Du pis au militantisme

Installée à Iffendic avec son conjoint dans une magnifique longère, tout écologiquement restaurée, Thérèse Fumery est paysanne laitière, en agriculture biologique bien entendu !

J’ai rencontré Thérèse en mai 2016. Calme, robuste et souriante. Elle m’a présentée son lieu de vie, sa ferme et ses vaches, bienheureuses au grand air, broutant l’herbe du pré d’à côté.

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Quand le projet de couple se conjugue avec un projet collectif 

Thérèse est fille d’agriculteur, et pour autant, elle n’est pas venue à l’agriculture de suite. C’est à Rennes, étudiante, qu’elle rencontre son conjoint. Puis elle part travailler dans sa région d’origine en tant que conseillère agricole à la Chambre d’agriculture du Nord (elle avait quand même déjà la fibre, non ?!) alors que son conjoint s’installe en septembre 1983 dans sa ville natale, à Iffendic. Elle l’a très vite rejoint en Bretagne.

Dès le départ, le projet de couple allait de pair avec un projet d’installation agricole, c’était un souhait commun à tous les deux, et Thérèse y avait sa place en tant que femme, comme une évidence.

Et le projet d’installation allait de pair avec… un projet collectif ! Alors ils ont trouvé trois fermes familiales différentes qu’ils ont réunis en GAEC (groupement agricole d’exploitation en commun). Le GAEC est aujourd’hui spécialisé en production laitière. Ici, la ferme Boc-es-Chènes est le siège social. La deuxième ferme se situe à trois kilomètres, et la troisième à 14 kilomètres.

Deux troupeaux de vaches jersiaises sont répartis en fonction des fermes. Ils sont en système herbager depuis vingt ans. Sur les 127 hectares communs, 106 sont destinés à l’herbe de prairie pour que les vaches puissent pâturer tranquillement. Et ils ont un peu de maïs pour nourrir les bêtes, en semences libres et participatives. Ils vendent le lait en circuit long à Tribalat.

Sur leur exploitation, ils n’utilisent plus de pesticides depuis longtemps, leur objectif n’étant pas l’intensification élevée, et ils ont recourt à la médecine alternative à base d’huiles essentielles pour soigner les bêtes. Ils ont reçu la labellisation en agriculture biologique en 2009, ce qui leur permet, désormais, de bénéficier de la reconnaissance extérieure sur leurs pratiques environnementales.

Thérèse explique que chacun est responsable de sa ferme mais qu’il est important de pouvoir se remplacer les uns les autres dans différentes tâches : « on doit tous être capables de se remplacer pour intervenir en cas de besoin ».

Deux métiers : pas les pieds dans le même sabot !

Thérèse combine deux mi-temps : elle est à la fois formatrice agricole au centre de formation agricole du Rheu, et productrice laitière sur la ferme.

Au tout début, Thérèse a dû apprendre beaucoup de choses pour travailler sur la ferme mais elle reconnaît avoir la capacité de prendre du recul, d’aller de l’avant, de se dire que c’est un essai qu’ils avaient envie à l’époque avec son mari… se laissant la possibilité de faire autre chose, la liberté de ne pas se bloquer dans un métier.

Tant que la ferme était petite, elle était formatrice à temps plein au centre de formation agricole (CFPPA) de Montfort-sur-Meu, puis à mi-temps, ce qui lui a permis de s’occuper de la volaille en vente directe à la ferme. Aujourd’hui elle travaille au CFPPA du Rheu, spécialisé en maraîchage et en bio. Elle y rencontre des personnes non issues du milieu agricole, les néo ruraux, et fait confronter leurs rêves à la réalité. C’est tout là le rôle du formateur, « de les faire atterrir » pour que les stagiaires concrétisent un projet professionnel dont l’objectif est d’en vivre. Elle apprécie d’être à la fois en activité et de rencontrer des gens qui démarrent leur activité, ajoutant que les stagiaires apprécient qu’il y ait des formateurs de terrain.

Au Boc-es-Chênes, Thérèse s’occupe de la gestion administrative et de la traite des vaches, « pas les travaux des champs ni les tracteurs. » Son mari, quant à lui, est aux cultures : semence des prairies, fauches pour l’ensilage et l’enrubannage, foins pour les stocks d’hiver ; et à l’affouragement des animaux. Thérèse fait attention à être très bien organisée et efficace pour gagner du temps entre ces deux mi-temps. Le fait de ne pas avoir d’enfant joue beaucoup aussi dans son organisation.

Cependant, tout n’est pas si simple quand on parle de statut ! Comme elle était salariée en dehors de la ferme, elle ne pouvait pas entrer dans le GAEC. Elle a longtemps bénéficié d’aucun statut sur l’exploitation, comme cela arrive souvent pour les femmes, encore aujourd’hui. Cette situation ne lui convenait pas vraiment vis-à-vis de l’extérieur ni pour sa retraite. Depuis peu, elle a fait le « choix par défaut » de se rattacher au « sous statut », dit-elle, de conjoint collaborateur. C’est « mieux que rien » mais elle pointe bien là du doigt le problème de reconnaissance dans sa vie professionnelle d’agricultrice. « Ce sont majoritairement les femmes qui ont des statuts défavorisés, c’est un choix pour payer moins de cotisations sociales mais finalement elles en paient les frais, elles ont une retraite de misère et elles n’ont pas les même droits que leur mari ; l’Etat français n’est pas au clair avec ça et la profession majoritaire – à savoir l’agriculture conventionnelle – ne milite pas pour que les droits avancent. »

Et encore du collectif !

Des réseaux, elle en fait partie ! Mais disons qu’elle et son conjoint semblent être surtout moteurs dans la création de réseau.

Au départ, Thérèse reconnaît qu’ils étaient dans un système très intensif en total contradiction avec leur idée de l’agriculture – à savoir l’agriculture paysanne – qu’ils avaient avant même leur installation. Ils utilisaient un peu de pesticide (d’une marque bien connue…) sur le champ de maïs et trouvaient les animaux ni résistants ni adaptables…

« Quand on expérimente des nouvelles choses ou quand on se pose des questions sur nos pratiques, il n’y a pas beaucoup de gens pour nous épauler et les conseillers agricoles nous décourageaient ». C’est alors qu’ils ont créé un groupe de réflexion et de formation entre collègues, la plupart membres de la Confédération paysanne, qui a abouti à la création d’un groupe d’éleveurs en système herbager, appelé Adage 35 (Agriculture durable par l’autonomie, la gestion et l’environnement). Le but étant de mutualiser les expériences, limiter la prise de risque et, surtout, de renforcer la cohésion et la motivation de groupe. L’Adage a aujourd’hui un peu plus de vingt ans.

Reine de l’organisation, elle a également fait partie d’un groupe de comptabilité au sein de la Cuma de chez elle, ou bien encore elle a animé des ateliers sur la gestion administrative à la Chambre d’agriculture.

Thérèse a toujours milité pour la paysannerie. C’est une évidence pour elle que le métier de paysan se fait en groupe : « c’est valorisant pour la dynamique de territoire et cela permet des discussions sur les politiques agricoles ».

Son mari lui dit souvent « Ah, ça y est, tu as encore une idée… » Au moment de l’entretien, elle avait l’envie de créer une coopérative qui aiderait les jeunes non issus du milieu agricole à s’installer en complétant leur formation par des stages dans des fermes encadrés par des paysans en Bretagne, à l’instar de ce qui se fait en Loire-Atlantique.

Accueil paysan, refuge LPO, soutien à la ZAD de Notre-Dame-des-Landes… les convictions et les mises en pratique sont bien réelles et multiples. « La militance lui vient de réflexions bien personnelles et non familiales », explique-t-elle. Et dans ce tourbillon d’idées d’un monde meilleur, le lieu respire la tranquillité et l’humilité…

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Valérie et ses petits fromages

Fromages au lait cru : les saveurs de l’artisanat

Valérie Le Dantec est productrice de fromages au lait cru bio de chèvre, de brebis et de vache à Chavagne depuis plus de 10 ans désormais.

J’ai rencontré Valérie en avril 2016. Son grand sourire et une douceur toute particulière ont accompagné l’interview. Volonté, humilité, humanité, générosité… Valérie s’est démenée pour faire sa place de fromagère et a trouvé aujourd’hui son équilibre et son réseau.

 

« Des tripes » au fromage

Un papa ingénieur informaticien, une maman au foyer, un appartement à Rennes, des études en action commerciale : l’environnement familial et culturel de départ ne se prêtait pas à ce à quoi aspirait Valérie au fond d’elle, « dans ses tripes ».

Le BTS en poche, elle a travaillé sur les marchés de la côte morbihannaise où elle vendait des fromages. Conquise par cette expérience, elle s’est alors rendue dans la ferme productrice de ces dits fromages, près de Quiberon. Elle y a appris le travail agricole auprès de chèvres Poitevines, « les noires avec des petits traits blancs, toutes mignonnes, en voie de disparition à l’époque, qui ne font pas énormément de lait mais du très bon lait ». 3 années de joie et de plaisir.

Un parcours d’artisane fromagère

Valérie entend dire qu’un fermier vend chèvres et bâtiments ; elle décide de racheter les outils de production et les animaux. A ce moment-là, elle a 28 ans.

Très vite, elle revend les bêtes pour se consacrer uniquement à la fabrication du fromage. Elle rencontre Serge qui lui vend désormais son lait de chèvre en lait cru. En parallèle, Nicolas, installé seul et qui cherchait des clients, lui vend son lait de brebis. Pour le vache, c’est la ferme d’à côté, la ferme des Petits Chapelais. A savoir qu’il est difficile de trouver du lait issu des petits ruminants en vente directe puisque la plupart des éleveurs vendent aux laitiers.

La vente directe lui tient à cœur. Au début, pendant plusieurs années, ce n’était pas l’usage mais aujourd’hui, suite aux histoires de vache folle, les gens se sont détournés de l’industriel et dirigés peu à peu vers la vente directe. Faire du formage artisanal en vente directe et voir les gens sourire, c’est sa réponse à elle pour faire face au monde industriel « qui ne lui correspond pas ».

Cela fait 10 ans que sa fromagerie Maliguen fonctionne, « 10 ans de volonté » résume-t-elle, 10 ans où elle a essayé de s’en sortir. De cette expérience, elle en retire du positif. Ce qui lui tient vraiment à cœur, c’est d’entretenir de très bons rapports avec les gens avec qui elle a travaillée. Son entreprise est à taille humaine, ce qui lui convient bien dans sa manière de travailler et d’envisager les relations professionnelles. Elle a pu employer deux personnes à mi-temps, avec qui elle s’est bien entendue. Mais surtout, elle fabrique un produit fait avec ses mains, passé en bio très rapidement, « ce besoin de réaliser quelque chose est viscéral » ajoute-t-elle.

Elle ne vendait qu’au marché des Lices à Rennes au départ, ce sont les urbains qui consomment du chèvre et du brebis. Puis, Valérie passe par les réseaux de distribution tels que les Amap et les groupements de producteurs, ce qui lui apporte une grande bouffée d’air parmi ses préoccupations financières, de se sentir moins seule dans son travail et dans la relation aux consommateurs. Et aussi de réaliser des investissements en matériel et d’employer Yvonne, qui l’aide au quotidien. Moment important dans son parcours.

Dans son laboratoire de Chavagne, ses difficultés sont principalement physiques : le nettoyage systématique, les nombreuses manutentions, les horaires… Elle estime perdre beaucoup de temps aux tâches administratives « exponentielles ». Être à son compte signifie connaître la loi qui évolue souvent et il est impératif de tout savoir. Et quand un problème technique arrive, il faut trouver des astuces et des solutions rapidement. Face à ces complications, il y a tout de même un belle récompense : l’humain ! Voici donc ce qui l’a porté et qui l’habite toujours : apporter de l’humanité, de la générosité et du plaisir partagé…

 

« Rentrer dans les cases » : l’heure du défi

La Chambre d’Agriculture et la Chambre des Métiers lui ont posées quelques soucis : elle ne rentrait pas dans les cases ! Elle n’a pas de chèvres, elle n’est donc pas agricultrice fromagère. Elle produit à petite échelle et en vente directe, elle n’est donc pas fromagère industrielle. Pourtant, il fallait bien qu’elle s’inscrive quelque part. Frustration de ne pas être reconnue et moments de solitude.

Cette solitude, en tant qu’ « artisane » de fromages, lui a pesée… Même les premiers réseaux de producteurs bio ne voulaient pas d’elle. Émotionnellement, ce clivage et cet étiquetage ont été difficiles à vivre. « Le corporatisme, c’est lourd ».

Faire reconnaître à la Chambre d’Agriculture que les artisans fromagers pourraient être assimilés aux agriculteurs, voilà le défi principal que Valérie souhaiterait relever afin que les artisans liés au secteur agricole puissent avoir accès aux informations, aux formations, aux interlocuteurs ou encore au réseau. Il y a une porte à ouvrir… ainsi que dans la bio !

Et la vie de femme dans tout ça !

« Qu’on soit homme ou femme, il faut être courageux car les petits ruminants sont moins rentables que la vache », déclare Valérie en tout premier lieu.

La différence homme / femme repose principalement, selon elle, sur son manque de force et de formation au niveau technique. Toutefois débrouillarde et bien entourée, elle fait appel aux copains pour l’aider.

La touche féminine, dans son travail, se porte plus sur la sensibilité et l’esthétisme quand elle fait des marchés par exemple. Elle va mettre des couleurs sur l’étalage pour le rendre joli et attrayant.

Quant à la relation entre la vie personnelle et la vie professionnelle, Valérie a bien su distinctement séparer les deux une fois enceinte. En plus, elle a besoin de sentir libre, de ne pas être prisonnière de son travail. Elle a optimisé son organisation de travail très rapidement en épurant ce qui n’était pas rentable ni efficace, de sorte à ne pas perdre de temps et pouvoir finir tôt pour récupérer ses filles à l’école. Elle reconnaît avoir aussi besoin de temps de repos et de vacances puisque, dit-elle les yeux rêveurs, « j’ai aussi soif de découvrir la terre et l’ailleurs ». « C’est la terre qui nous nourrit, qui gère ma vie, j’ai envie de voir ce que la terre a dans le ventre ». Elle habite la commune d’à côté, avec ses deux enfants ado. Elle apprécie ne pas vivre sur le lieu d’exploitation. Tout cela lui apporte une qualité de vie tout à fait correcte.

Sans parler directement de charge mentale, elle avoue qu’être à la fois une maman, une femme de foyer, une gérante d’entreprise est parfois très fatigant : « il faut être la reine partout ». Tout comme dans la vie de couple qui peut en être impacté.

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