Portraits de femmes engagées dans l’agriculture biologique en Ille-et-Vilaine (Bretagne, France).
Par ordre d’apparence : 1. Thérèse Fumery, produtrice de lait bio ; 2. Marie-Christine Lesage, productrice de fromages frais ; 3. Marion Rupin, maraîchère ; 4. Marie Bertrand, paysanne boulangère ; 5. Sylvie Thiel, maraîchère ; 6. Marine, vente à la ferme ; 7. Evelyne Loison, ex-productrice de boissons et desserts à l’avoine ; 8. Anaïs Kerhoas, productrice de tisanes et plantes aromatiques ; 9. Rozenn Mell, paysanne brasseuse ; 10. Sophie Persehais, productrice de tisanes et plantes aromatiques ; 11. Elysabeth Gury Oberthur, productrice de jus de pommes ; 12. Gwenolée Goueset, productrice de fromages frais ; 13. Valérie Le Dantec, productrice de fromages de chèvre et brebis ; 14. Cécile Duté, vente de lait cru et productrice de glaces ; 15. Sarah Le Goff, maraîchère.
Sous forme de portraits de femmes impliquées dans l’agriculture biologique en Ille-et-Vilaine, ce reportage présente une à une la vie de 15 paysannes d’aujourd’hui.
Les agricultrices cherchent de plus en plus à mettre en cohérence leur projet professionnel, leur projet de vie et leurs convictions personnelles : vie saine au rythme de la nature, préservation de l’environnement, paysannerie.
J’ai repéré, entre 2016 et 2018, des initiatives de femmes au niveau local afin de comprendre les enjeux qui les portent. Vous pouvez découvrir et lire, entre autres, les témoignages d’une paysanne brasseuse, d’une productrice de fromages, d’une herboriste, de maraîchères m’attachant à expliquer les raisons de leur lancement dans l’activité agricole, les liens créés avec le territoire ainsi que leur féminité.
Marie Bertrand est paysanne boulangère, et Marion Rupin est maraichère. Ces deux amies se sont installées sur le même lieu, à la Ferme des 5 Sens, à Guipry-Messac, avec trois autres acolytes Pierre, Mickaël et Tamara.
Je les ai rencontrées en mai 2016. Ces deux jeunes trentenaires, tout autant rêveuses que réfléchies, m’ont présentées leur ferme où, en effet, le sens n’est pas seulement à la quête mais l’objet de leur réalité.
Marie Bertrand (à gauche) et Marion Rupin (à droite)
En quête de sens
Entre les études en économie sociale et solidaire achevées en 2007 et le projet de reprise de la Ferme des 5sens en 2014, il y a d’abord les premières expériences professionnelles, et aussi et surtout les questionnements, les utopies et les envies de concret, de retour à la terre, de reconnexion avec le territoire.
Marie a appris à faire du pain bien loin d’ici… en Bolivie alors qu’elle travaillait pour une ONG dans la recherche de financement. Déçue par le secteur de la solidarité internationale, mais tenue par l’idée de revenir à la terre, elle a envie de mettre en pratique ce qu’elle a appris là-bas et décide avec son compagnon de se former dans le sud-ouest où ils obtiennent leur certificat de spécialisation en agriculture biologique. Cette deuxième aventure dure cinq ans. Puis arrive leur bébé, une petite fille d’aujourd’hui cinq ans, une autre aventure encore. Puis l’envie de s’installer. Alors pourquoi pas vivre le rêve d’un projet d’installation collective avec une bande de copains copines ?
Marion milite dans des collectifs anti-pubs et participe a des chantiers participatifs. Les questions de la consommation « mieux et bien » l’interrogent énormément et l’orientent sur l’alimentation. Puis, elle réalise son premier travail en Ardèche où elle accompagne des porteurs de projets en milieu rural. A ce moment-là, elle a envie d’être de l’autre côté du bureau, à savoir de porter son propre projet. C’est alors qu’elle se lance elle aussi dans un contrat de spécialisation en agriculture biologique dans le sud de la France au sein d’une ferme maraîchère et arboricole. Elle se confronte physiquement au métier, elle travaille dehors. Après un voyage avec son compagnon, ils reviennent en Ille-et-Vilaine pour se reconnecter avec le territoire. Durant trois ans, elle est salariée comme maraîchère dans une ferme à Corps-Nuds où elle a la chance d’être autonome sur la production et la commercialisation. En parallèle, elle donne naissance à deux petites filles. Et vient l’envie de s’installer aussi !
Marion au volant du tracteur de la ferme
Marie pétrie le pain et le laisse reposer
Le sens du collectif
En octobre 2015, c’est le début de l’aventure commune. Le groupe de copains – ils sont six au total – s’installe à la Ferme des 5 sens, déjà labellisée bio, et crée une cohabitation d’entreprises sur ce même lieu.
La ferme compte un grand hangar, des terres, un bâtiment… Marie et Mickaël, son conjoint, se lancent en tant que paysans boulangers en GAEC (groupement agricole d’exploitation en commun) et reprennent l’activité déjà existante. Marion et Pierre, de leur côté, s’occupent des terres et font du maraîchage ; ils créent l’EARL « Les Primeurs des 5 Sens » (EARL = exploitation agricole à responsabilité limitée). Ils accueillent Tamara qui, quant à elles, fabriquent des savons, « La Savonnerie des 5 Sens ». Réside donc ici une communauté de travail, leur objectif étant « la création d’un espace de développement d’activités indépendantes dans un esprit coopératif et respectueux du vivant. » Cela permet de mutualiser la ferme, le matériel et la commercialisation tout en partageant des principes d’entraide, de solidarité et de convivialité.
Et le tout appartient à une SCI citoyenne (SCI = société civile immobilière) réunissant 240 citoyens qui ont choisi d’acheter la ferme collectivement. Ils ont été soutenus par l’association Terre de Liens, qui favorise les nouvelles installations paysannes, dans ce projet.
Marion et Pierre se sont spécialisés dans les légumes primeurs (de printemps), de fin d’été et d’automne. Ils vendent en circuit court principalement.
Marie et Mickaël sont à la fois au four et au moulin, dans les champs et au fournil, collègues et conjoints. Être paysans boulangers, c’est faire plein de tâches différentes. Ils cultivent 23 hectares en rotation. Le blé est envoyé au tri à Bain-de-Bretagne, ensuite ils récupèrent la farine pour leurs pains qu’ils produisent entre 300 et 400 kg par semaine. L’objectif serait 500 kg pour faire vivre deux personnes et restaurer leur propre moulin.
Le sens de l’organisation
Tout ça, sur papier, ça envoie du rêve, n’est-ce pas ? Le rêve étant devenu réalité. Mais les filles, Marie et Marion, parlent aussi de leurs doutes, de leur fatigue et de la nécessité d’une bonne organisation professionnelle et familiale. Il est nécessaire de séparer les temps et avoir des coupures géographiques et psychologiques. D’ailleurs personne n’habite sur la ferme.
Marion a le souhait d’organiser sa production de légumes aussi en fonction de ses enfants pour passer du temps avec eux. Les filles précisent qu’elles ne veulent pas que le choix de vie des parents soit subi par les enfants. Alors elles testent. Ce sont les toutes premières années. Marie souhaiterait avoir un peu plus de temps pour elle dans la semaine, et aussi pour son couple, et des temps de formation… « pas à pas, on va y arriver ! »
Il y a également des peurs à lever, comme celle de ne pas pouvoir tout gérer, entre la vie de maman, de femme et d’agricultrice. « Ce sont des superwomen, celles qui arrivent à faire ça » souligne Marion.
En avant pour la fournée
Sous la serre
Le sens du lien
L’un des objectifs de la Ferme des 5 Sens, c’est aussi vivre en lien avec un territoire. Alors la fine équipe organise des réunions publiques dans le but de faire connaître leur activité aux voisins, fêtes champêtres et autres moments de partage. « Je ne pense pas qu’ils nous prennent pour des beatniks », exprime Marion, sourire au coin. Et Marie répond « enfin, certains peut-être une peu ».
Un autre objectif dans la ferme est l’importance de la communication ; celle-ci permet de soulager« surtout dans un collectif » pour pouvoir compter les uns sur les autres. Cela passe par des réunions hebdomadaires pour gérer le quotidien à la ferme mais aussi par la volonté d’interactions humaines de qualité. « On apprend beaucoup plus de soi que des autres dans un collectif » affirment les deux acolytes.
Féminessence
Au moment d’aborder les questions de la place des femmes dans le milieu agricole et de la féminité, les filles me parlent en premier lieu de l’aménagement du travail « pour faire évoluer le métier », et pour développer la prise en compte du corps dans la pratique, par exemple pour prendre soin de son périnée. Ces adaptations ergonomiques peuvent être amenées par les femmes et « font du bien aux hommes aussi », admet Marion. Alors, quand l’une ou l’autre pense manquer de force physique, elles trouvent des combines ou demandent de l’aide à leurs voisins.
C’est lors de sa maternité que Marion s’est questionnée sur la place des femmes en agriculture car il lui fallait trouver des solutions techniques d’aménagement du travail. Aujourd’hui, « les hommes passent plus de temps avec les enfants et le partage des tâches a permis qu’on a pu s’installer et faire ce métier là » témoigne-t-elle.
Marie explique que parfois il faut se forcer à affronter une situation et certaines peurs, comme celle de conduire le tracteur : « c’est froid, c’est du métal » alors que travailler la farine, le blé, c’est plus organique, plus cocooning, ça lui ressemble plus.
Et comme il est important, dans l’esprit de leur collectif, de respecter l’équité entre les sexes, il est nécessaire que les uns et les autres soient interchangeables, dans un même corps de métier, sur les différents postes de travail afin de pouvoir se relayer et être au même degré d’information.
Le rapport à la féminité, « ce n’est pas toujours évident » quand au quotidien on porte des habits vieux et sales. « Faire attention à soi demande plus d’efforts » précise Marion, « faute de temps, il n’est pas toujours facile de trouver un sas de décompression avant de rentrer à la maison ou d’aller chercher mes filles à l’école, parfois j’aimerais leur montrer une autre image de la femme ».
Lors de jours de fatigue, Marie se maquille légèrement les yeux, juste pour elle, pour « l’image que tu te renvois de toi à toi », ou porte des boucles d’oreilles pour aller au marché. D’une voix amusée, elle précise qu’elle a envie « d’être aussi belle que son pain » pour accompagner le produit qu’elle fabrique jusqu’au bout.
Enfin, phénomène curieux mais ordinaire quand des femmes partagent un même lieu : leurs règles, « leurs lunes » comme elles les appellent, se sont calées en même temps. Marie et Marion sont « en phase » et disent pouvoir se comprendre au travail émotionnellement.
La bière dans l’âme, Rozenn Mell est paysanne brasseuse à Melesse où elle produit une bière artisanale, locale et bio, la Drao, depuis 2013.
J’ai rencontré Rozenn en mars 2017. Encore une fois la simplicité et l’authenticité des échanges étaient au rendez-vous. Passionnée et terre-à-terre à la fois, Rozenn m’a accueillie à la brasserie plusieurs fois entre mars et octobre 2017.
De l’agro à la bio : de l’or-ge dans les mains
Originaire du Finistère, Rozenn est venue à Rennes suivre des études en agroalimentaire de 2002 à 2007. Elle y découvre l’art du brassage de la bière au sein de l’association étudiante « La ruée vers l’orge ».
En parallèle, elle réalise des petits boulots d’été chez des maraîchers bio en vente directe qui lui transmettent les notions de circuits courts, de l’éthique, du contact humain et de la relation « de la terre à l’assiette ».
Et quand elle rentre dans sa famille, elle va voir ses cousins et donne des coups de main à son oncle, producteur de cidre.
Après deux ans dans un bureau d’études en environnement travaillant pour les industries agroalimentaires, Rozenn n’y trouve pas son compte « éthiquement parlant » et décide de quitter son poste. Pendant ce temps de réflexion, elle continue à brasser la bière avec son compagnon. C’est alors qu’elle part faire des stages chez des maraîchers et s’inscrit ensuite à la formation en agriculture biologique du Rheu. Le déclic arrive quand on lui parle d’un paysan brasseur installé dans le Morbihan. Rozenn s’immerge alors dans le milieu et va à la rencontre des différentes brasseries bretonnes.
Pour s’installer en tant que paysanne brasseuse, il faut des terres pour cultiver l’orge. Rozenn répond en 2011 à un appel à candidat à Montreuil le Gast, et bingo, elle peut travailler sur une terre déjà certifiée bio de 10 hectares. En 2012, elle trouve le bâtiment qui fera office de ferme brasserie à Melesse. Le temps de réaliser les démarches d’installation, elle démarre réellement son activité en janvier 2013. En mai de la même année, elle célèbre son premier brassin. Aujourd’hui, elle est passée de 10 à 20 hectares, non pour courir à l’agrandissement mais pour créer un poste.
Let’s dance
Drao vient du gallo, la langue du coin, et signifie danse, ronde, fête… tout ce qui va bien avec l’image festive de la bière. Blues, polka, flamenco… les noms des bières se déclinent au rythme des pas de danse et des saisons pour les séries limitées. La blonde vous emporte sur du boogie woogie, l’ambrée sur du funky groovy. La communication colorée est assurée par un infographiste d’Hédée.
Rozenn élabore elle-même les recettes, jouant sur les variétés et les quantités. Pour cela, elle se rend dans ses champs d’orge une fois par semaine pour vérifier les terres, voir les besoins en désherbage, semer au printemps ou à l’automne, récolter en été. La partie brasserie est la plus conséquente : production de 1000 litres par semaine, conditionnement en bouteilles ou en fût, brassage, livraison…
Son objectif étant de fabriquer un produit et de le vendre sur le territoire à des personnes de confiance, Rozenn privilégie la vente directe en ouvrant la ferme brasserie le vendredi après-midi et en livrant à un maximum de 30 kilomètres de chez elle. « L’achat n’est pas un acte anodin, c’est soutenir une entreprise locale, conforter des emplois, mettre du sens » explique-t-elle à ses clients. Le bouche-à-oreille s’est chargé du reste.
Un rythme de croisière à trouver quand on est une femme
Aujourd’hui, le challenge est de trouver un rythme de travail confortable pour elle et son employée, mais aussi au niveau familial. Les deux s’imbriquent car il s’agit bien pour elle d’un projet de vie. Léger bémol qui n’altère rien à son enthousiasme : le brassage de la bière est et reste un travail, elle a donc posé des limites horaire dès le départ.
Au début de son activité, elle traversait un stress quotidien car elle avait tout à créer, avec les emprunts à rembourser dans un coin de sa tête. Aujourd’hui, elle est plus sereine, elle a trouvé son rythme et elle produit des quantités suffisantes. « Il faut beaucoup d’énergie au départ pour tenir mais ça a été car j’aime ce que je fais ».
Par ailleurs, Rozenn est très vigilante quant à l’aspect très physique de ce travail qui nécessite énormément de manutentions. « Il faut être en forme » mais ce n’est pas une raison pour s’user la santé ; elle est alors à l’écoute des besoins de son employée et des siens pour mettre en place des outils nécessaires et soulager le corps.
Du réseau et des soutiens
Rozenn se rend fréquemment à la CUMA (Coopérative d’utilisation du matériel agricole) du coin. L’enjeu a été de comprendre le jargon et la langue locale mais surtout de se faire accepter… Ses terres étaient convoitées par des voisins qui regardaient d’un mauvais œil son installation : une femme qui fabrique de la bière en agriculture biologique, ça n’a aucun sens… Il lui a fallu beaucoup dialoguer avec eux pour que, désormais, elle soit plus sûre d’elle et ait moins d’appréhension. Si bien qu’elle a pu déléguer la conduite des engins sur son champ.
Le propriétaire du bâtiment de la brasserie, James, est agriculteur conventionnel. Il lui a permis de se faire intégrer plus facilement et de bénéficier de son soutien sur place dans le milieu conventionnel : « ça fait du bien car c’est comme si j’avais pris leur terre ».
Le rôle de l’entourage est très important pour elle. Elle remercie son conjoint pour toute l’aide qu’il a pu lui apporter, surtout la première année, en l’assistant dans les travaux ou aujourd’hui en l’appuyant dans des prises de décisions ou à résoudre des questionnements.
Il y a aussi les collègues en AB avec qui elle fait des échanges, comme « du fumier contre de la paille ».
Adhérente dans différentes structures de soutien à l’agriculture biologique et paysanne, elle a parfois l’impression de plus consommer de l’information que d’être vraiment impliquée. Tout cela n’est pas évident à mettre en place quand il y a la vie de famille d’un côté et un rythme de travail à tenir.
Sarah le Goff est maraîchère depuis 2010 à Iffendic, près de la mythique et mystique forêt de Brocéliande. Aujourd’hui elle a 40 ans, assume les coups durs météo ou techniques de son métier et, surtout, s’épanouie au contact de la nature.
J’ai rencontré Sarah en mai 2016. Autour d’un thé aux épices, porte et fenêtres de sa maison grandes ouvertes, un chien qui vagabonde, des chevaux bien heureux, des terres surplombant la campagne alentour, Sarah s’est confiée sur son parcours, son travail de maraichage, sa vie de femme tout simplement.
Un parcours de soignante : de l’infirmerie à l’alimentation
Dans sa vie d’avant, Sarah était infirmière. Puis, peu à peu, elle n’a plus été en accord avec la surmédicalisation et l’alimentation dans les centres de soin, les hôpitaux, les maisons de retraite, etc. Végétarienne depuis longtemps, elle s’est alors rapprochée du soin par les plantes en suivant une formation en herboristerie. La législation française était trop compliquée dans ce domaine ; pourtant elle souhaitait réellement et concrètement mettre les plantes et la santé au cœur de son activité professionnelle. C’est alors qu’elle s’est orientée vers le maraichage. Et la voilà suivre pendant deux ans la formation agricole au Rheu.
Le diplôme en poche, la recherche du foncier pour s’installer a été un peu longue… mais elle a finalement trouvé une ferme et des terres à Iffendic où aujourd’hui elle vit et travaille.
Quand la réalité du métier…
Installée seule, des galères, elle en a connu pendant cinq ans : soucis techniques, dégâts météo, coups durs… Heureusement, les amis lui ont donnés des coups de main. D’ailleurs, elle n’envisage pas de « travailler seule toute sa vie car c’est un métier physique et dur », et ce, pour ne pas s’user la santé.
Fort heureusement pour elle, avant son installation, les terres étaient des prairies ; Sarah a pu en tirer parti pour la labellisation directe en agriculture biologique.
En location, elle bénéficie de deux hectares de terrain autour de la maison où elle habite, 800 m2 de tunnels pour y cultiver les légumes, un verger et deux beaux et fringants chevaux. Elle produit une cinquantaine de légumes à l’année, du jus de pommes issus du verger, sans oublier les plantes aromatiques, le tout vendu en vente directe. Elle distribue les trois-quarts de sa production en Amap et se rend aux marchés hebdomadaires d’Iffendic et de Paimpont. Elle écoule le reste de sa production de légumes à quelques restaurants rennais à la saison, et ponctuellement à un groupement de producteurs. De temps en temps, elle répond à des commandes pour de l’évènementiel. Et, enfin, elle prépare des colis vendus directement à la ferme.
Dans sa pratique professionnelle, Sarah est beaucoup plus organisée qu’au départ, elle anticipe beaucoup plus, elle appelle cela « l’organisation par l’expérience ». Il y a d’un côté les contraintes à gérer : la solitude, la météo et le vent (la ferme est sur une butte), la fatigue. Mais surtout il y a cette liberté d’être son propre patron, de travailler seule, même en tant que femme, sans compte à rendre, de prendre des décisions par soi-même.
… se conjugue avec l’art de vivre…
Être dehors en contact avec la nature, être en lien avec le rythme des cycles naturels : voilà son plus grand plaisir.
Quand elle arrive à se prendre des temps libres, Sarah en profite pour s’adonner à ses passions que sont la photo, le dessin, la musique, le cheval. Un brin artiste, n’est-ce pas ? Durant ces moments de « off », elle veut vraiment faire autre chose que l’agriculture, puisqu’elle y passe 10 heures par jour… ces temps libres peuvent être difficiles à prévoir lors de la haute saison.
… et le militantisme.
Secrète sur ses origines, après avoir vadrouillé à droite à gauche, entre autres dans les Cévennes, Sarah s’est établie en Bretagne, région qu’elle affectionne énormément pour ses paysages et ses habitants, mais région dont elle ne comprend pas du tout le modèle agricole.
Impliquée au niveau du collectif départemental, Sarah milite à la Confédération Paysanne pour l’accès au foncier principalement et aussi pour y rencontrer des collègues paysans. Elle regrette que le maraichage n’y soit pas beaucoup représenté, « ni les femmes à ce propos ». Pour elle, il est très important de défendre l’agriculture paysanne. D’ailleurs, Sarah se définit « paysanne » et non « agricultrice » comme le veut la législation en vigueur.
En parallèle, elle fait partie d’Agrobio35, organisation de soutien à l’agriculture biologique en Bretagne pour bénéficier de leurs formations, quand elle peut, car elles sont souvent proposées au moment de la pleine saison de maraichage.
Quant à ses voisins agriculteurs, elle les respecte même s’ils ont une vision totalement opposée de l’agriculture. Toutefois, elle ne partage aucun lien avec eux et remarque une pratique de l’agriculture très individuelle. « Il y a plus de lien entre les petits qu’entre les gros, qui sont tous à courir pour avoir le plus de terres » note-t-elle. Pour témoigner de la solidarité présente chez les « petits », Sarah me parle de collègues et de copains maraichers qui lui prêtent du matériel de temps en temps ou qui lui donnent des coups de main. Et de, pourquoi pas, réaliser des journées d’échange…
Et la vie de femme dans tout ça !
La solitude lui est pesante à l’heure de vouloir fonder une famille mais sa facette artiste l’a amenée à organiser des spectacles à domicile avec un ami clown « pour faire bouger la campagne ».
Superwoman, elle en a des airs… à l’instar de nombreuses autres femmes qui croient et qui se démènent dans leur activité. Souvent, on lui dit qu’elle et forte et courageuse, et elle le sait, pourtant elle sait aussi qu’il faut gérer et surmonter la fatigue, et cela est loin d’être évident !
Elle aime apporter une touche féminine quand elle fait les marchés, par exemple, elle s’habille « comme une femme » portant alors boucles d’oreille et maquillage, « ça lui fait plaisir » et la change du quotidien.
Valérie Le Dantec est productrice de fromages au lait cru bio de chèvre, de brebis et de vache à Chavagne depuis plus de 10 ans désormais.
J’ai rencontré Valérie en avril 2016. Son grand sourire et une douceur toute particulière ont accompagné l’interview. Volonté, humilité, humanité, générosité… Valérie s’est démenée pour faire sa place de fromagère et a trouvé aujourd’hui son équilibre et son réseau.
« Des tripes » au fromage
Un papa ingénieur informaticien, une maman au foyer, un appartement à Rennes, des études en action commerciale : l’environnement familial et culturel de départ ne se prêtait pas à ce à quoi aspirait Valérie au fond d’elle, « dans ses tripes ».
Le BTS en poche, elle a travaillé sur les marchés de la côte morbihannaise où elle vendait des fromages. Conquise par cette expérience, elle s’est alors rendue dans la ferme productrice de ces dits fromages, près de Quiberon. Elle y a appris le travail agricole auprès de chèvres Poitevines, « les noires avec des petits traits blancs, toutes mignonnes, en voie de disparition à l’époque, qui ne font pas énormément de lait mais du très bon lait ». 3 années de joie et de plaisir.
Un parcours d’artisane fromagère
Valérie entend dire qu’un fermier vend chèvres et bâtiments ; elle décide de racheter les outils de production et les animaux. A ce moment-là, elle a 28 ans.
Très vite, elle revend les bêtes pour se consacrer uniquement à la fabrication du fromage. Elle rencontre Serge qui lui vend désormais son lait de chèvre en lait cru. En parallèle, Nicolas, installé seul et qui cherchait des clients, lui vend son lait de brebis. Pour le vache, c’est la ferme d’à côté, la ferme des Petits Chapelais. A savoir qu’il est difficile de trouver du lait issu des petits ruminants en vente directe puisque la plupart des éleveurs vendent aux laitiers.
La vente directe lui tient à cœur. Au début, pendant plusieurs années, ce n’était pas l’usage mais aujourd’hui, suite aux histoires de vache folle, les gens se sont détournés de l’industriel et dirigés peu à peu vers la vente directe. Faire du formage artisanal en vente directe et voir les gens sourire, c’est sa réponse à elle pour faire face au monde industriel « qui ne lui correspond pas ».
Cela fait 10 ans que sa fromagerie Maliguen fonctionne, « 10 ans de volonté » résume-t-elle, 10 ans où elle a essayé de s’en sortir. De cette expérience, elle en retire du positif. Ce qui lui tient vraiment à cœur, c’est d’entretenir de très bons rapports avec les gens avec qui elle a travaillée. Son entreprise est à taille humaine, ce qui lui convient bien dans sa manière de travailler et d’envisager les relations professionnelles. Elle a pu employer deux personnes à mi-temps, avec qui elle s’est bien entendue. Mais surtout, elle fabrique un produit fait avec ses mains, passé en bio très rapidement, « ce besoin de réaliser quelque chose est viscéral » ajoute-t-elle.
Elle ne vendait qu’au marché des Lices à Rennes au départ, ce sont les urbains qui consomment du chèvre et du brebis. Puis, Valérie passe par les réseaux de distribution tels que les Amap et les groupements de producteurs, ce qui lui apporte une grande bouffée d’air parmi ses préoccupations financières, de se sentir moins seule dans son travail et dans la relation aux consommateurs. Et aussi de réaliser des investissements en matériel et d’employer Yvonne, qui l’aide au quotidien. Moment important dans son parcours.
Dans son laboratoire de Chavagne, ses difficultés sont principalement physiques : le nettoyage systématique, les nombreuses manutentions, les horaires… Elle estime perdre beaucoup de temps aux tâches administratives « exponentielles ». Être à son compte signifie connaître la loi qui évolue souvent et il est impératif de tout savoir. Et quand un problème technique arrive, il faut trouver des astuces et des solutions rapidement. Face à ces complications, il y a tout de même un belle récompense : l’humain ! Voici donc ce qui l’a porté et qui l’habite toujours : apporter de l’humanité, de la générosité et du plaisir partagé…
« Rentrer dans les cases » : l’heure du défi
La Chambre d’Agriculture et la Chambre des Métiers lui ont posées quelques soucis : elle ne rentrait pas dans les cases ! Elle n’a pas de chèvres, elle n’est donc pas agricultrice fromagère. Elle produit à petite échelle et en vente directe, elle n’est donc pas fromagère industrielle. Pourtant, il fallait bien qu’elle s’inscrive quelque part. Frustration de ne pas être reconnue et moments de solitude.
Cette solitude, en tant qu’ « artisane » de fromages, lui a pesée… Même les premiers réseaux de producteurs bio ne voulaient pas d’elle. Émotionnellement, ce clivage et cet étiquetage ont été difficiles à vivre. « Le corporatisme, c’est lourd ».
Faire reconnaître à la Chambre d’Agriculture que les artisans fromagers pourraient être assimilés aux agriculteurs, voilà le défi principal que Valérie souhaiterait relever afin que les artisans liés au secteur agricole puissent avoir accès aux informations, aux formations, aux interlocuteurs ou encore au réseau. Il y a une porte à ouvrir… ainsi que dans la bio !
Et la vie de femme dans tout ça !
« Qu’on soit homme ou femme, il faut être courageux car les petits ruminants sont moins rentables que la vache », déclare Valérie en tout premier lieu.
La différence homme / femme repose principalement, selon elle, sur son manque de force et de formation au niveau technique. Toutefois débrouillarde et bien entourée, elle fait appel aux copains pour l’aider.
La touche féminine, dans son travail, se porte plus sur la sensibilité et l’esthétisme quand elle fait des marchés par exemple. Elle va mettre des couleurs sur l’étalage pour le rendre joli et attrayant.
Quant à la relation entre la vie personnelle et la vie professionnelle, Valérie a bien su distinctement séparer les deux une fois enceinte. En plus, elle a besoin de sentir libre, de ne pas être prisonnière de son travail. Elle a optimisé son organisation de travail très rapidement en épurant ce qui n’était pas rentable ni efficace, de sorte à ne pas perdre de temps et pouvoir finir tôt pour récupérer ses filles à l’école. Elle reconnaît avoir aussi besoin de temps de repos et de vacances puisque, dit-elle les yeux rêveurs, « j’ai aussi soif de découvrir la terre et l’ailleurs ». « C’est la terre qui nous nourrit, qui gère ma vie, j’ai envie de voir ce que la terre a dans le ventre ». Elle habite la commune d’à côté, avec ses deux enfants ado. Elle apprécie ne pas vivre sur le lieu d’exploitation. Tout cela lui apporte une qualité de vie tout à fait correcte.
Sans parler directement de charge mentale, elle avoue qu’être à la fois une maman, une femme de foyer, une gérante d’entreprise est parfois très fatigant : « il faut être la reine partout ». Tout comme dans la vie de couple qui peut en être impacté.
Les mains dans les plantes, les plantes dans la tête, la tête dans les rêves
Anaïs Kerhoas, la trentaine, installée à Sains dans le nord de l’Ille-et-Vilaine, produit des plantes aromatiques en agriculture biologique pour en confectionner des tisanes. Si aujourd’hui la jeune femme vit de son activité, ce n’est pas moins un parcours de combattante qu’elle a dû entamer avant d’arriver aux Tisanes d’Anaïs, comme en témoigne le film documentaire de Marion Gervais Anaïs s’en va-t-en guerre.
J’ai rencontré Anaïs en septembre 2016. Énergie de feu, volonté, questionnements, authenticité, sensibilité, tels sont les mots qui me viennent à l’heure de parler d’elle.
Désherbage au soleil
Coup de cœur pour les plantes
Quand fille de la ville devint fille des champs.
Ado, c’est en se rendant chez son père qui venait d’emménager dans une maison avec jardin aux abords de Saint-Malo, qu’Anaïs découvre le vaste univers des plantes et du jardinage. La délicatesse et la beauté des fleurs, les couleurs et les saveurs de la vie.
Elle s’est ensuite passionnée pour les huiles essentielles et leurs pouvoirs magiques. Suite à des expériences diverses qu’une jeune fille de 18 ans peut parcourir à cet âge, à savoir études et voyage initiatique, Anaïs suit une formation en herboristerie pendant 2 ans. Gérard Bensoussan, producteur de plantes près de Quimper, l’accueille lors d’un stage de 15 jours et c’est alors qu’Anaïs réalise qu’elle préfère la partie agricole des plantes aux conseils pharmaceutiques. La motivation part en flèche, le rêve de faire découvrir des utilisations ancestrales des plantes brille dans ses yeux : elle décide de s’installer et de partager ces petits trésors de tisanes.
Coup de main des amis
Gérard l’encourage. Sa famille la soutient malgré leur étonnement. Un ami de son père est prêt à lui revendre ses terres.
A l’issu de la formation agricole de maraîchage et des stages pratiques chez Christophe et Sophie, les maraîchers bio et grands amis d’à côté (Pleine-Fougères), Anaïs s’installe. On est alors fin 2012. Ensemble, ils ont réussi à lui trouver une maison à louer avec un champ, à construire un séchoir dans une caravane et une serre pour la pépinière.
Malgré le soutien des ses amis, Anaïs a dû se confronter à un parcours de combattante pour acquérir des terres et être prise au sérieux.
Aujourd’hui, elle bénéficie d’un champ d’1,4 hectares avec « de la bonne terre » et de grands bâtiments permettant le séchage, le tri, l’ensachage, l’administratif.
Anaïs cultive une cinquantaine de plantes, des sauvages, des annuelles, des vivaces, et vend ses tisanes en vente directe principalement.
Son champ de bataille s’est fait connaître grâce au film documentaire Anaïs s’en va-t-en guerre de Marion Gervais ; elle a obtenu la sollicitude du chef cuisinier cancalais Olivier Roellinger. Pour autant, elle garde les pieds bien ancrés et cherche à assurer ses points de vente une fois que l’effet « film » diminuera. Et ne souhaite pas vendre là où ses collègues tisanières, à l’instar de Sophie Persehais, distribuent déjà.
Coup de gueule
Lors de cet après-midi d’entretien et de confidence, Anaïs manifeste de la colère et ne mâche pas ses mots ! Les principaux inculpés : les agriculteurs conventionnels – « des vrais fach… arriérés » – qui ne sont jamais sortis de leur ferme et qui continuent à faire la même chose en se mentant à eux-mêmes, en croyant que ce qu’ils font c’est bien alors qu’ils polluent. Il faut qu’ils atterrissent et descendent de leur tracteur ».
Puis la chambre d’agriculture qui « décourage sans même savoir ce que les gens sont capables de réaliser ».
Puis le système. Anaïs revendique avoir une style de vie « sobriété heureuse ». Son but n’est pas de gagner beaucoup d’argent. En revanche, « ce n’est pas normal de ne pas pouvoir gagner l’équivalent d’un SMIC à bien plus de 35 heures semaine alors qu’on nourrit la planète », elle compare ce système à de l’esclavagisme moderne.
Puis aussi contre les mouvements à la mode, à l’instar du véganisme ou de la permaculture, portés par des gens qui veulent révolutionner l’agriculture et qui n’ont cependant jamais mis de bottes ni travailler la terre. Les « écolos intégristes desservent les agriculteurs également car ils jugent vite. Anaïs s’avoue très vigilante face au prosélytisme. Un petit sourire au coin, elle avoue qu’elle critique mais qu’au moins, « ces gens-là se posent des questions… » Elle reprend l’idée de la légende du colibri : « montrer par l’exemple ».
Et la vie de femme dans tout ça !
Anaïs ne se sent pas moins féminine d’être dans un champ. Il est vrai qu’elle a beaucoup moins de temps pour s’occuper d’elle ni pour d’autres activités mais aujourd’hui elle fait un peu plus attention et se permet parfois des petits plaisirs : bains, lectures…
Quand elle prend du temps pour elle, elle se sent complètement désemparée… Elle remarque que c’est difficile aussi de prendre soin d’un couple quand de nombreuses préoccupations liées à son activité agricole se cognent dans sa tête. Se pose ici la question de la gestion du stress et de la fatigue.
Quant aux conditions de travail, elle admet que « si un jour j’attends un bébé, je n’ai pas de congé maternité ni personne pour me remplacer ». Et la séparation « boulot / travail » n’est pas si simple… elle habite où elle travaille.