Marta Güemes

De la Mini Transat à la voile pour tou.te.s.

L’automne s’installe doucement en ce mois d’octobre 2020. Le vent balaie les nuages et le soleil perce enfin sur le bassin des Chalutiers à La Rochelle. Marta, jeune trentenaire, grand sourire et débordante d’énergie, revient tout juste de quinze jours en mer à bord du voilier de l’association Ocean Peak.

Un parcours voyageur

Marta a grandi entre Valladolid en Espagne, chez sa mère, et l’île de Lanzarote aux Canaries, chez son père. Bien qu’entourée de mer, au milieu de l’océan, elle n’avait que très peu pratiqué la voile. Marta a étudié dans une école française jusqu’au brevet. A 18 ans, elle est partie vivre à Lyon pour suivre des études de biochimie en école d’ingénieur.

C’est lors d’un stage de fin d’études en Nouvelle-Zélande, en 2012, qu’elle découvre la voile et que son histoire d’amour avec les voiliers a commencé. « Je suis tombée sous le charme », se souvient-elle. Adepte des voyages en vélo, la voile lui ouvre de nouveaux horizons ! Marta n’a plus qu’une idée en tête, apprendre à naviguer. Une fois ses études terminées et après deux ans de « premiers boulots », elle a rejoint l’école des Glénans.

Direction l’Irlande, pour se mettre à l’épreuve, dans le cadre d’un bénévolat de longue durée où, logée et nourrie à la base irlandaise des Glénans, elle répare les bateaux pendant l’hiver et se forme en parallèle au monitorat de voile de croisière, en 2012-2013. A partir de là, elle n’a jamais arrêté de naviguer.

Même si parfois, elle s’est fait happer par les montagnes et son emploi d’ingénieur en traitement de l’eau à Grenoble, très vite, il lui a fallu revenir à la voile. Chose possible dans son entreprise, un bureau d’études assez connu, qui organise des régates d’entreprise en équipage. C’est là qu’elle rencontre des personnes préparant la mini transat…

La mini transat, un nouveau défi !

En septembre 2015, Marta achète un Pogo 2 : « Moi, j’ai des tocs comme ça, quand j’y vais, je fonce », rie-t-elle. Pendant deux ans, son entreprise lui aménage son temps de travail et la sponsorise, et elle se prépare ainsi à la Mini transat, « plus pour l’aventure que la performance », confie-t-elle. Un défi un peu fou qui lui fait tout de même un peu peur puisqu’elle n’avait jamais navigué en solitaire auparavant.

La « Mini », comme on dit dans le milieu, c’est une régate de course au large en solitaire créée en 1977, sans assistance ni communication ni moteur, sur un bateau de 6,50 mètres entre Les Sables d’Olonne ou La Rochelle, et les Antilles, avec une escale aux Canaries1. « Le fait de faire cette première transatlantique avec escale aux Canaries n’était pas voulue mais j’étais trop contente de me sentir un peu plus de là bas, et qu’on me reconnaisse de là bas ».

La course s’est bien passée. Marta est arrivée trentième de la classe mini. Par contre, le retour à la réalité a été difficile : « pendant deux ans, tu es focalisée dans un truc à fond, tu fais tout pour toi et puis après tu reviens et tu t’assoies devant ton bureau, tu reprends tes calculs et une vie moins extraordinaire ».

Ocean Peak, ou comment continuer l’aventure

En 2018, un collègue de la Mini transat lui propose de monter le projet Ocean Peak. Lui est éducateur, grimpeur et marin. L’idée d’origine était de proposer deux types de navigation avec le voilier course croisière de 16 mètres en aluminium, Triphon, un Lévrier des mers2 : l’une sportive par des expéditions voile et alpinisme – qui les ont portées jusqu’au Groenland et aux îles Lofoten -, l’autre sociale avec des séjours de rupture à destination de jeunes en difficulté.

Cela fait quatre ans que l’association Ocean Peak tourne avec une énergie aujourd’hui centrée sur les séjours jeune, portée par une vingtaine de bénévoles. Marta, elle, est salariée à mi-temps (en complément de son travail d’ingénieur freelance en biochimie) et se plaît à transmettre sa passion de la voile à des jeunes de l’aide sociale à l’enfance et des quartiers dits prioritaires de La Rochelle. Les séjours durent deux semaines. En amont, sont proposés des ateliers de découverte et de préparation3 pour faciliter l’engagement et l’implication des jeunes. Certes, deux semaines, c’est très court mais cela apporte un environnement et un cadre différents à ces jeunes. Sur la mer, le bateau impose ses propres règles, alors ces dernières, liées à la sécurité et à la vie à bord, sont généralement bien acceptées. Marta explique : « Le prix du bateau leur est donné, l’environnement bateau leur est expliqué, aussi ils se rendent compte que quelque chose d’exceptionnel a été mis en place pour qu’ils puissent naviguer et qu’ils puissent en profiter. Très souvent, ils en sont reconnaissants. Par exemple, si un jeune abîme exprès un élément du bateau, il est débarqué. Mais, le bateau, ils le préservent à chaque fois ».

Entre sexisme et paternalisme, il faut faire sa place de navigatrice

Qu’y a-t-il donc d’étrange que d’être une femme navigatrice ? Voilà donc une question que Marta s’est posée dès le début de sa pratique, en tant que monitrice en centre nautique. Parce qu’elle n’avait que 26 ans, parce que les quatre « bonhommes » qu’elle encadrait en stage de croisière, eux, en avaient 40, elle reçut de leur part des commentaires désagréables, comme « ah, c’est toi qui va nous sauver ! »

Ensuite, quand elle a commencé à préparer la Mini transat, elle s’est rendue compte qu’il n’y avait que très peu de femmes dans ce milieu, et que les remarques désobligeantes se bousculaient. Soit les gens la considérait comme une gamine qui n’allait pas réussir la Mini, soit ils l’aidaient, de manière très paternelle, ne la prenant pas vraiment au sérieux. Comme le jour où, en arrivant au port lors de la Mini, des inconnus l’accueillirent en lui demandant où était le reste de l’équipage et si sa famille était au courant de ce qu’elle faisait, comme si cela était inconcevable de voir une femme d’une trentaine d’années seule à bord. Manque de légitimité et infantilisation, encore une fois ! Le ton de Marta s’échaude quelque peu.

Par ailleurs, elle ajoute que le côté médiatique de la question de la différence femme – homme pendant la course l’a vraiment importunée. « Moi je ne me lève pas le matin en me disant que je suis une femme dans la voile quoi ! Je fais du bateau parce que j’aime bien faire du bateau, et ensuite, oui, je suis une femme », ajoute-t-elle franchement. Elle me partage l’anecdote où, à une journaliste de l’AFP, elle a souligné le fait qu’elles n’étaient que 8 femmes sur 81 et que celles qui veulent gagner sont toutes sous hormones (par la prise de la pilule en continu) pour stopper les règles « car quand tu as tes règles, tu as beaucoup moins de force, tu es fatiguée ». La journaliste n’a rien publié de tout ça. Sujet tabou ? Pourtant, entre navigatrices, c’est un thème qu’elles abordent, mais qui semble toutefois encore mal aisé de rendre public.

Quand elle navigue avec des amis hommes, elle s’est rendue compte qu’ils sont beaucoup moins dans l’anticipation parce qu’ils ont de la force physique. Marta n’a pas cette force là, d’autant qu’elle n’est pas une adepte de la musculation. Alors, à la place, elle anticipe et prépare tout, afin de naviguer très proprement. Dans ses courses, remarque-t-elle, elle ne fait certes pas de grosses performances, mais elle n’a jamais rien cassé ! Ce qui fait donc la différence dans les façons de naviguer, c’est le mental.

Même après une course au large et de nombreuses régates en équipage, même avec le statut de cheffe de bord sur des expéditions dans le grand nord, Marta reçoit encore des remarques « ah les femmes à la barre » ou peine parfois à être écoutée quand elle donne des consignes en régate à des hommes « qui sortent sur l’eau quatre fois dans l’année ! » Elle a l’impression qu’une femme peut faire ce qu’elle veut une fois qu’elle a montré patte blanche, comme participer au Vendée Globe : « il faut montrer ton palmarès pour qu’on te prenne au sérieux. » « Ça reste un milieu très masculin ; tu as l’impression qu’il faut que tu montres tout le temps ta légitimité ! » résume-t-elle.

Alors, maintenant, elle n’écoute plus, elle suit son chemin et mène ses projets de bons pieds avec ses bateaux et des personnes à qui elle n’a rien à prouver !

Naviguer « au féminin »

Marta souhaite pourtant ardemment montrer que les femmes sont capables, et naviguer entre femmes le permet. Elle étaie : « Quand il y a un homme à bord, les gens vont penser naturellement que c’est l’homme qui gère. Au moins, si on n’est que des femmes, la question ne se pose pas ; c’est forcément une de nous qui gère. » Elle en a fait l’expérience un été où elle est partie avec des amies. Elles ont constaté qu’elles étaient plus à l’aise d’être qu’entre femmes parce qu’elles prenaient le temps d’apprendre à leur rythme.

A Ocean Peak, sur le dernier séjour, parmi les quatre encadrants, il y avait deux femmes, à savoir une guide de haute montagne (qui vit le même manque de légitimité en montagne) et Marta. L’idée étant de montrer aux jeunes que des femmes peuvent faire des choses incroyables, et de favoriser la mixité de ces séjours « sport aventure » trop souvent catégorisés masculins. Toutefois, Marta a l’impression que l’étiquette « femme » des projets est devenu un argument de vente, sinon « on ne t’inclut pas dans les projets ». Sorte de « women washing »…

Ses désaffections et ses préférences en navigation

Marta se laisse un moment de réflexion sur ce qui lui déplaît dans la voile… comme si cela était impossible. Avec son franc-parler, elle déclare : « Ça coûte très cher, et ça reste un milieu hyper élitiste ». « A part quelques projets outsider, ça reste des milieux un peu riche quoi ! Quand tu n’es pas dans cette dynamique là, il faut trouver des plans, des tunes à gauche à droite. Nous, pour pouvoir l’offrir à des jeunes de l’aide sociale à l’enfance, ou des jeunes des quartiers, il faut qu’on lève des fonds comme pas possible parce que ça coûte trop cher. »

Sinon, dans la voile, elle aime tout ! Elle aime le cadre du bateau. Elle aime la voile en solitaire et en équipage. « En équipage, c’est hyper puissant de se serrer les coudes pour faire face à des conditions difficiles. En solitaire, il n’y a que toi et tu ne peux pas douter de toutes tes décisions […] et tu vois si ça marche ou ça marche pas. « 

Le soleil s’est levé, il est 13 heures, elle enfourche son vélo et file naviguer sur un Figaro 1 qu’elle a acheté avec un ami. Elle se fait plaisir avec ce bateau sportif « où tu peux faire des réglages, aller vite et amener les ami.e.s en mer ». Un jour, peut-être, Marta concourra à nouveau… en mini !

1. Les ports de départ, d’escale et d’arrivée varient en fonction de l’organisation.

2. Triphon a été construit en Bretagne au chantier Le Guen-Hemidi en 1990 ; on ne compte que 10 unités dans le monde.

3. Cartographie, nœuds, jeu pour fédérer, découverte des métiers de la mer.

+ d’infos sur Marta : https://www.sailing-marta.com/, Facebook

Auteur : Mathilde Pilon

Une réflexion sur “Marta Güemes

  1. Pingback: Des femmes et la mer | mathilde pilon

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