Julie Mira

La coach voile au féminin

Permettre aux femmes de prendre confiance en elles, tel est le crédo de Julie Mira, 30 ans, coach professionnelle en voile. Je la rencontre au port de la Trinité-sur-Mer, début septembre 2020. A bord d’un First 21, Julie coache Guillaume. Puisqu’elle sillonne et décloisonne les mers, elle coache aussi la gente masculine. Nous voilà partis à tirer des bords à la sortie du chenal de la rivière du Crac’h. Ambiance décontractée et rigolades, Julie sait mettre à l’aise, gardant un œil sur les voiles, les réglages de son élève et le terrain de jeu. Julie commence à se confier et me parle des différents profils de personnes qui font appel à ses services, des liens forts qui se créent avec elles, et de sa posture de coach. A quai, elle livre son parcours et sa relation à la mer.

De la voile, sinon rien !

Originaire de Dunkerque, c’est là que Julie a son « camp de base ». Issue du milieu ouvrier, elle a commencé la voile toute jeune à l’occasion des vacances familiales à Camaret-sur-mer en Bretagne, où elle a développé une fascination pour les bateaux. « Je ne viens pas d’un milieu de marin, je ne viens pas d’un milieu aisé », confie-t-elle. Ensuite, ses parents ont déménagé dans l’Oise ; elle a pu naviguer sur le lac à côté de chez elle : « J’adorais ça, je voulais absolument naviguer […] et j’ai fait le parcours classique : Optimist, Laser, habitable. »


Adolescente, elle était monitrice pendant les vacances à Dunkerque et à 18 ans, elle a passé son Brevet d’État pour enseigner la voile aux Sables d’Olonne. Elle a travaillé pendant deux ans en école de voile, mais elle avait « besoin de grands espaces et d’horizon. » C’est alors qu’elle s’est lancée dans la navigation au large en tant que second, c’est à dire matelot, pour une société de convoyage.

Puis, elle a passé le diplôme de Capitaine 200. « Je fonctionnais à l’ancienne, quand tu apprenais sur le tas et puis tu passais tes diplômes ensuite […] et ça m’a permis de faire mes armes dans le milieu, de prendre mon autonomie, et pour être un bon marin, il faut naviguer, il n’y a pas trop d’autres solutions ».

Un peu par hasard, elle a eu l’opportunité d’embarquer sur des voiliers classiques en Méditerranée pour faire les circuits de régates classiques. Au bout de trois ans, elle tournait déjà en rond. Alors, comme elle avait goûté aux navigations polaires lors de précédents convoyages, elle est donc repartie naviguer en Norvège, région froide et sauvage qu’elle affectionne tant, sur des voiliers touristiques, et, ce, pour une nouvelle boucle de trois ans.

Les Marinettes, la création d’un métier sur mesure

De plus en plus, l’envie de transmettre aux femmes tout ce qu’elle avait appris lors de ses nombreuses navigations, de restituer cette expérience pour apporter sa « petite pierre à l’édifice » lui était très présente. Elle avait à cœur de trouver une solution pour ne plus voir en permanence des schémas récurrents dans le milieu de la plaisance, en l’occurrence la situation tristement classique « du mec qui gueule sur sa femme et qui l’insulte de tous les noms » à l’arrivée au port.

Un an de réflexion à considérer et à monter son projet, en lien avec une société d’aide à la création d’entreprise à Dunkerque, son port d’attache, c’est en 2019 qu’est née Les Marinettes – Femmes des Mers1, sa société de coaching de voile pour les femmes qui bénéficie de la reconnaissance de la Fédération Française de Voile.

Elle souhaite redonner aux femmes du plaisir à naviguer là où il y en a pas ou plus. Même si les régates ou les croisières 100% féminines permettent « aux nanas de naviguer », « [la voile] est un milieu où les femmes sont tellement mises de côté que le fait de créer des évènements où justement elles sont complètement de leur côté, ça ne fait que stigmatiser encore plus la position que les femmes ont dans ce milieu », estime-t-elle. Julie souhaite voir de la mixité, « où tout le monde est heureux de naviguer ensemble, où c’est respectueux, où on fait des belles manœuvres, dans la joie, la bonne humeur, avec le sourire ».

Julie s’inscrit sur une niche, elle propose un service pour répondre à un besoin qui, selon elle, n’était pas exprimé mais où la demande était très présente. Son agenda est plus que remplie. Elle intervient comme tierce personne, sur le bateau de ses client.e.s « pour être au plus proche de leur réalité et de leur problématique parce que chaque bateau est différent » et qu’en individuel, on progresse bien plus vite !

Pour son entreprise, Julie a repris le terme « marinette » qui a été un argot de ponton désignant les premières femmes à embarquer pendant la seconde guerre mondiale. L’usage du mot dans la marine est resté, leur statut et leur reconnaissance évoluant au fil des années. Nombreuses sont celles qui se sont battues pour se faire accepter, à l’instar de madame Desbordes, qui en 2002, est la seule femme à accéder au titre de contre-amiral et qui a contribuée largement à l’évolution des Marinettes jusqu’alors. Julie explique qu’aujourd’hui seulement 2 % des marins professionnels dans le monde tout milieu confondu (marine nationale, commerce, plaisance professionnelle) sont des femmes. Julie aime se dire qu’elle prend à contrepied ce diminutif, dans un sens valorisant et positif, pour créer une communauté de navigatrices.

Julie relève son élève dans le cockpit, ce dernier étant parti à la manœuvre en pied de mât

Julie, une marinette magicienne

Les couples, en majorité, font appel à ses services. Curieusement, souvent, c’est le conjoint qui contacte Julie, parfois la femme.

Il s’agit de ce genre de couples où le projet bateau est mené par l’homme, c’est lui qui a acheté ou qui loue le bateau2, c’est lui qui sait naviguer. Les conjointes, elles, suivent, sans avoir (bien) appris à naviguer, et qu’au bout d’un moment, la situation n’est plus tenable : il y a les peurs, les craintes, les inquiétudes, le manque de confiance… En plus, « le problème avec les couples, c’est qu’ils ne mettent plus les formes dans leur communication », et qu’il y a trop d’affect, d’où l’intérêt d’une tierce personne, neutre, pour remettre les formes et être plus délicat. C’est là que Julie intervient.

« Être une femme, jeune, pas très grande et pas très costaude comme moi », ça leur montre que la voile est accessible, et « cela casse les codes et barrières qu’elles se sont mises ». Julie embarque pendant trois jours avec « madame », en binôme, sur le bateau, sans « monsieur » pour enlever le repère du conjoint et pour les contraindre à se débrouiller toute seule. Le quatrième jour, le conjoint les rejoint et ils naviguent tous les trois, Julie mène le rôle de « chef d’orchestre », dit-elle, et règle les mauvaises notes à bord. Mais « ce qui est fantastique, c’est que, à chaque fois, […], ils ont tellement d’amour et de fierté dans leurs yeux quand ils voient leur femme se débrouiller et prendre du plaisir à naviguer ».

On l’a même appelée « la magicienne », image que Julie trouve juste dans le sens où, quand elle arrive sur un bateau, il lui faut s’adapter à la situation, aux personnes et au bateau. Elle « essaie de tout faire pour trouver la petite formule qui va faire que la magie opère », et pour que, à son départ, les personnes soient prêtes pour leur future navigation.

Julie dialogue beaucoup avec la coachée pour comprendre les raisons de ses peurs et l’ accompagne dans la prise en main du bateau, les connaissances techniques, dont celles liées à la sécurité (appeler à la radio, démarrer le moteur) – certaines femmes ne l’ayant jamais fait même après des dizaines d’années de navigation avec leur conjoint.

Quand les inquiétudes se sont apaisées, que l’autonomie redore l’estime des marinettes et que le plaisir est revenu, c’est alors mission accomplie pour Julie, et elle se dit qu’elle a réussi à se créer un métier qui lui ressemblait.

Julie intervient également sur des projets de tour du monde en famille : elle accompagne la femme dans la préparation du voyage et sur la sécurité pour partir sereinement avec des enfants, par exemple. Plus rare, des femmes seules, qui ont un bateau et qui veulent simplement prendre confiance en elles et être autonome dans leur navigation.

En moyenne, Julie travaille sur deux stages de quatre jours par mois. « Je ne fais pas de l’industrie à la chaîne, je suis dans l’humain », souligne-t-elle, d’autant qu’elle s’accorde du temps de repos et de ressourcement entre chaque stage, pour être disponible à 100% avec ses coaché.e.s, et pour prévoir les déplacements au quatre coins de la France.

Elle base ses tarifs sur ceux des skippeurs professionnels, « ces skippeurs sans pédagogie et sans mon magnifique sourire » dit-elle en riant et cherchant à montrer sa plus value. Elle sait que le coût de ses prestations représente un budget conséquent mais elle se dit que, pour les personnes qui font appel à ses services, cela représente un investissement durable pour la bonne navigation du bateau et pour le couple.

Marin de cœur, psychologue dans l’âme : comment s’y prend-t-elle ?

Beaucoup d’échanges et de discussions « en prenant le temps » lui permettent de bien comprendre le contexte et la demande : « rien qu’en les écoutant, et de parler de femme à femme, le contact est beaucoup plus simple ; parfois il y a des questions vraiment très intimes qu’elles n’oseront pas poser à un homme ; nous abordons un peu tous les sujets ». D’un caractère jovial et serein, Julie blague beaucoup pour dédramatiser et désamorcer certaines situations.

Julie est « marin », elle n’a pas de formation en psychologie mais une personnalité et une sensibilité tournée vers l’autre et l’écoute. Observatrice, elle aime analyser les postures des gens, et cherche à compenser là où il y a du stress, dans le calme. Par exemple, son élève Guillaume, un brin stressé par la réussite de la manœuvre de port, s’y est repris à plusieurs fois. Julie présume que de nombreux moniteurs auraient haussé le ton, ce qui n’aurait fait qu’empirer l’état de stress de l’élève. Dire simplement « ok, stop, ce n’est pas grave, ça arrive à tout le monde, on refait tranquillement la manœuvre » est bien plus rassurant pour l’élève, tout en étant près des gaz et de la barre pour récupérer si besoin. Ensuite, comprendre pourquoi la manœuvre a été ratée, savoir comment s’y prendre une prochaine fois est plus important que de la réussir.

Le sexisme dans la voile : une réalité sublimée par l’amour de la navigation

Julie commence par un triste constat : « le sexisme, c’est un peu mon quotidien depuis l’enfance ». Mais elle n’est pas de celles qui se laisse sombrer dans les abîmes du pessimisme. Elle a su en tirer une force.

Dans les écoles de voile de l’époque, les vestiaires étaient communs aux filles et aux garçons ; elle se retrouvait souvent la seule fille, encaissant les remarques parfois désobligeantes et blessantes. Mais son amour de la voile et du bateau a toujours été plus fort, ce qui lui a permis de dépasser émotionnellement ces attitudes machistes. Elle ajoute : « bien sûr il y a eu des fois où je me suis dit que je ne voulais plus naviguer, j’en avais marre de me battre en permanence contre des stéréotypes et pour prouver que j’étais un bon marin ; et le jour où j’ai accepté moi-même que j’étais bon marin, ça s’est beaucoup mieux passé et j’ai pris avec beaucoup plus de recul les remarques et les mots durs. » Elle avait pris confiance.

Autre point de vigilance : celui de la force physique. Julie s’est rendue compte que les femmes estiment souvent qu’elles en ont moins que les hommes alors qu’avec simplement quelques techniques et des postures bien adaptées, elles arrivent largement à se débrouiller. Elle se souvient d’une anecdote : un capitaine qui avait beaucoup d’a priori sur les femmes marins mais avec qui elle a travaillé pendant un an, lui a dit un jour : « tu es une femme, tu n’auras jamais autant de force que les hommes, c’est comme ça, n’essaie pas de compenser, utilise ton cerveau, tu en as un ». Condescendant, peut-être, mais Julie a trouvé cette remarque assez pertinente dans le sens où les hommes ont tendance à « bourriner » et à se réconforter dans leur force physique alors qu’en réfléchissant un peu, des solutions et des petites techniques s’offrent à nous.

Retour à quai, il faut bien vérifier l’amarrage.

Un attachement puissant à la mer

Ses yeux étincellent quand elle évoque ce qui l’anime intérieurement dans la navigation, où les sentiments de liberté et de plaisir s’entremêlent. « Pour que ce soit du plaisir, il faut que ça se passe dans de bonnes conditions, avec les bonnes personnes. C’est important. Et de toute façon, il faut faire les choses avec plaisir parce qu’il y a assez de contraintes dans la vie, pas besoin de s’en rajouter ! »

Depuis l’enfance, son rapport à la voile est plus que viscéral : « j’ai besoin de naviguer, j’ai besoin d’être sur l’eau, c’est quand je suis sur l’eau que je me sens le plus moi-même, à terre je me sens un peu schizophrène, je ne suis pas entière, comme s’il me manquait un petit morceau ». Sur l’eau, « les planètes sont alignées et c’est là où je dois être » ! Quand elle part en Arctique, « c’est encore plus là où je dois être ».

Julie est assurément une femme des mers. Son agenda de coaching ne désemplit pas. Le bouche à oreille et sa communication dans l’air du temps lui assurent une belle suite dans cette aventure d’accompagnement personnalisé. Forte de son succès, Julie vient de publier Le guide pratique des voileuses aux Éditions Vagnon, outil adapté à la gente féminine (mais pas que !), emprunt de beaucoup d’humour.

1. https://lesmarinettes.com

2. Selon les entreprises de location de voiliers, 95% des réservations de location de bateaux sont faites par les hommes et les 5% restants sont faites par les femmes.

Texte et photos : Mathilde Pilon