Cécile Le Sausse

L’énergique skippeuse

Concarneau, ville de Cornouaille bretonne, insufflant les légendes celtes à ses marins low-tech. Ciel bleu de juillet. Je découvre son port, celui des chantiers, quai des Moros. C’est à Explore que je me rends, le fonds de dotation « pour encourager les initiatives positives pour l’homme et la planète » de Roland Jourdain et Sophie Vercelletto. Grand sourire et teint halé, Cécile Le Sausse, chargée de projets, m’invite dans la salle de pause, où défilent chercheurs bricoleurs et jeunes aventuriers, pour me parler de sa passion de la voile.

Pour Cécile, rien de tel qu’un saut à la plage après le travail, et vérifier que le bateau se porte bien.

La mer en toile de fond

Cécile a 26 ans. Originaire de Nantes, elle a posé ses valises à Concarneau en septembre 2019 pour effectuer un service civique dans la structure Explore1, après avoir passé plusieurs années à vadrouiller en France et aux quatre coins de la planète.

« La voile, c’était dans la famille », résume-t-elle. Son père est féru de voile et, depuis sa naissance, elle a toujours connu les bateaux. En famille, ils partaient naviguer les weekends en baie de Quiberon. « Belle-Ile était un peu ma deuxième maison », se souvient-t-elle, amusée. L’été, ils voguaient vers des horizons plus larges : tour de Bretagne, Angleterre, Espagne… Adolescente, ses parents se sont séparés ; le bateau demeurait alors l’endroit où elle pouvait avoir une relation privilégiée avec son père, dit-elle en souriant.

Puis, est venu le temps des études d’ingénieur en biotechnologies à Compiègne en Picardie, loin de la mer, suivi des voyages lointains pour découvrir le monde. Puis celui des premiers boulots. Elle a rejoint Rennes pour y travailler. Comme il lui fallait trouver une bonne raison pour « s’accrocher à la Bretagne » plutôt que de repartir à l’autre bout du monde, elle a changé de cap et a acheté un voilier en mars 2018, un Fantasia 27, peu de temps après avoir quitté un travail qui ne lui convenait pas. Elle a alors rejoint le bord de mer, et mené un projet de sensibilisation sur l’océan, Voile Actée2, à bord de son bateau.

Vers une nouvelle aventure de voile et de bricole

Bonne équipière, se dit-elle, Cécile a découvert qu’être skippeuse et propriétaire de son bateau est un rôle bien différent que celui qu’elle avait sur le bateau de son père.

« J’ai plus appris à bricoler qu’à naviguer », confie-t-elle. Et en tant que novice, la chose n’est pas toujours simple : « il faut aller vers les autres et décrypter le jargon : il y a trois mots différents pour parler d’un même type de peinture », ironise-t-elle. Bricoler sur son bateau est un sacré challenge qu’il lui plaît de tenir, d’autant qu’aujourd’hui, elle a peu d’argent et essaie donc de faire par elle-même. Elle affirme même, joviale, que le bricolage serait désormais la raison pour laquelle elle garderait le bateau, comme une excuse pour faire quelque chose, d’avoir son « chez soi », et de réussir à trouver des solutions, à l’instar du corps mort qu’elle a dû confectionner pour mettre son bateau au mouillage sur le Minaouët, une rivière toute proche de Concarneau.

Ce bateau représente également l’accès à l’aventure, celle qu’on peut vivre à deux pas de chez soi, celle dont elle a besoin dans son quotidien pour sortir de sa zone de confort. Pour elle, naviguer, c’est d’abord la relation à la mer. Et aussi le partage avec les autres. Amatrice de randonnée itinérante, elle partait souvent en solo. Le cocon du bateau apporte un peu de confort et lui permet d’amener avec elle des amis en pleine nature. Cécile apprécie vraiment ces moments où « il n’y a rien d’autre autour, on n’est concentré que sur la navigation ou la préparation des repas ».

L’école de la confiance

Être capitaine de son propre bateau, c’est aussi être en responsabilité du navire et de son équipage. Elle reconnait qu’il lui est encore difficile de savoir prendre une décision au bon moment, et qu’elle a encore trop de peur par rapport au plaisir que diriger un bateau pourrait lui procurer, « mais ça va venir », conclut-elle, positivement

D’un naturel assuré et optimiste, elle aura pourtant tendance, en mer, à se sous estimer ; elle sait qu’il lui faut apprendre à prendre sa place à bord. Elle a le sentiment que dans la voile les hommes se posent beaucoup moins de questions que les femmes sur le « comment faire », et que les femmes auraient beaucoup moins le droit à l’erreur. « C’est une analyse complètement personnelle », admet-elle, mais elle remarque que certaines personnes qui achètent un bateau sans rien y connaître se disent : « si je fais des erreurs, ce n’est pas grave, au pire si je casse quelque chose, je répare » alors que, elle, n’a pas du tout la même approche du risque.

Les joies de la navigation

Se retrouver en pleine nature, contempler les oiseaux de mer, deviner les baleines s’étendre dans la houle, ces moments simples alimentent son plaisir de naviguer. La lenteur de la route amplifie ce temps déconnecté en mer empli de sensation et d’observation. Pause du quotidien et de la réalité : « même s’il y a des choses qui nous stressent par ailleurs, […] ces choses-là sortent de la tête automatiquement, […] ça coupe complètement du quotidien, c’est une bulle d’oxygène ».

Par ailleurs, amatrice de sports de glisse, Cécile apprécie les sensations que la voile procure. Et puis, surtout, étant sujette au mal de mer, Cécile aime barrer et barrer lui fait du bien.

Cécile profite du cadre de vie agréable de Concarneau.

Concarneau, boulot, bateau

Embauchée en CDI un mois seulement avant notre rencontre, consécutivement à un service civique, Cécile semble se plaire à Explore – structure qui soutient « les explorateurs du vingt-et-unième siècle »-, et, ayant fait un pas de côté par rapport à son métier d’origine, elle y accompagne les projets voile exploration, et tisse des réseaux avec les entreprises.

Cécile découvre Concarneau, une ville tournée vers la mer. « Les gens qui sont ici [à Explore, N.D.L.R.] sont passionnés par leur boulot », dit-elle, « ce qui est quand même assez rare et incroyable ». « Tout le monde vit au quotidien avec la mer, et ça se ressent », se réjouit-elle ». Un cadre de vie qu’elle apprécie grandement et, qui, sans doute, participe à son épanouissement.

Le sexisme ordinaire, encore et toujours

Le thème du sexisme est un sujet sur lequel elle se questionne depuis longtemps et qui la fait réfléchir sur son positionnement et sa manière de réagir face au flot de remarques et de comportements sexistes.

La navigation est un sport et demande une certaine force physique, ne serait-ce que pour border les voiles par exemple. Cécile se dit assez musclée et elle précise que, si sa force seule n’est pas suffisante, elle se pause, réfléchit à faire autrement et trouve une solution alternative. Par contre, elle ne compte plus le nombre de fois où, quand elle amarre le bateau et qu’il faut le retenir, les gens lui prennent les bouts des mains. Elle réagit selon l’humeur.

Elle ajoute, par ailleurs, que si elle donne un ordre précis ou demande quelque chose à un équipier masculin, ce dernier saura toujours mieux qu’elle et sa requête ne sera pas forcément respectée. Ce sentiment de non reconnaissance de ses capacités nautiques est exacerbé par des remarques de non reconnaissance de son statut de capitaine telles que : « il est où le skippeur ? ». Cécile ironise : « si ce n’est pas moi, la seule personne visible à bord, c’est forcément quelqu’un d’autre qui est caché au fond du bateau ! »

Elle admet qu’avec certaines personnes de générations précédentes, « la génération majoritaire dans les ports », renchérie-t-elle, il est difficile de les faire changer. Avant, elle était dans la confrontation. Aujourd’hui, loin d’être résignée, elle se dit que ça ne sert plus à rien.

« Le sexisme se révèle aussi dans le couple », a-t-elle pu noter. Cécile prend l’exemple de l’arrivée au port : « c’est toujours le mec qui barre, c’est toujours la nana qui saute et qui se casse la g… sur le pont, et c’est toujours la nana qui se fait engueuler parce qu’elle a mal fait le truc, peu importe ce qui s’est passé, c’est toujours la faute de la nana et elle prend toujours cher ».

Enfin, Cécile interroge la notion de chef, la position de « capitaine ». En montagne, elle ne s’est jamais confrontée à cette hiérarchie. Alors que la responsabilité partagée pourrait être une manière nouvelle de diriger un bateau, elle questionne « ce pouvoir fort, encore plus ancrée masculin » : « pourquoi est-ce celui qui a le bateau qui décide de tout ? »

Naviguer « au féminin »

L’an dernier, Cécile a embarqué un groupe d’amies à son bord et « tout s’est très bien passé ». Elle a fortement apprécié le fait que les filles étaient très compréhensives et en soutien permanent, elles voyaient bien que Cécile était très vigilante, un peu stressée. Elles ne se sont pas placées en dominantes ni rentrées dans le jeu du « je vais m’imposer ». Elles ont donc partagé de très bons moments ensemble. Cécile affirme que, de toute façon, les hommes et les femmes qui viennent naviguer avec elle sont des personnes très ouvertes, ayant un regard critique sur le sexisme et la communication verticale. Des étoiles dans les yeux, elle rêve de proposer des temps de navigation uniquement féminine.

Enfourchant sa bicyclette, Cécile me donne ensuite rendez-vous à l’embouchure du Minaouët, face au phare du Pouldohan. Un vrai petit coin de paradis. J’envisage un instant la dureté des tempêtes ou encore le gris hivernal, mais la douceur de juillet et la beauté du lieu m’aident à comprendre l’attrait de Cécile pour le cadre de vie de ce bout de Bretagne. Fille de marin, elle se joue des obstacles et embûches rencontrés sur son bateau, ainsi que des insidieuses mentalités paternalistes, pour prendre sa place de navigatrice, à sa manière, à la manière d’une jeune femme de son époque, sensible aux alternatives écologiques et relationnelles.

1. https://www.we-explore.org

2. Vidéo explicative du projet Voile Actée : https://vimeo.com/405817309

Texte et photos : Mathilde Pilon