de juillet 2022 en Winner 9. Pas de machisme, ni de sexisme en vue, elles semblent entourées de bienveillance et de soutien. Ces filles là aiment la mer, et la mer leur rend bien.

1. Créée en 2011, la Women’s Cup est une régate 100% féminine en voile légère qui se tient à Pornichet début mars : https://www.womencup.fr. Conjointement à quatre autres régates 100% féminines en France, la Women’s Cup fait partie du Women Leading and Saling Trophy organisé par la Fédération française de voile depuis 2019, en voile légère.

2. Le J80 est un voilier monocoque de sport de 8m, lancé en 1993. Il peut accueillir 5 personnes.

3. Embraque : réglage du spi et du génois et virements de bord. Elles sont deux à l’embraque, chacune d’un côté du bateau lors des virements : quand l’une choque, l’autre reprend.

4. Bout-dehors : un espar fixe ou rétractable pointant à l’avant d’un bateau dans l’axe du navire pour gréer des voiles d’avant.

5. Institut de formation et de recherche en sciences et techniques de la mer.

Texte et photos : Mathilde Pilon