Charlotte Yven

De la régate à la course au large

Charlotte l’étudiante, Charlotte la voileuse. 25 ans, à l’aube d’une carrière de navigatrice, Charlotte est issue du vivier morlaisien de régatiers. Entre deux trains, Charlotte et son manteau jaune me rejoignent au café. Peu à peu, au fil de la discussion, les embruns de la mer et la accords mathématiques de l’ingénierie s’entremêlent à la fumée du thé chaud.

Après une journée de stage chez Kairos, Charlotte profite de la ville de Concarneau, jamais loin des bateaux.
©Mathilde Pilon

La mer, le vent et les cailloux pour une touche à tout

Un père de Morlaix, une mère de Cherbourg, deux bouts de terre si proches de la mer. Les parents de Charlotte vivent à Plougasnou dans le Finistère. La baie de Morlaix se pose alors comme décor et terrain de jeu, tout a commencé là-bas. Charlotte a grandi entre des étés à caboter en Bretagne sur le bateau familial et des stages d’Optimist, au club1 de Plougasnou où elle a commencé à faire de la régate dans la baie de Morlaix, elle est à tel point ravie que la voilà à se confronter, avec son Optimist, aux Championnat de France !

Ça y est, Charlotte a goûté à la compétition ! Alors, elle s’essaie au laser. Rapidement, elle passe au 420 en double et, arrivée au lycée, elle intègre le Pôle Espoir de Brest en Sport Etudes, section voile, et ce, pendant quatre ans, avec des résultats plutôt prometteurs : championne de France deux années consécutives (2014 et 2015), vice-championne du monde en 2015. Etudiante en école d’ingénieur à Rennes, elle rejoint le Pôle France de Brest, où elle joue sur un support olympique, le 470, en tant que « jeune moins de 23 ans », ce qui lui réussit plutôt bien : elle décroche la troisième place aux Championnats d’Europe (2019).

Charlotte est une jeune femme qui ne manque pas d’idées ni de perspectives. Alors qu’elle souhaite « sortir un peu du milieu de l’olympisme », elle se confronte aussi au match racing (régate en duel) et elle décide de s’orienter également vers la course au large. Alors, rien de tel que de s’y exercer. En 2021, elle intègre le Team Vendée Formation2, qui l’accompagne et la forme : elle participe au Tour de Bretagne à la voile et à la Solitaire du Figaro.

Depuis le début, Charlotte bénéficie du soutien sans faille de sa famille, ce qui « la motive à continuer, [car] quand c’est un peu dur, ils sont toujours avec moi » même si, parfois, elle aimerait les voir plus, à l’instar des copains « qui ne font pas de voile ». « On est obligé de faire des compromis quand on fait du sport de haut-niveau, […] et on est d’autant plus content quand on peut être présent et on profite deux fois plus », relativise-t-elle.

Concilier la voile haut-niveau et les études

« C’est un petit rythme à prendre quand même », souligne-t-elle ! Car, pour Charlotte, il est important de suivre des études supérieures afin de s’assurer des portes ouvertes pour « après »…

Tant qu’elle était en Sport Etudes, elle arrivait assez bien à s’organiser entre le lycée à Brest et le Pôle Espoir, les entraînements étant calés dans l’emploi du temps. Une fois en école d’ingénieur, à l’INSA de Rennes, il lui a fallu se prendre en main de manière plus indépendante pour gérer au mieux son emploi du temps universitaire, son planning sportif, sa préparation physique, des aller-retours entre les deux bouts de la Bretagne et tout ce qui agrémente une vie d’étudiante et de sportive de haut-niveau.

Charlotte n’a pas choisi ce cursus-là par hasard puisqu’elle a toujours eu un attrait pour les matières scientifiques et que le métier d’ingénieur correspondait bien au milieu du nautisme. Son école propose un cursus adapté et un aménagement de l’emploi du temps à destination de sportifs de haut-niveau de différentes disciplines. Aujourd’hui toute jeune diplômée, Charlotte admet qu’ « au début ce n’était pas facile, surtout les deux premières années de la prépa intégrée, c’était assez dense ». Un système assez bien rodé et qui a l’air de fonctionner puisque plusieurs navigateurs renommés sont passés par là, à l’instar d’Armel Le Cléac’h.

Charlotte, 25 ans, est navigatrice sportive de haut niveau et est diplômée en génie des matériaux à l’Insa de Rennes.
©Mathilde Pilon

Et les femmes dans le milieu de la voile de compétition ?

Dans la voile, chez les petits, la proportion filles-garçons est assez bien répartie, environ 50-50, selon la Fédération française de Voile. C’est après, en Sport Études ou en études supérieures, qu’il y a moins de filles que de garçons. Elle explique : « en général, les filles ne courent pas avec les garçons car il y a deux catégories, et il y a quand même moins de filles que de garçons sur les compet’. »

Fort heureusement, une catégorie assez récente est apparue : les équipages mixtes. Le phénomène a commencé avec le catamaran olympique en double mixte, le Nacra, et se répand parmi les autres séries : les 407 en double mixte, la course au large en double mixte, etc. « C’est cool car il y aura le même nombre de filles que de garçons », se réjouit-elle », c’est vers quoi ils tendent aux JO : avoir autant de médailles pour les garçons que pour les filles. »

Actuellement, en dériveurs, « dans les séries où les filles courent avec les garçons, on récompense toujours la première fille, il y a un podium garçon et un podium fille, même si elle est arrivée dixième de la course derrière les garçons, la fille sera récompensée. » Charlotte nuance : « ce qui n’est pas forcément le cas dans d’autres séries, en course au large, on récompense les premiers à l’arrivée mais pas forcément les premières filles (elles sont moins nombreuses). Mais on ne voit pas les choses de la même manière, en Olympisme et au large… » Charlotte considère qu’en ce moment, dans les séries olympiques, une certaine bienveillance envers les filles est à noter : « on les pousse à continuer, à aller chercher le haut-niveau, à intégrer les structures, on les récompense aussi ». Voilà de quoi « encourager les filles à faire de la voile ».

La jeune femme se confronte par contre au choc des âges… « Plus on grandit et plus on est en contact avec l’ancienne génération, là on sent des préjugés ou des idées un peu arrêtées sur la place des femmes dans la voile. » Concrètement, peu de femmes travaillent dans la préparation des bateaux, peu de femmes intègrent les équipes techniques, peu de femmes naviguent sur les compétitions, « en course au large, on peut les compter sur les doigts d’une main ». Et pourquoi ? s’interroge-t-elle : « du fait qu’il y a une idée préconçue, elles ne sont pas aidées à franchir le pas, elles osent peut-être moins parce qu’il y a ces barrières-là. »

Dans la nouvelle génération, « les mentalités sont en train de changer et ces barrières se gomment parce qu’on parle plus de l'[égalité femme homme] et surtout parce que des femmes sont en train de montrer que c’est possible et que, par conséquent, les autres filles ont moins peur d’y aller. »

Voile au féminin : solidarité et compétences

En stage ou en régate, toute la journée passée en combinaison ou en affaires de sport, Charlotte aime bien porter un petit bijou quand elle rentre chez elle mais elle ne semble pas donner trop d’importance à l’apparat dit féminin. Et, quant à notre spécificité biologique des règles, et bien, « on trouve des adaptations, ça fait partie du jeu ».

Toutefois, malgré l’habitude des stages et entrainements en équipages féminins « où ça se passe très bien », Charlotte reconnaît qu’ elle avait eu une petite réticence, lors d’une sélection féminine de la course du Figaro, quant « au crêpage de chignons » entre les différentes concurrentes. Finalement, tout a été pour le mieux : « on naviguait en équipage à trois par bateaux, il y avait trois bateaux : il y avait de la cohésion, on rigolait, on s’entraidait ; la sélection finale n’a pas trop impacté sur l’ambiance générale du stage ». Bilan positif donc : bonne ambiance et de l’entraide entre elles.

Charlotte réfléchit à voix haute : du fait que les filles soient moins nombreuses, elles auraient moins à faire leur place, elles auraient plus de chance à avoir des opportunités (surtout en équipage mixte), et donc il y aurait moins de rivalité que chez les garçons, et peut-être même un peu plus de solidarité…


Cependant, à l’heure de naviguer à plusieurs et de bien s’entendre sur l’eau, pour Charlotte, la question du genre n’est pas là où il faut s’arrêter. Ce qui fait la différence, selon elle : la personnalité et les compétences : « Si on fait avec les qualités de chacun, si on donne les mêmes possibilités à l’un et à l’autre, il n’y a aucune raison que la fille ne puisse pas s’en sortir aussi bien. Et, ce, dans tous les domaines. »

Une route à tracer sur une carte

Charlotte a encore devant elle de belles années de voile et de régates. Une multitude d’opportunités paraissent s’offrir à elle, ou du moins se donne-t-elle les moyens de goûter à ses envies. Elle se questionne néanmoins sur son orientation future : la voile professionnelle, l’ingénierie, l’alliance des deux… En tant que nouvelle spécialiste en génie de matériaux et passionnée de voile, les domaines de recherche et développement des bateaux, comme ceux du Vendée Globe, l’intéressent grandement pour chercher plus de performance mais aussi des matériaux moins polluants. « On parle de la voile comme un sport propre mais en fait pas complètement : il y a peut-être du travail à faire dans cette voie-là, pour aboutir à des matériaux plus respectueux de l’environnement ». « Plutôt que de la fibre de carbone, on pourrait trouver des fibres plus naturelles. On pourrait recycler ces bateaux en carbone, au lieu de les entasser sur des parkings une fois qu’ils sont dépassés », la voilà déjà repartie à rêver, parmi les nombreux terrains de jeu qui se présenteront sûrement à elle.

1. La société des Régates des Plougasnou (Finistère).

2. https://teamvendeeformation.com/

En savoir + sur Charlotte : https://www.charlotte-yven.fr/Facebook

Auteur : Mathilde Pilon

Anna

La mécanicienne marine

Anna est une puce océane qui bondit et rebondit, de mers en ports, de formations en jobs maritimes, d’idées en expériences. Sur un chantier bénévole en non mixité choisie1 de rénovation du vieux gréement portugais l’Albarquel2, Anna, 34 ans, était l’une des référentes « méca » de l’association marseillaise Les Bordées3. Entre une bricole à réparer en salle des machines et la révision électrique du GPS, Anna s’est confiée sur son rapport à la mer, le temps d’une pause café, rive sud du Tage.

Une première rencontre avec la mer sous les vents turbulents de la misogynie

En 2008, Anna est partie en bateau stop avec son compagnon de l’époque, à 21 ans, à bord d’un catamaran de 12 mètres, au départ de La Rochelle direction les Antilles. Ce fût sa « première rencontre » avec la mer. Passées les premières 24 heures où, dans le Golfe de Gascogne, « ça brassait grave, c’était la tempête », Anna a découvert la vie à bord, les quarts, les étoiles qui scintillent dans le ciel.

Pourtant la désillusion est vite arrivée. Difficile en effet de faire sa place à bord en tant que seule équipière féminine lorsque le capitaine lui demandait, à elle plutôt qu’aux trois autres membres masculins de l’équipage, de faire le ménage et lui ordonnait de rentrer à l’intérieur dès qu’il y avait une manœuvre délicate ou un potentiel danger. Protection, machisme ? Elle ne savait trop quoi penser, d’autant qu’elle n’avait jamais reçu d’éducation genrée : enfant, ses parents la laissait grimper aux arbres et bricolait un peu. Son copain, qui partait de rien tout comme elle, a quant à lui reçu la confiance « d’homme à homme » du capitaine qui lui apprenait plein de choses. Anna écoutait alors à côté. D’autres anecdotes sexistes sont venues la bousculer et lui donner l’impression qu’elle ne servait à rien à bord.

Une deuxième rencontre plus stimulante

Arrivés aux Antilles, ils ont expérimenté d’autres navigations en bateau stop et ont rejoint La Martinique. Ils ont trouvé une annonce pour éventuellement faire la transat retour : un capitaine cherchait une gars et une fille comme équipiers, l’homme aux manœuvres, la femme auprès des enfants pour faire les leçons. Anna a dit non !

Tout proche de leur mouillage, deux « magnifiques trois mâts », la Rara Vis et le Bel Espoir, trônaient dans l’anse. Les personnes à bord y faisaient du trapèze et se baignaient, dont « plein de filles ». « Ça avait l’air trop chouette, très vite j’ai eu envie de les rencontrer ! » se remémore-t-elle. Un tour d’annexe et Anna aborde le Rara Vis et rencontre ainsi Michel Jaouen, « en train de lire des journaux en anglais », assis sous le grand roof. Michel Jaouen est le fondateur aujourd’hui disparu de l’association Amis Jeudi Dimanche (AJD) située dans le Finistère près de l’Aber Wrach.

Ni une, ni deux, Michel Jaouen invite Anna et son copain à son bord pendant une semaine. L’occasion de découvrir une autre manière de naviguer et de discuter de la formation aux métiers de la mer proposée par l’AJD : « en deux secondes, j’ai su que je voulais suivre cette formation », un vrai déclic pour Anna.

L’AJD : la rencontre avec la mécanique

Elle explique que les stagiaires de l’AJD sont réunis autour d’un chantier commun où ils ont la possibilité de tout faire – de la voilerie, de la mécanique, de la soudure – et aussi d’apprendre à naviguer. C’est une école dont « les moyens de transmission sont vraiment libres ». Anna fait remarquer que les formateurs sont majoritairement des hommes mais que, pour autant, la parité et l’égalité des genres parmi les stagiaires y seraient un point de vigilance.

Elle a commencé par le chantier bois, puis s’est mise à faire de « la ferraille » (soudure). Ensuite, elle a embarqué sur le Bel Espoir pendant six mois sur une transat aller retour où elle a été « poussée dans la machine de manière trop belle », se souvient-elle : il lui fallait trouver une fuite dans le moteur ! C’est ainsi qu’elle s’est mise à faire de la mécanique bateau : « c’est comme un petit terrain de jeu avec plein de machines à gérer et où tu surveilles tout ». A bord, les personnes qui s’y connaissaient lui expliquaient des tas de choses pendant les pauses. « La transmission, elle se faisait comme ça, il n’y a pas de honte à ne pas connaître », assure-t-elle !

 » Dans l’esprit de plusieurs projets collectifs de bateaux tel que celui des Bordées ou du Polar Sternen, il y a beaucoup de celui de l’AJD. Tu arrives tel que tu es et tu trouves ta place, on donne la confiance aux gens et le sentiment d’être utile. Quand tu navigues, tout le monde a une place. Au début c’est dur de trouver sa place mais, en fait, on a besoin de tout le monde car il y a toujours un moment en mer où tu es fatigué et du coup on se relaie dans les énergies, […], c’est trop bien, surtout quand ce sont tes copains ». Pour Anna, son lien avec la mer, « c’est grâce à l’AJD », résume-t-elle.

Des formations, encore des formations !

A la sortie de l’AJD, elle est partie suivre une nouvelle formation à l’école de pêche de l’île d’Yeu. Elle en est ressortie avec un diplôme de motoriste à la pêche dont elle est très fière mais, quand elle a cherché à travailler, personne ne voulait embarquer de fille. Baluchon à l’épaule, elle est retournée à l’AJD pour installer un système électrique sur un bateau. Anna n’a donc pas fait de pêche. Elle croit que, physiquement, elle n’aurait pas tenu le coup, « c’est vraiment dur ».

Toujours en train de rebondir, Anna faisait le point sur sa carte des formations, il lui fallait un diplôme plus important… celui d’officier mécanicien dans la marine marchande ! Elle a donc rejoint l’École nationale supérieure maritime de Saint-Malo pendant deux ans et obtenu son brevet haut la main. D’équipages français sur des bateaux scientifiques où les conditions sociales du travail sont plutôt intéressantes car « tu ne bosses pas avec des Philippins qui sont payés ultra moins que toi » à des agences d’anti terrorisme et d’anti piraterie travaillant avec l’armée, Anna s’est forgée ses expériences.

Le temps nouveau des projets collectifs

Anna a également travaillé sur plusieurs vieux-gréements, période compliquée pour des raisons de sexisme à bord… Difficile d’asseoir sa légitimité sur ses compétences techniques en tant que femme ! Selon elle, le milieu de la voile traditionnelle est l’un des milieux les plus rudes : « un milieu ultra machiste, que des gars, très à l’ancienne, très au mérite.,[…], tu n’as pas le droit d’avoir peur, tu n’as pas le droit de te tromper, tu n’as pas le droit d’émettre des doutes ».

Ensuite, elle s’est engagée sur d’autres voiliers tenus par des copains. C’est à cette occasion que, dans le port de Cadiz, quatre voiliers aux projets militants et alternatifs, dont l’Albarquel, se sont réunis et Anna y a découvert un autre univers (la réflexion sur les enjeux de société actuels et les rapports de domination), ainsi qu’un éclairage libre et libertaire sur la navigation. Elle a donc rejoint les Bordées, l’association marseillaise d’éducation populaire par la navigation, qui affrétait jusqu’à récemment l’Albarquel. Elle a passé du temps à naviguer avec eux et à y faire de la mécanique, leur esprit bienveillant lui redonnant du baume au cœur.

L’été 2019, Les Bordées cherchaient un capitaine pour un séjour cinéma. Anna s’est prêtée à l’exercice, accompagnées par deux membres de l’association, et s’est rendue compte qu’elle arrivait à maîtriser correctement le bateau. Bilan positif donc ! Elle a porté à nouveau la casquette de capitaine lors d’un second convoyage où elle s’est sentie à l’aise dans ses compétences et prises de décision. Être capitaine sur l’Albarquel, ce n’est pas comme être capitaine sur un autre bateau. La navigation est portée de manière horizontale : « c’est juste l’idée que le capitaine tranche à un moment où il faut trancher, par exemple quand il y a une décision lourde à prendre ou quand cela concerne la sécurité puisque, de toute façon, la responsabilité est portée juridiquement par le capitaine ».

La voile au féminin, et pourquoi pas ?

Anna confie que « moi, je suis devenue comme un mec, sur la défensive ». Avec les Bordées, elle apprend peu à peu à déconstruire son fonctionnement car elle a réalisé que toutes les filles n’ont pas eu le même parcours qu’elle.

Anna évoque les Sea Women4, rebaptisé récemment les SeaWho, « le réseau d’entraide féministe sur l’eau ». Elle conclue qu’elle a manqué de ne pas avoir rencontré suffisamment de marins « complices et pros » avec qui discuter de sexisme et de la place des femmes et des minorités à bord. Pour faire face au paternalisme de certains, il faut lutter un peu, tout en acceptant que c’est une histoire de génération et que ça évolue petit à petit. « Pour prendre la place qui n’est pas donnée par les mecs, sur un bateau, il faut que les mecs ne soient pas là. Les femmes prennent confiance ainsi. »

Puisque la mer, c’est toute sa vie maintenant, elle ne peut pas définir en un mot son sentiment. « En mer, c’est simple », synthétisera-t-elle. Foisonnante d’anecdotes incongrues et d’histoires drôles, débordante d’énergie, Anna a une profonde envie de se rendre aujourd’hui dans les lieux où il n’y a pas se battre, « là où c’est facile », notamment ceux tenus par des pairs impliqués dans la construction de projets collectifs et attentifs aux questions de genre.

1. Sans homme cisgenre.

2. Ce vieux-gréement réalisait autrefois du fret de sel depuis le sud du Portugal,jusqu’aux différents ports morutiers du pays. Racheté en 2014, le bateau a été confié à l’association marseillaise Les Bordées qui organisent des séjours et des convoyages aux beaux jours en Méditerranée, ainsi que différents chantiers de réfection l’hiver sur l’un des plus anciens chantiers navals du Portugal, au bord du Tage. Fin 2021, l’Albarquel a été racheté par un couple de Français ayant une entreprise de chartering.

3. https://www.helloasso.com/associations/les-bordees

4. https://seawho.noblogs.org

Auteur : Mathilde Pilon

Du pis au militantisme

Installée à Iffendic avec son conjoint dans une magnifique longère, tout écologiquement restaurée, Thérèse Fumery est paysanne laitière, en agriculture biologique bien entendu !

J’ai rencontré Thérèse en mai 2016. Calme, robuste et souriante. Elle m’a présentée son lieu de vie, sa ferme et ses vaches, bienheureuses au grand air, broutant l’herbe du pré d’à côté.

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Quand le projet de couple se conjugue avec un projet collectif 

Thérèse est fille d’agriculteur, et pour autant, elle n’est pas venue à l’agriculture de suite. C’est à Rennes, étudiante, qu’elle rencontre son conjoint. Puis elle part travailler dans sa région d’origine en tant que conseillère agricole à la Chambre d’agriculture du Nord (elle avait quand même déjà la fibre, non ?!) alors que son conjoint s’installe en septembre 1983 dans sa ville natale, à Iffendic. Elle l’a très vite rejoint en Bretagne.

Dès le départ, le projet de couple allait de pair avec un projet d’installation agricole, c’était un souhait commun à tous les deux, et Thérèse y avait sa place en tant que femme, comme une évidence.

Et le projet d’installation allait de pair avec… un projet collectif ! Alors ils ont trouvé trois fermes familiales différentes qu’ils ont réunis en GAEC (groupement agricole d’exploitation en commun). Le GAEC est aujourd’hui spécialisé en production laitière. Ici, la ferme Boc-es-Chènes est le siège social. La deuxième ferme se situe à trois kilomètres, et la troisième à 14 kilomètres.

Deux troupeaux de vaches jersiaises sont répartis en fonction des fermes. Ils sont en système herbager depuis vingt ans. Sur les 127 hectares communs, 106 sont destinés à l’herbe de prairie pour que les vaches puissent pâturer tranquillement. Et ils ont un peu de maïs pour nourrir les bêtes, en semences libres et participatives. Ils vendent le lait en circuit long à Tribalat.

Sur leur exploitation, ils n’utilisent plus de pesticides depuis longtemps, leur objectif n’étant pas l’intensification élevée, et ils ont recourt à la médecine alternative à base d’huiles essentielles pour soigner les bêtes. Ils ont reçu la labellisation en agriculture biologique en 2009, ce qui leur permet, désormais, de bénéficier de la reconnaissance extérieure sur leurs pratiques environnementales.

Thérèse explique que chacun est responsable de sa ferme mais qu’il est important de pouvoir se remplacer les uns les autres dans différentes tâches : « on doit tous être capables de se remplacer pour intervenir en cas de besoin ».

Deux métiers : pas les pieds dans le même sabot !

Thérèse combine deux mi-temps : elle est à la fois formatrice agricole au centre de formation agricole du Rheu, et productrice laitière sur la ferme.

Au tout début, Thérèse a dû apprendre beaucoup de choses pour travailler sur la ferme mais elle reconnaît avoir la capacité de prendre du recul, d’aller de l’avant, de se dire que c’est un essai qu’ils avaient envie à l’époque avec son mari… se laissant la possibilité de faire autre chose, la liberté de ne pas se bloquer dans un métier.

Tant que la ferme était petite, elle était formatrice à temps plein au centre de formation agricole (CFPPA) de Montfort-sur-Meu, puis à mi-temps, ce qui lui a permis de s’occuper de la volaille en vente directe à la ferme. Aujourd’hui elle travaille au CFPPA du Rheu, spécialisé en maraîchage et en bio. Elle y rencontre des personnes non issues du milieu agricole, les néo ruraux, et fait confronter leurs rêves à la réalité. C’est tout là le rôle du formateur, « de les faire atterrir » pour que les stagiaires concrétisent un projet professionnel dont l’objectif est d’en vivre. Elle apprécie d’être à la fois en activité et de rencontrer des gens qui démarrent leur activité, ajoutant que les stagiaires apprécient qu’il y ait des formateurs de terrain.

Au Boc-es-Chênes, Thérèse s’occupe de la gestion administrative et de la traite des vaches, « pas les travaux des champs ni les tracteurs. » Son mari, quant à lui, est aux cultures : semence des prairies, fauches pour l’ensilage et l’enrubannage, foins pour les stocks d’hiver ; et à l’affouragement des animaux. Thérèse fait attention à être très bien organisée et efficace pour gagner du temps entre ces deux mi-temps. Le fait de ne pas avoir d’enfant joue beaucoup aussi dans son organisation.

Cependant, tout n’est pas si simple quand on parle de statut ! Comme elle était salariée en dehors de la ferme, elle ne pouvait pas entrer dans le GAEC. Elle a longtemps bénéficié d’aucun statut sur l’exploitation, comme cela arrive souvent pour les femmes, encore aujourd’hui. Cette situation ne lui convenait pas vraiment vis-à-vis de l’extérieur ni pour sa retraite. Depuis peu, elle a fait le « choix par défaut » de se rattacher au « sous statut », dit-elle, de conjoint collaborateur. C’est « mieux que rien » mais elle pointe bien là du doigt le problème de reconnaissance dans sa vie professionnelle d’agricultrice. « Ce sont majoritairement les femmes qui ont des statuts défavorisés, c’est un choix pour payer moins de cotisations sociales mais finalement elles en paient les frais, elles ont une retraite de misère et elles n’ont pas les même droits que leur mari ; l’Etat français n’est pas au clair avec ça et la profession majoritaire – à savoir l’agriculture conventionnelle – ne milite pas pour que les droits avancent. »

Et encore du collectif !

Des réseaux, elle en fait partie ! Mais disons qu’elle et son conjoint semblent être surtout moteurs dans la création de réseau.

Au départ, Thérèse reconnaît qu’ils étaient dans un système très intensif en total contradiction avec leur idée de l’agriculture – à savoir l’agriculture paysanne – qu’ils avaient avant même leur installation. Ils utilisaient un peu de pesticide (d’une marque bien connue…) sur le champ de maïs et trouvaient les animaux ni résistants ni adaptables…

« Quand on expérimente des nouvelles choses ou quand on se pose des questions sur nos pratiques, il n’y a pas beaucoup de gens pour nous épauler et les conseillers agricoles nous décourageaient ». C’est alors qu’ils ont créé un groupe de réflexion et de formation entre collègues, la plupart membres de la Confédération paysanne, qui a abouti à la création d’un groupe d’éleveurs en système herbager, appelé Adage 35 (Agriculture durable par l’autonomie, la gestion et l’environnement). Le but étant de mutualiser les expériences, limiter la prise de risque et, surtout, de renforcer la cohésion et la motivation de groupe. L’Adage a aujourd’hui un peu plus de vingt ans.

Reine de l’organisation, elle a également fait partie d’un groupe de comptabilité au sein de la Cuma de chez elle, ou bien encore elle a animé des ateliers sur la gestion administrative à la Chambre d’agriculture.

Thérèse a toujours milité pour la paysannerie. C’est une évidence pour elle que le métier de paysan se fait en groupe : « c’est valorisant pour la dynamique de territoire et cela permet des discussions sur les politiques agricoles ».

Son mari lui dit souvent « Ah, ça y est, tu as encore une idée… » Au moment de l’entretien, elle avait l’envie de créer une coopérative qui aiderait les jeunes non issus du milieu agricole à s’installer en complétant leur formation par des stages dans des fermes encadrés par des paysans en Bretagne, à l’instar de ce qui se fait en Loire-Atlantique.

Accueil paysan, refuge LPO, soutien à la ZAD de Notre-Dame-des-Landes… les convictions et les mises en pratique sont bien réelles et multiples. « La militance lui vient de réflexions bien personnelles et non familiales », explique-t-elle. Et dans ce tourbillon d’idées d’un monde meilleur, le lieu respire la tranquillité et l’humilité…

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Une blonde, une ronde, une gorgée : voici la Drao !

La bière dans l’âme, Rozenn Mell est paysanne brasseuse à Melesse où elle produit une bière artisanale, locale et bio, la Drao, depuis 2013.

J’ai rencontré Rozenn en mars 2017. Encore une fois la simplicité et l’authenticité des échanges étaient au rendez-vous. Passionnée et terre-à-terre à la fois, Rozenn m’a accueillie à la brasserie plusieurs fois entre mars et octobre 2017.

De l’agro à la bio : de l’or-ge dans les mains

Originaire du Finistère, Rozenn est venue à Rennes suivre des études en agroalimentaire de 2002 à 2007. Elle y découvre l’art du brassage de la bière au sein de l’association étudiante « La ruée vers l’orge ».

En parallèle, elle réalise des petits boulots d’été chez des maraîchers bio en vente directe qui lui transmettent les notions de circuits courts, de l’éthique, du contact humain et de la relation « de la terre à l’assiette ».

Et quand elle rentre dans sa famille, elle va voir ses cousins et donne des coups de main à son oncle, producteur de cidre.

Après deux ans dans un bureau d’études en environnement travaillant pour les industries agroalimentaires, Rozenn n’y trouve pas son compte « éthiquement parlant » et décide de quitter son poste. Pendant ce temps de réflexion, elle continue à brasser la bière avec son compagnon. C’est alors qu’elle part faire des stages chez des maraîchers et s’inscrit ensuite à la formation en agriculture biologique du Rheu. Le déclic arrive quand on lui parle d’un paysan brasseur installé dans le Morbihan. Rozenn s’immerge alors dans le milieu et va à la rencontre des différentes brasseries bretonnes.

Pour s’installer en tant que paysanne brasseuse, il faut des terres pour cultiver l’orge. Rozenn répond en 2011 à un appel à candidat à Montreuil le Gast, et bingo, elle peut travailler sur une terre déjà certifiée bio de 10 hectares. En 2012, elle trouve le bâtiment qui fera office de ferme brasserie à Melesse. Le temps de réaliser les démarches d’installation, elle démarre réellement son activité en janvier 2013. En mai de la même année, elle célèbre son premier brassin. Aujourd’hui, elle est passée de 10 à 20 hectares, non pour courir à l’agrandissement mais pour créer un poste.

Let’s dance

Drao vient du gallo, la langue du coin, et signifie danse, ronde, fête… tout ce qui va bien avec l’image festive de la bière. Blues, polka, flamenco… les noms des bières se déclinent au rythme des pas de danse et des saisons pour les séries limitées. La blonde vous emporte sur du boogie woogie, l’ambrée sur du funky groovy. La communication colorée est assurée par un infographiste d’Hédée.

Rozenn élabore elle-même les recettes, jouant sur les variétés et les quantités. Pour cela, elle se rend dans ses champs d’orge une fois par semaine pour vérifier les terres, voir les besoins en désherbage, semer au printemps ou à l’automne, récolter en été. La partie brasserie est la plus conséquente : production de 1000 litres par semaine, conditionnement en bouteilles ou en fût, brassage, livraison…

Son objectif étant de fabriquer un produit et de le vendre sur le territoire à des personnes de confiance, Rozenn privilégie la vente directe en ouvrant la ferme brasserie le vendredi après-midi et en livrant à un maximum de 30 kilomètres de chez elle. « L’achat n’est pas un acte anodin, c’est soutenir une entreprise locale, conforter des emplois, mettre du sens » explique-t-elle à ses clients. Le bouche-à-oreille s’est chargé du reste.

Un rythme de croisière à trouver quand on est une femme

Aujourd’hui, le challenge est de trouver un rythme de travail confortable pour elle et son employée, mais aussi au niveau familial. Les deux s’imbriquent car il s’agit bien pour elle d’un projet de vie. Léger bémol qui n’altère rien à son enthousiasme : le brassage de la bière est et reste un travail, elle a donc posé des limites horaire dès le départ.

Au début de son activité, elle traversait un stress quotidien car elle avait tout à créer, avec les emprunts à rembourser dans un coin de sa tête. Aujourd’hui, elle est plus sereine, elle a trouvé son rythme et elle produit des quantités suffisantes. « Il faut beaucoup d’énergie au départ pour tenir mais ça a été car j’aime ce que je fais ».

Par ailleurs, Rozenn est très vigilante quant à l’aspect très physique de ce travail qui nécessite énormément de manutentions. « Il faut être en forme » mais ce n’est pas une raison pour s’user la santé ; elle est alors à l’écoute des besoins de son employée et des siens pour mettre en place des outils nécessaires et soulager le corps.

Du réseau et des soutiens

Rozenn se rend fréquemment à la CUMA (Coopérative d’utilisation du matériel agricole) du coin. L’enjeu a été de comprendre le jargon et la langue locale mais surtout de se faire accepter… Ses terres étaient convoitées par des voisins qui regardaient d’un mauvais œil son installation : une femme qui fabrique de la bière en agriculture biologique, ça n’a aucun sens… Il lui a fallu beaucoup dialoguer avec eux pour que, désormais, elle soit plus sûre d’elle et ait moins d’appréhension. Si bien qu’elle a pu déléguer la conduite des engins sur son champ.

Le propriétaire du bâtiment de la brasserie, James, est agriculteur conventionnel. Il lui a permis de se faire intégrer plus facilement et de bénéficier de son soutien sur place dans le milieu conventionnel : « ça fait du bien car c’est comme si j’avais pris leur terre ».

Le rôle de l’entourage est très important pour elle. Elle remercie son conjoint pour toute l’aide qu’il a pu lui apporter, surtout la première année, en l’assistant dans les travaux ou aujourd’hui en l’appuyant dans des prises de décisions ou à résoudre des questionnements.

Il y a aussi les collègues en AB avec qui elle fait des échanges, comme « du fumier contre de la paille ».

Adhérente dans différentes structures de soutien à l’agriculture biologique et paysanne, elle a parfois l’impression de plus consommer de l’information que d’être vraiment impliquée. Tout cela n’est pas évident à mettre en place quand il y a la vie de famille d’un côté et un rythme de travail à tenir.

 


Pour en savoir + sur elle :

Son site Internet Ferme Brasserie Drao et page Facebook

Des légumes, le grand air et la femme sauvage.

Sarah le Goff est maraîchère depuis 2010 à Iffendic, près de la mythique et mystique forêt de Brocéliande. Aujourd’hui elle a 40 ans, assume les coups durs météo ou techniques de son métier et, surtout, s’épanouie au contact de la nature.

J’ai rencontré Sarah en mai 2016. Autour d’un thé aux épices, porte et fenêtres de sa maison grandes ouvertes, un chien qui vagabonde, des chevaux bien heureux, des terres surplombant la campagne alentour, Sarah s’est confiée sur son parcours, son travail de maraichage, sa vie de femme tout simplement.

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Un parcours de soignante : de l’infirmerie à l’alimentation

Dans sa vie d’avant, Sarah était infirmière. Puis, peu à peu, elle n’a plus été en accord avec la surmédicalisation et l’alimentation dans les centres de soin, les hôpitaux, les maisons de retraite, etc. Végétarienne depuis longtemps, elle s’est alors rapprochée du soin par les plantes en suivant une formation en herboristerie. La législation française était trop compliquée dans ce domaine ; pourtant elle souhaitait réellement et concrètement mettre les plantes et la santé au cœur de son activité professionnelle. C’est alors qu’elle s’est orientée vers le maraichage. Et la voilà suivre pendant deux ans la formation agricole au Rheu.

Le diplôme en poche, la recherche du foncier pour s’installer a été un peu longue… mais elle a finalement trouvé une ferme et des terres à Iffendic où aujourd’hui elle vit et travaille.

Quand la réalité du métier…

Installée seule, des galères, elle en a connu pendant cinq ans : soucis techniques, dégâts météo, coups durs… Heureusement, les amis lui ont donnés des coups de main. D’ailleurs, elle n’envisage pas de « travailler seule toute sa vie car c’est un métier physique et dur », et ce, pour ne pas s’user la santé.

Fort heureusement pour elle, avant son installation, les terres étaient des prairies ; Sarah a pu en tirer parti pour la labellisation directe en agriculture biologique.

En location, elle bénéficie de deux hectares de terrain autour de la maison où elle habite, 800 m2 de tunnels pour y cultiver les légumes, un verger et deux beaux et fringants chevaux. Elle produit une cinquantaine de légumes à l’année, du jus de pommes issus du verger, sans oublier les plantes aromatiques, le tout vendu en vente directe. Elle distribue les trois-quarts de sa production en Amap et se rend aux marchés hebdomadaires d’Iffendic et de Paimpont. Elle écoule le reste de sa production de légumes à quelques restaurants rennais à la saison, et ponctuellement à un groupement de producteurs. De temps en temps, elle répond à des commandes pour de l’évènementiel. Et, enfin, elle prépare des colis vendus directement à la ferme.

Dans sa pratique professionnelle, Sarah est beaucoup plus organisée qu’au départ, elle anticipe beaucoup plus, elle appelle cela « l’organisation par l’expérience ». Il y a d’un côté les contraintes à gérer : la solitude, la météo et le vent (la ferme est sur une butte), la fatigue. Mais surtout il y a cette liberté d’être son propre patron, de travailler seule, même en tant que femme, sans compte à rendre, de prendre des décisions par soi-même.

… se conjugue avec l’art de vivre…

Être dehors en contact avec la nature, être en lien avec le rythme des cycles naturels : voilà son plus grand plaisir.

Quand elle arrive à se prendre des temps libres, Sarah en profite pour s’adonner à ses passions que sont la photo, le dessin, la musique, le cheval. Un brin artiste, n’est-ce pas ? Durant ces moments de « off », elle veut vraiment faire autre chose que l’agriculture, puisqu’elle y passe 10 heures par jour… ces temps libres peuvent être difficiles à prévoir lors de la haute saison.

… et le militantisme.

Secrète sur ses origines, après avoir vadrouillé à droite à gauche, entre autres dans les Cévennes, Sarah s’est établie en Bretagne, région qu’elle affectionne énormément pour ses paysages et ses habitants, mais région dont elle ne comprend pas du tout le modèle agricole.

Impliquée au niveau du collectif départemental, Sarah milite à la Confédération Paysanne pour l’accès au foncier principalement et aussi pour y rencontrer des collègues paysans. Elle regrette que le maraichage n’y soit pas beaucoup représenté, « ni les femmes à ce propos ». Pour elle, il est très important de défendre l’agriculture paysanne. D’ailleurs, Sarah se définit « paysanne » et non « agricultrice » comme le veut la législation en vigueur.

En parallèle, elle fait partie d’Agrobio35, organisation de soutien à l’agriculture biologique en Bretagne pour bénéficier de leurs formations, quand elle peut, car elles sont souvent proposées au moment de la pleine saison de maraichage.

Quant à ses voisins agriculteurs, elle les respecte même s’ils ont une vision totalement opposée de l’agriculture. Toutefois, elle ne partage aucun lien avec eux et remarque une pratique de l’agriculture très individuelle. « Il y a plus de lien entre les petits qu’entre les gros, qui sont tous à courir pour avoir le plus de terres » note-t-elle. Pour témoigner de la solidarité présente chez les « petits », Sarah me parle de collègues et de copains maraichers qui lui prêtent du matériel de temps en temps ou qui lui donnent des coups de main. Et de, pourquoi pas, réaliser des journées d’échange…

Et la vie de femme dans tout ça !

La solitude lui est pesante à l’heure de vouloir fonder une famille mais sa facette artiste l’a amenée à organiser des spectacles à domicile avec un ami clown « pour faire bouger la campagne ».

Superwoman, elle en a des airs… à l’instar de nombreuses autres femmes qui croient et qui se démènent dans leur activité. Souvent, on lui dit qu’elle et forte et courageuse, et elle le sait, pourtant elle sait aussi qu’il faut gérer et surmonter la fatigue, et cela est loin d’être évident !

Elle aime apporter une touche féminine quand elle fait les marchés, par exemple, elle s’habille « comme une femme » portant alors boucles d’oreille et maquillage, « ça lui fait plaisir » et la change du quotidien.

Valérie et ses petits fromages

Fromages au lait cru : les saveurs de l’artisanat

Valérie Le Dantec est productrice de fromages au lait cru bio de chèvre, de brebis et de vache à Chavagne depuis plus de 10 ans désormais.

J’ai rencontré Valérie en avril 2016. Son grand sourire et une douceur toute particulière ont accompagné l’interview. Volonté, humilité, humanité, générosité… Valérie s’est démenée pour faire sa place de fromagère et a trouvé aujourd’hui son équilibre et son réseau.

 

« Des tripes » au fromage

Un papa ingénieur informaticien, une maman au foyer, un appartement à Rennes, des études en action commerciale : l’environnement familial et culturel de départ ne se prêtait pas à ce à quoi aspirait Valérie au fond d’elle, « dans ses tripes ».

Le BTS en poche, elle a travaillé sur les marchés de la côte morbihannaise où elle vendait des fromages. Conquise par cette expérience, elle s’est alors rendue dans la ferme productrice de ces dits fromages, près de Quiberon. Elle y a appris le travail agricole auprès de chèvres Poitevines, « les noires avec des petits traits blancs, toutes mignonnes, en voie de disparition à l’époque, qui ne font pas énormément de lait mais du très bon lait ». 3 années de joie et de plaisir.

Un parcours d’artisane fromagère

Valérie entend dire qu’un fermier vend chèvres et bâtiments ; elle décide de racheter les outils de production et les animaux. A ce moment-là, elle a 28 ans.

Très vite, elle revend les bêtes pour se consacrer uniquement à la fabrication du fromage. Elle rencontre Serge qui lui vend désormais son lait de chèvre en lait cru. En parallèle, Nicolas, installé seul et qui cherchait des clients, lui vend son lait de brebis. Pour le vache, c’est la ferme d’à côté, la ferme des Petits Chapelais. A savoir qu’il est difficile de trouver du lait issu des petits ruminants en vente directe puisque la plupart des éleveurs vendent aux laitiers.

La vente directe lui tient à cœur. Au début, pendant plusieurs années, ce n’était pas l’usage mais aujourd’hui, suite aux histoires de vache folle, les gens se sont détournés de l’industriel et dirigés peu à peu vers la vente directe. Faire du formage artisanal en vente directe et voir les gens sourire, c’est sa réponse à elle pour faire face au monde industriel « qui ne lui correspond pas ».

Cela fait 10 ans que sa fromagerie Maliguen fonctionne, « 10 ans de volonté » résume-t-elle, 10 ans où elle a essayé de s’en sortir. De cette expérience, elle en retire du positif. Ce qui lui tient vraiment à cœur, c’est d’entretenir de très bons rapports avec les gens avec qui elle a travaillée. Son entreprise est à taille humaine, ce qui lui convient bien dans sa manière de travailler et d’envisager les relations professionnelles. Elle a pu employer deux personnes à mi-temps, avec qui elle s’est bien entendue. Mais surtout, elle fabrique un produit fait avec ses mains, passé en bio très rapidement, « ce besoin de réaliser quelque chose est viscéral » ajoute-t-elle.

Elle ne vendait qu’au marché des Lices à Rennes au départ, ce sont les urbains qui consomment du chèvre et du brebis. Puis, Valérie passe par les réseaux de distribution tels que les Amap et les groupements de producteurs, ce qui lui apporte une grande bouffée d’air parmi ses préoccupations financières, de se sentir moins seule dans son travail et dans la relation aux consommateurs. Et aussi de réaliser des investissements en matériel et d’employer Yvonne, qui l’aide au quotidien. Moment important dans son parcours.

Dans son laboratoire de Chavagne, ses difficultés sont principalement physiques : le nettoyage systématique, les nombreuses manutentions, les horaires… Elle estime perdre beaucoup de temps aux tâches administratives « exponentielles ». Être à son compte signifie connaître la loi qui évolue souvent et il est impératif de tout savoir. Et quand un problème technique arrive, il faut trouver des astuces et des solutions rapidement. Face à ces complications, il y a tout de même un belle récompense : l’humain ! Voici donc ce qui l’a porté et qui l’habite toujours : apporter de l’humanité, de la générosité et du plaisir partagé…

 

« Rentrer dans les cases » : l’heure du défi

La Chambre d’Agriculture et la Chambre des Métiers lui ont posées quelques soucis : elle ne rentrait pas dans les cases ! Elle n’a pas de chèvres, elle n’est donc pas agricultrice fromagère. Elle produit à petite échelle et en vente directe, elle n’est donc pas fromagère industrielle. Pourtant, il fallait bien qu’elle s’inscrive quelque part. Frustration de ne pas être reconnue et moments de solitude.

Cette solitude, en tant qu’ « artisane » de fromages, lui a pesée… Même les premiers réseaux de producteurs bio ne voulaient pas d’elle. Émotionnellement, ce clivage et cet étiquetage ont été difficiles à vivre. « Le corporatisme, c’est lourd ».

Faire reconnaître à la Chambre d’Agriculture que les artisans fromagers pourraient être assimilés aux agriculteurs, voilà le défi principal que Valérie souhaiterait relever afin que les artisans liés au secteur agricole puissent avoir accès aux informations, aux formations, aux interlocuteurs ou encore au réseau. Il y a une porte à ouvrir… ainsi que dans la bio !

Et la vie de femme dans tout ça !

« Qu’on soit homme ou femme, il faut être courageux car les petits ruminants sont moins rentables que la vache », déclare Valérie en tout premier lieu.

La différence homme / femme repose principalement, selon elle, sur son manque de force et de formation au niveau technique. Toutefois débrouillarde et bien entourée, elle fait appel aux copains pour l’aider.

La touche féminine, dans son travail, se porte plus sur la sensibilité et l’esthétisme quand elle fait des marchés par exemple. Elle va mettre des couleurs sur l’étalage pour le rendre joli et attrayant.

Quant à la relation entre la vie personnelle et la vie professionnelle, Valérie a bien su distinctement séparer les deux une fois enceinte. En plus, elle a besoin de sentir libre, de ne pas être prisonnière de son travail. Elle a optimisé son organisation de travail très rapidement en épurant ce qui n’était pas rentable ni efficace, de sorte à ne pas perdre de temps et pouvoir finir tôt pour récupérer ses filles à l’école. Elle reconnaît avoir aussi besoin de temps de repos et de vacances puisque, dit-elle les yeux rêveurs, « j’ai aussi soif de découvrir la terre et l’ailleurs ». « C’est la terre qui nous nourrit, qui gère ma vie, j’ai envie de voir ce que la terre a dans le ventre ». Elle habite la commune d’à côté, avec ses deux enfants ado. Elle apprécie ne pas vivre sur le lieu d’exploitation. Tout cela lui apporte une qualité de vie tout à fait correcte.

Sans parler directement de charge mentale, elle avoue qu’être à la fois une maman, une femme de foyer, une gérante d’entreprise est parfois très fatigant : « il faut être la reine partout ». Tout comme dans la vie de couple qui peut en être impacté.

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Les tisanes d’Anaïs

Les mains dans les plantes, les plantes dans la tête, la tête dans les rêves

Anaïs Kerhoas, la trentaine, installée à Sains dans le nord de l’Ille-et-Vilaine, produit des plantes aromatiques en agriculture biologique pour en confectionner des tisanes. Si aujourd’hui la jeune femme vit de son activité, ce n’est pas moins un parcours de combattante qu’elle a dû entamer avant d’arriver aux Tisanes d’Anaïs, comme en témoigne le film documentaire de Marion Gervais Anaïs s’en va-t-en guerre.

J’ai rencontré Anaïs en septembre 2016. Énergie de feu, volonté, questionnements, authenticité, sensibilité, tels sont les mots qui me viennent à l’heure de parler d’elle.

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Désherbage au soleil

Coup de cœur pour les plantes

Quand fille de la ville devint fille des champs.

Ado, c’est en se rendant chez son père qui venait d’emménager dans une maison avec jardin aux abords de Saint-Malo, qu’Anaïs découvre le vaste univers des plantes et du jardinage. La délicatesse et la beauté des fleurs, les couleurs et les saveurs de la vie.

Elle s’est ensuite passionnée pour les huiles essentielles et leurs pouvoirs magiques. Suite à des expériences diverses qu’une jeune fille de 18 ans peut parcourir à cet âge, à savoir études et voyage initiatique, Anaïs suit une formation en herboristerie pendant 2 ans. Gérard Bensoussan, producteur de plantes près de Quimper, l’accueille lors d’un stage de 15 jours et c’est alors qu’Anaïs réalise qu’elle préfère la partie agricole des plantes aux conseils pharmaceutiques. La motivation part en flèche, le rêve de faire découvrir des utilisations ancestrales des plantes brille dans ses yeux : elle décide de s’installer et de partager ces petits trésors de tisanes.

Coup de main des amis

Gérard l’encourage. Sa famille la soutient malgré leur étonnement. Un ami de son père est prêt à lui revendre ses terres.

A l’issu de la formation agricole de maraîchage et des stages pratiques chez Christophe et Sophie, les maraîchers bio et grands amis d’à côté (Pleine-Fougères), Anaïs s’installe. On est alors fin 2012. Ensemble, ils ont réussi à lui trouver une maison à louer avec un champ, à construire un séchoir dans une caravane et une serre pour la pépinière.

Malgré le soutien des ses amis, Anaïs a dû se confronter à un parcours de combattante pour acquérir des terres et être prise au sérieux.

Aujourd’hui, elle bénéficie d’un champ d’1,4 hectares avec « de la bonne terre » et de grands bâtiments permettant le séchage, le tri, l’ensachage, l’administratif.

Anaïs cultive une cinquantaine de plantes, des sauvages, des annuelles, des vivaces, et vend ses tisanes en vente directe principalement.

Son champ de bataille s’est fait connaître grâce au film documentaire Anaïs s’en va-t-en guerre de Marion Gervais ; elle a obtenu la sollicitude du chef cuisinier cancalais Olivier Roellinger. Pour autant, elle garde les pieds bien ancrés et cherche à assurer ses points de vente une fois que l’effet « film » diminuera. Et ne souhaite pas vendre là où ses collègues tisanières, à l’instar de Sophie Persehais, distribuent déjà.

Coup de gueule

Lors de cet après-midi d’entretien et de confidence, Anaïs manifeste de la colère et ne mâche pas ses mots ! Les principaux inculpés : les agriculteurs conventionnels – « des vrais fach… arriérés » – qui ne sont jamais sortis de leur ferme et qui continuent à faire la même chose en se mentant à eux-mêmes, en croyant que ce qu’ils font c’est bien alors qu’ils polluent. Il faut qu’ils atterrissent et descendent de leur tracteur ».

Puis la chambre d’agriculture qui « décourage sans même savoir ce que les gens sont capables de réaliser ».

Puis le système. Anaïs revendique avoir une style de vie « sobriété heureuse ». Son but n’est pas de gagner beaucoup d’argent. En revanche, « ce n’est pas normal de ne pas pouvoir gagner l’équivalent d’un SMIC à bien plus de 35 heures semaine alors qu’on nourrit la planète », elle compare ce système à de l’esclavagisme moderne.

Puis aussi contre les mouvements à la mode, à l’instar du véganisme ou de la permaculture, portés par des gens qui veulent révolutionner l’agriculture et qui n’ont cependant jamais mis de bottes ni travailler la terre. Les « écolos intégristes desservent les agriculteurs également car ils jugent vite. Anaïs s’avoue très vigilante face au prosélytisme. Un petit sourire au coin, elle avoue qu’elle critique mais qu’au moins, « ces gens-là se posent des questions… » Elle reprend l’idée de la légende du colibri : « montrer par l’exemple ».

Et la vie de femme dans tout ça !

Anaïs ne se sent pas moins féminine d’être dans un champ. Il est vrai qu’elle a beaucoup moins de temps pour s’occuper d’elle ni pour d’autres activités mais aujourd’hui elle fait un peu plus attention et se permet parfois des petits plaisirs : bains, lectures…

Quand elle prend du temps pour elle, elle se sent complètement désemparée… Elle remarque que c’est difficile aussi de prendre soin d’un couple quand de nombreuses préoccupations liées à son activité agricole se cognent dans sa tête. Se pose ici la question de la gestion du stress et de la fatigue.

Quant aux conditions de travail, elle admet que « si un jour j’attends un bébé, je n’ai pas de congé maternité ni personne pour me remplacer ». Et la séparation « boulot / travail » n’est pas si simple… elle habite où elle travaille.


Pour en savoir + sur elle :

Son site internet : Les tisanes d’Anaïs

Le film documentaire de Marion Gervais : Anaïs s’en va-t-en guerre