Julie Mira

La coach voile au féminin

Permettre aux femmes de prendre confiance en elles, tel est le crédo de Julie Mira, 30 ans, coach professionnelle en voile. Je la rencontre au port de la Trinité-sur-Mer, début septembre 2020. A bord d’un First 21, Julie coache Guillaume. Puisqu’elle sillonne et décloisonne les mers, elle coache aussi la gente masculine. Nous voilà partis à tirer des bords à la sortie du chenal de la rivière du Crac’h. Ambiance décontractée et rigolades, Julie sait mettre à l’aise, gardant un œil sur les voiles, les réglages de son élève et le terrain de jeu. Julie commence à se confier et me parle des différents profils de personnes qui font appel à ses services, des liens forts qui se créent avec elles, et de sa posture de coach. A quai, elle livre son parcours et sa relation à la mer.

De la voile, sinon rien !

Originaire de Dunkerque, c’est là que Julie a son « camp de base ». Issue du milieu ouvrier, elle a commencé la voile toute jeune à l’occasion des vacances familiales à Camaret-sur-mer en Bretagne, où elle a développé une fascination pour les bateaux. « Je ne viens pas d’un milieu de marin, je ne viens pas d’un milieu aisé », confie-t-elle. Ensuite, ses parents ont déménagé dans l’Oise ; elle a pu naviguer sur le lac à côté de chez elle : « J’adorais ça, je voulais absolument naviguer […] et j’ai fait le parcours classique : Optimist, Laser, habitable. »


Adolescente, elle était monitrice pendant les vacances à Dunkerque et à 18 ans, elle a passé son Brevet d’État pour enseigner la voile aux Sables d’Olonne. Elle a travaillé pendant deux ans en école de voile, mais elle avait « besoin de grands espaces et d’horizon. » C’est alors qu’elle s’est lancée dans la navigation au large en tant que second, c’est à dire matelot, pour une société de convoyage.

Puis, elle a passé le diplôme de Capitaine 200. « Je fonctionnais à l’ancienne, quand tu apprenais sur le tas et puis tu passais tes diplômes ensuite […] et ça m’a permis de faire mes armes dans le milieu, de prendre mon autonomie, et pour être un bon marin, il faut naviguer, il n’y a pas trop d’autres solutions ».

Un peu par hasard, elle a eu l’opportunité d’embarquer sur des voiliers classiques en Méditerranée pour faire les circuits de régates classiques. Au bout de trois ans, elle tournait déjà en rond. Alors, comme elle avait goûté aux navigations polaires lors de précédents convoyages, elle est donc repartie naviguer en Norvège, région froide et sauvage qu’elle affectionne tant, sur des voiliers touristiques, et, ce, pour une nouvelle boucle de trois ans.

Les Marinettes, la création d’un métier sur mesure

De plus en plus, l’envie de transmettre aux femmes tout ce qu’elle avait appris lors de ses nombreuses navigations, de restituer cette expérience pour apporter sa « petite pierre à l’édifice » lui était très présente. Elle avait à cœur de trouver une solution pour ne plus voir en permanence des schémas récurrents dans le milieu de la plaisance, en l’occurrence la situation tristement classique « du mec qui gueule sur sa femme et qui l’insulte de tous les noms » à l’arrivée au port.

Un an de réflexion à considérer et à monter son projet, en lien avec une société d’aide à la création d’entreprise à Dunkerque, son port d’attache, c’est en 2019 qu’est née Les Marinettes – Femmes des Mers1, sa société de coaching de voile pour les femmes qui bénéficie de la reconnaissance de la Fédération Française de Voile.

Elle souhaite redonner aux femmes du plaisir à naviguer là où il y en a pas ou plus. Même si les régates ou les croisières 100% féminines permettent « aux nanas de naviguer », « [la voile] est un milieu où les femmes sont tellement mises de côté que le fait de créer des évènements où justement elles sont complètement de leur côté, ça ne fait que stigmatiser encore plus la position que les femmes ont dans ce milieu », estime-t-elle. Julie souhaite voir de la mixité, « où tout le monde est heureux de naviguer ensemble, où c’est respectueux, où on fait des belles manœuvres, dans la joie, la bonne humeur, avec le sourire ».

Julie s’inscrit sur une niche, elle propose un service pour répondre à un besoin qui, selon elle, n’était pas exprimé mais où la demande était très présente. Son agenda est plus que remplie. Elle intervient comme tierce personne, sur le bateau de ses client.e.s « pour être au plus proche de leur réalité et de leur problématique parce que chaque bateau est différent » et qu’en individuel, on progresse bien plus vite !

Pour son entreprise, Julie a repris le terme « marinette » qui a été un argot de ponton désignant les premières femmes à embarquer pendant la seconde guerre mondiale. L’usage du mot dans la marine est resté, leur statut et leur reconnaissance évoluant au fil des années. Nombreuses sont celles qui se sont battues pour se faire accepter, à l’instar de madame Desbordes, qui en 2002, est la seule femme à accéder au titre de contre-amiral et qui a contribuée largement à l’évolution des Marinettes jusqu’alors. Julie explique qu’aujourd’hui seulement 2 % des marins professionnels dans le monde tout milieu confondu (marine nationale, commerce, plaisance professionnelle) sont des femmes. Julie aime se dire qu’elle prend à contrepied ce diminutif, dans un sens valorisant et positif, pour créer une communauté de navigatrices.

Julie relève son élève dans le cockpit, ce dernier étant parti à la manœuvre en pied de mât

Julie, une marinette magicienne

Les couples, en majorité, font appel à ses services. Curieusement, souvent, c’est le conjoint qui contacte Julie, parfois la femme.

Il s’agit de ce genre de couples où le projet bateau est mené par l’homme, c’est lui qui a acheté ou qui loue le bateau2, c’est lui qui sait naviguer. Les conjointes, elles, suivent, sans avoir (bien) appris à naviguer, et qu’au bout d’un moment, la situation n’est plus tenable : il y a les peurs, les craintes, les inquiétudes, le manque de confiance… En plus, « le problème avec les couples, c’est qu’ils ne mettent plus les formes dans leur communication », et qu’il y a trop d’affect, d’où l’intérêt d’une tierce personne, neutre, pour remettre les formes et être plus délicat. C’est là que Julie intervient.

« Être une femme, jeune, pas très grande et pas très costaude comme moi », ça leur montre que la voile est accessible, et « cela casse les codes et barrières qu’elles se sont mises ». Julie embarque pendant trois jours avec « madame », en binôme, sur le bateau, sans « monsieur » pour enlever le repère du conjoint et pour les contraindre à se débrouiller toute seule. Le quatrième jour, le conjoint les rejoint et ils naviguent tous les trois, Julie mène le rôle de « chef d’orchestre », dit-elle, et règle les mauvaises notes à bord. Mais « ce qui est fantastique, c’est que, à chaque fois, […], ils ont tellement d’amour et de fierté dans leurs yeux quand ils voient leur femme se débrouiller et prendre du plaisir à naviguer ».

On l’a même appelée « la magicienne », image que Julie trouve juste dans le sens où, quand elle arrive sur un bateau, il lui faut s’adapter à la situation, aux personnes et au bateau. Elle « essaie de tout faire pour trouver la petite formule qui va faire que la magie opère », et pour que, à son départ, les personnes soient prêtes pour leur future navigation.

Julie dialogue beaucoup avec la coachée pour comprendre les raisons de ses peurs et l’ accompagne dans la prise en main du bateau, les connaissances techniques, dont celles liées à la sécurité (appeler à la radio, démarrer le moteur) – certaines femmes ne l’ayant jamais fait même après des dizaines d’années de navigation avec leur conjoint.

Quand les inquiétudes se sont apaisées, que l’autonomie redore l’estime des marinettes et que le plaisir est revenu, c’est alors mission accomplie pour Julie, et elle se dit qu’elle a réussi à se créer un métier qui lui ressemblait.

Julie intervient également sur des projets de tour du monde en famille : elle accompagne la femme dans la préparation du voyage et sur la sécurité pour partir sereinement avec des enfants, par exemple. Plus rare, des femmes seules, qui ont un bateau et qui veulent simplement prendre confiance en elles et être autonome dans leur navigation.

En moyenne, Julie travaille sur deux stages de quatre jours par mois. « Je ne fais pas de l’industrie à la chaîne, je suis dans l’humain », souligne-t-elle, d’autant qu’elle s’accorde du temps de repos et de ressourcement entre chaque stage, pour être disponible à 100% avec ses coaché.e.s, et pour prévoir les déplacements au quatre coins de la France.

Elle base ses tarifs sur ceux des skippeurs professionnels, « ces skippeurs sans pédagogie et sans mon magnifique sourire » dit-elle en riant et cherchant à montrer sa plus value. Elle sait que le coût de ses prestations représente un budget conséquent mais elle se dit que, pour les personnes qui font appel à ses services, cela représente un investissement durable pour la bonne navigation du bateau et pour le couple.

Marin de cœur, psychologue dans l’âme : comment s’y prend-t-elle ?

Beaucoup d’échanges et de discussions « en prenant le temps » lui permettent de bien comprendre le contexte et la demande : « rien qu’en les écoutant, et de parler de femme à femme, le contact est beaucoup plus simple ; parfois il y a des questions vraiment très intimes qu’elles n’oseront pas poser à un homme ; nous abordons un peu tous les sujets ». D’un caractère jovial et serein, Julie blague beaucoup pour dédramatiser et désamorcer certaines situations.

Julie est « marin », elle n’a pas de formation en psychologie mais une personnalité et une sensibilité tournée vers l’autre et l’écoute. Observatrice, elle aime analyser les postures des gens, et cherche à compenser là où il y a du stress, dans le calme. Par exemple, son élève Guillaume, un brin stressé par la réussite de la manœuvre de port, s’y est repris à plusieurs fois. Julie présume que de nombreux moniteurs auraient haussé le ton, ce qui n’aurait fait qu’empirer l’état de stress de l’élève. Dire simplement « ok, stop, ce n’est pas grave, ça arrive à tout le monde, on refait tranquillement la manœuvre » est bien plus rassurant pour l’élève, tout en étant près des gaz et de la barre pour récupérer si besoin. Ensuite, comprendre pourquoi la manœuvre a été ratée, savoir comment s’y prendre une prochaine fois est plus important que de la réussir.

Le sexisme dans la voile : une réalité sublimée par l’amour de la navigation

Julie commence par un triste constat : « le sexisme, c’est un peu mon quotidien depuis l’enfance ». Mais elle n’est pas de celles qui se laisse sombrer dans les abîmes du pessimisme. Elle a su en tirer une force.

Dans les écoles de voile de l’époque, les vestiaires étaient communs aux filles et aux garçons ; elle se retrouvait souvent la seule fille, encaissant les remarques parfois désobligeantes et blessantes. Mais son amour de la voile et du bateau a toujours été plus fort, ce qui lui a permis de dépasser émotionnellement ces attitudes machistes. Elle ajoute : « bien sûr il y a eu des fois où je me suis dit que je ne voulais plus naviguer, j’en avais marre de me battre en permanence contre des stéréotypes et pour prouver que j’étais un bon marin ; et le jour où j’ai accepté moi-même que j’étais bon marin, ça s’est beaucoup mieux passé et j’ai pris avec beaucoup plus de recul les remarques et les mots durs. » Elle avait pris confiance.

Autre point de vigilance : celui de la force physique. Julie s’est rendue compte que les femmes estiment souvent qu’elles en ont moins que les hommes alors qu’avec simplement quelques techniques et des postures bien adaptées, elles arrivent largement à se débrouiller. Elle se souvient d’une anecdote : un capitaine qui avait beaucoup d’a priori sur les femmes marins mais avec qui elle a travaillé pendant un an, lui a dit un jour : « tu es une femme, tu n’auras jamais autant de force que les hommes, c’est comme ça, n’essaie pas de compenser, utilise ton cerveau, tu en as un ». Condescendant, peut-être, mais Julie a trouvé cette remarque assez pertinente dans le sens où les hommes ont tendance à « bourriner » et à se réconforter dans leur force physique alors qu’en réfléchissant un peu, des solutions et des petites techniques s’offrent à nous.

Retour à quai, il faut bien vérifier l’amarrage.

Un attachement puissant à la mer

Ses yeux étincellent quand elle évoque ce qui l’anime intérieurement dans la navigation, où les sentiments de liberté et de plaisir s’entremêlent. « Pour que ce soit du plaisir, il faut que ça se passe dans de bonnes conditions, avec les bonnes personnes. C’est important. Et de toute façon, il faut faire les choses avec plaisir parce qu’il y a assez de contraintes dans la vie, pas besoin de s’en rajouter ! »

Depuis l’enfance, son rapport à la voile est plus que viscéral : « j’ai besoin de naviguer, j’ai besoin d’être sur l’eau, c’est quand je suis sur l’eau que je me sens le plus moi-même, à terre je me sens un peu schizophrène, je ne suis pas entière, comme s’il me manquait un petit morceau ». Sur l’eau, « les planètes sont alignées et c’est là où je dois être » ! Quand elle part en Arctique, « c’est encore plus là où je dois être ».

Julie est assurément une femme des mers. Son agenda de coaching ne désemplit pas. Le bouche à oreille et sa communication dans l’air du temps lui assurent une belle suite dans cette aventure d’accompagnement personnalisé. Forte de son succès, Julie vient de publier Le guide pratique des voileuses aux Éditions Vagnon, outil adapté à la gente féminine (mais pas que !), emprunt de beaucoup d’humour.

1. https://lesmarinettes.com

2. Selon les entreprises de location de voiliers, 95% des réservations de location de bateaux sont faites par les hommes et les 5% restants sont faites par les femmes.

Texte et photos : Mathilde Pilon

Cécile Le Sausse

L’énergique skippeuse

Concarneau, ville de Cornouaille bretonne, insufflant les légendes celtes à ses marins low-tech. Ciel bleu de juillet. Je découvre son port, celui des chantiers, quai des Moros. C’est à Explore que je me rends, le fonds de dotation « pour encourager les initiatives positives pour l’homme et la planète » de Roland Jourdain et Sophie Vercelletto. Grand sourire et teint halé, Cécile Le Sausse, chargée de projets, m’invite dans la salle de pause, où défilent chercheurs bricoleurs et jeunes aventuriers, pour me parler de sa passion de la voile.

Pour Cécile, rien de tel qu’un saut à la plage après le travail, et vérifier que le bateau se porte bien.

La mer en toile de fond

Cécile a 26 ans. Originaire de Nantes, elle a posé ses valises à Concarneau en septembre 2019 pour effectuer un service civique dans la structure Explore1, après avoir passé plusieurs années à vadrouiller en France et aux quatre coins de la planète.

« La voile, c’était dans la famille », résume-t-elle. Son père est féru de voile et, depuis sa naissance, elle a toujours connu les bateaux. En famille, ils partaient naviguer les weekends en baie de Quiberon. « Belle-Ile était un peu ma deuxième maison », se souvient-t-elle, amusée. L’été, ils voguaient vers des horizons plus larges : tour de Bretagne, Angleterre, Espagne… Adolescente, ses parents se sont séparés ; le bateau demeurait alors l’endroit où elle pouvait avoir une relation privilégiée avec son père, dit-elle en souriant.

Puis, est venu le temps des études d’ingénieur en biotechnologies à Compiègne en Picardie, loin de la mer, suivi des voyages lointains pour découvrir le monde. Puis celui des premiers boulots. Elle a rejoint Rennes pour y travailler. Comme il lui fallait trouver une bonne raison pour « s’accrocher à la Bretagne » plutôt que de repartir à l’autre bout du monde, elle a changé de cap et a acheté un voilier en mars 2018, un Fantasia 27, peu de temps après avoir quitté un travail qui ne lui convenait pas. Elle a alors rejoint le bord de mer, et mené un projet de sensibilisation sur l’océan, Voile Actée2, à bord de son bateau.

Vers une nouvelle aventure de voile et de bricole

Bonne équipière, se dit-elle, Cécile a découvert qu’être skippeuse et propriétaire de son bateau est un rôle bien différent que celui qu’elle avait sur le bateau de son père.

« J’ai plus appris à bricoler qu’à naviguer », confie-t-elle. Et en tant que novice, la chose n’est pas toujours simple : « il faut aller vers les autres et décrypter le jargon : il y a trois mots différents pour parler d’un même type de peinture », ironise-t-elle. Bricoler sur son bateau est un sacré challenge qu’il lui plaît de tenir, d’autant qu’aujourd’hui, elle a peu d’argent et essaie donc de faire par elle-même. Elle affirme même, joviale, que le bricolage serait désormais la raison pour laquelle elle garderait le bateau, comme une excuse pour faire quelque chose, d’avoir son « chez soi », et de réussir à trouver des solutions, à l’instar du corps mort qu’elle a dû confectionner pour mettre son bateau au mouillage sur le Minaouët, une rivière toute proche de Concarneau.

Ce bateau représente également l’accès à l’aventure, celle qu’on peut vivre à deux pas de chez soi, celle dont elle a besoin dans son quotidien pour sortir de sa zone de confort. Pour elle, naviguer, c’est d’abord la relation à la mer. Et aussi le partage avec les autres. Amatrice de randonnée itinérante, elle partait souvent en solo. Le cocon du bateau apporte un peu de confort et lui permet d’amener avec elle des amis en pleine nature. Cécile apprécie vraiment ces moments où « il n’y a rien d’autre autour, on n’est concentré que sur la navigation ou la préparation des repas ».

L’école de la confiance

Être capitaine de son propre bateau, c’est aussi être en responsabilité du navire et de son équipage. Elle reconnait qu’il lui est encore difficile de savoir prendre une décision au bon moment, et qu’elle a encore trop de peur par rapport au plaisir que diriger un bateau pourrait lui procurer, « mais ça va venir », conclut-elle, positivement

D’un naturel assuré et optimiste, elle aura pourtant tendance, en mer, à se sous estimer ; elle sait qu’il lui faut apprendre à prendre sa place à bord. Elle a le sentiment que dans la voile les hommes se posent beaucoup moins de questions que les femmes sur le « comment faire », et que les femmes auraient beaucoup moins le droit à l’erreur. « C’est une analyse complètement personnelle », admet-elle, mais elle remarque que certaines personnes qui achètent un bateau sans rien y connaître se disent : « si je fais des erreurs, ce n’est pas grave, au pire si je casse quelque chose, je répare » alors que, elle, n’a pas du tout la même approche du risque.

Les joies de la navigation

Se retrouver en pleine nature, contempler les oiseaux de mer, deviner les baleines s’étendre dans la houle, ces moments simples alimentent son plaisir de naviguer. La lenteur de la route amplifie ce temps déconnecté en mer empli de sensation et d’observation. Pause du quotidien et de la réalité : « même s’il y a des choses qui nous stressent par ailleurs, […] ces choses-là sortent de la tête automatiquement, […] ça coupe complètement du quotidien, c’est une bulle d’oxygène ».

Par ailleurs, amatrice de sports de glisse, Cécile apprécie les sensations que la voile procure. Et puis, surtout, étant sujette au mal de mer, Cécile aime barrer et barrer lui fait du bien.

Cécile profite du cadre de vie agréable de Concarneau.

Concarneau, boulot, bateau

Embauchée en CDI un mois seulement avant notre rencontre, consécutivement à un service civique, Cécile semble se plaire à Explore – structure qui soutient « les explorateurs du vingt-et-unième siècle »-, et, ayant fait un pas de côté par rapport à son métier d’origine, elle y accompagne les projets voile exploration, et tisse des réseaux avec les entreprises.

Cécile découvre Concarneau, une ville tournée vers la mer. « Les gens qui sont ici [à Explore, N.D.L.R.] sont passionnés par leur boulot », dit-elle, « ce qui est quand même assez rare et incroyable ». « Tout le monde vit au quotidien avec la mer, et ça se ressent », se réjouit-elle ». Un cadre de vie qu’elle apprécie grandement et, qui, sans doute, participe à son épanouissement.

Le sexisme ordinaire, encore et toujours

Le thème du sexisme est un sujet sur lequel elle se questionne depuis longtemps et qui la fait réfléchir sur son positionnement et sa manière de réagir face au flot de remarques et de comportements sexistes.

La navigation est un sport et demande une certaine force physique, ne serait-ce que pour border les voiles par exemple. Cécile se dit assez musclée et elle précise que, si sa force seule n’est pas suffisante, elle se pause, réfléchit à faire autrement et trouve une solution alternative. Par contre, elle ne compte plus le nombre de fois où, quand elle amarre le bateau et qu’il faut le retenir, les gens lui prennent les bouts des mains. Elle réagit selon l’humeur.

Elle ajoute, par ailleurs, que si elle donne un ordre précis ou demande quelque chose à un équipier masculin, ce dernier saura toujours mieux qu’elle et sa requête ne sera pas forcément respectée. Ce sentiment de non reconnaissance de ses capacités nautiques est exacerbé par des remarques de non reconnaissance de son statut de capitaine telles que : « il est où le skippeur ? ». Cécile ironise : « si ce n’est pas moi, la seule personne visible à bord, c’est forcément quelqu’un d’autre qui est caché au fond du bateau ! »

Elle admet qu’avec certaines personnes de générations précédentes, « la génération majoritaire dans les ports », renchérie-t-elle, il est difficile de les faire changer. Avant, elle était dans la confrontation. Aujourd’hui, loin d’être résignée, elle se dit que ça ne sert plus à rien.

« Le sexisme se révèle aussi dans le couple », a-t-elle pu noter. Cécile prend l’exemple de l’arrivée au port : « c’est toujours le mec qui barre, c’est toujours la nana qui saute et qui se casse la g… sur le pont, et c’est toujours la nana qui se fait engueuler parce qu’elle a mal fait le truc, peu importe ce qui s’est passé, c’est toujours la faute de la nana et elle prend toujours cher ».

Enfin, Cécile interroge la notion de chef, la position de « capitaine ». En montagne, elle ne s’est jamais confrontée à cette hiérarchie. Alors que la responsabilité partagée pourrait être une manière nouvelle de diriger un bateau, elle questionne « ce pouvoir fort, encore plus ancrée masculin » : « pourquoi est-ce celui qui a le bateau qui décide de tout ? »

Naviguer « au féminin »

L’an dernier, Cécile a embarqué un groupe d’amies à son bord et « tout s’est très bien passé ». Elle a fortement apprécié le fait que les filles étaient très compréhensives et en soutien permanent, elles voyaient bien que Cécile était très vigilante, un peu stressée. Elles ne se sont pas placées en dominantes ni rentrées dans le jeu du « je vais m’imposer ». Elles ont donc partagé de très bons moments ensemble. Cécile affirme que, de toute façon, les hommes et les femmes qui viennent naviguer avec elle sont des personnes très ouvertes, ayant un regard critique sur le sexisme et la communication verticale. Des étoiles dans les yeux, elle rêve de proposer des temps de navigation uniquement féminine.

Enfourchant sa bicyclette, Cécile me donne ensuite rendez-vous à l’embouchure du Minaouët, face au phare du Pouldohan. Un vrai petit coin de paradis. J’envisage un instant la dureté des tempêtes ou encore le gris hivernal, mais la douceur de juillet et la beauté du lieu m’aident à comprendre l’attrait de Cécile pour le cadre de vie de ce bout de Bretagne. Fille de marin, elle se joue des obstacles et embûches rencontrés sur son bateau, ainsi que des insidieuses mentalités paternalistes, pour prendre sa place de navigatrice, à sa manière, à la manière d’une jeune femme de son époque, sensible aux alternatives écologiques et relationnelles.

1. https://www.we-explore.org

2. Vidéo explicative du projet Voile Actée : https://vimeo.com/405817309

Texte et photos : Mathilde Pilon

Cotenteam

Le très enthousiaste équipage 100% féminin cherbourgeois

Quand six amies, Cherbourgeoises d’origine ou d’adoption, passionnées de voile, se réunissent autour d’un projet commun en 2018, ça donne Cotenteam, l’équipage féminin naviguant en J80 dans le nord Cotentin. « On est des femmes, on fait de la voile, on n’est pas célèbres et on n’est pas pro », c’est avec ces mots rieurs qu’elles me reçoivent à l’étage de l’École de Voile de Cherbourg, une fin d’après-midi de décembre. Cotenteam, ce sont des femmes marins, des femmes qui travaillent, des femmes mamans, des femmes qui rigolent et bavardent, des femmes qui aiment les défis fous.

Les Cotenteam, prêtes pour l’entraînement (de gauche à droite : Muriel Anthouard, Dorothée Bon, Julie Agogué, Camille Le Naguard, Morgane Courtay, Marie Varennes)

Portraits de l’équipage

Julie Agogué, originaire de la région parisienne, est arrivée à Cherbourg pour ses études en biologie marine. La région lui a plue, là voilà devenue Cherbourgeoise. Aujourd’hui, elle a 32 ans, deux enfants et travaille en tant que technicienne dans un laboratoire de biologie marine. Elle a découvert la voile à l’école primaire, et, depuis, n’a jamais arrêté. Elle s’est même tournée vers la régate. Poste à bord : tacticienne ou embraque.

Dorothée Bon est née et habite à Cherbourg. Elle a 44 ans et trois enfants. Paysagiste de métier, elle travaille en ce moment dans l’insertion professionnelle. Dans sa famille, ils sont toujours sortis en mer à bord d’un bateau à moteur. Dorothée aime les sports sur l’eau, plaisirs qu’elle partage avec Muriel. Poste à bord : embraque et piano.

Camille Le Naguard, 30 ans, est née et habite à Cherbourg également. Elle travaille comme éducatrice pour adulte en situation de handicap. Son père étant moniteur de voile, Camille a été bercée dès l’enfance par les bateaux, s’investissant sur de nombreuses compétitions en dériveur quand elle était plus jeune.  » Là, avec les filles, ça continue ! » Poste à bord : barreuse ou tacticienne.

Muriel Anthouard, 40 ans, originaire de la région parisienne, habite près de Cherbourg depuis longtemps maintenant. Formée à la voile à Granville, dans le sud Manche, elle a passé son Brevet d’État. N’envisageant pas ce métier à long terme, elle s’est réorientée pour devenir infirmière libérale. Avec Cotenteam « la passion est revenue », énonce-t-elle, « quand on navigue, c’est ma bouffée d’air. » Poste à bord : barreuse ou tacticienne.

Morgane Courtay a 30 ans. Elle travaille dans le secteur de l’industrie nucléaire, l’un des pôles d’activités les plus importants de la région. Passionnés, ses parents ont toujours eu un voilier à Saint-Vaast-la-Hougue. Ils ont embarqué très tôt leurs enfants en croisière, et leur ont fait suivre des stages de voile tous les étés. Pendant une dizaine d’années, elle a « levé le pied » jusqu’à s’y remettre avec Cotenteam. Poste à bord : numéro un ou embraque.

Marie Varennes, du même âge que Muriel, est maman de deux enfants. Éducatrice spécialisée et originaire du sud Manche, son travail l’a amenée à s’installer à Cherbourg il y a une quinzaine d’années : « je suis tombée amoureuse du nord Cotentin, c’est hyper sauvage et beau » et y a découvert le monde de la mer. Et celui de la voile grâce principalement à son conjoint, skipper cherbourgeois. Poste à bord : numéro un ou embraque.

Cotenteam, une histoire de femmes et de conjoints

Spontanément, Julie prend la parole et explique la naissance de Cotenteam : « l’histoire, c’est qu’un jour j’ai eu 30 ans, j’étais maman d’une petite fille de trois mois et mon conjoint [qui travaille dans le nautisme à Cherbourg (N.D.R.)] a eu peur que je m’encroûte, et donc il a eu la merveilleuse idée de m’offrir un package comprenant l’inscription à la Women’s Cup1 de 2018 et un équipage préformé [à savoir par les compagnes des copains de son conjoint (N.D.R.)], et quatre séances d’entraînement à l’école de voile ». L’anniversaire de Julie étant en mai, il fallait être prête pour le mois de mars de l’année suivante. Les filles ne se connaissaient pas toutes, mais les voilà parties pour une aventure collective, chouchoutées par des partenaires convertis en préparateurs techniques pour la Women’s Cup, une régate féminine qui a lieu tous les ans en mars à Pornichet. Pendant presqu’un an, elles se sont entraînées et préparées pour, au final, s’être assez bien défendues !

Une forte amitié s’était liée entre elles, il leur fallait continuer ! Continuer de se retrouver au bar pour discuter de tout et de bateau, et continuer les entraînements : « on se voit avant, comme ça sur l’eau, on est concentrée, c’est la règle d’or ! » explique Dorothée.

L’équipage féminin Cotenteam s’est alors inscrit aux régates organisées par le Yacht Club de Cherbourg. En parallèle, elles ont été très fières d’annoncer qu’elles avaient remporté la WLS Trophy 2020, le circuit de compétition 100 % féminine organisé par la Fédération française de voile. En 2021, elles sont arrivées quatrièmes sur 45 équipages inscrits.

Le bateau : Jopium, le J80

Camille et Morgane avaient l’habitude de naviguer en J802 avec leurs anciens équipages. Puisqu’il y en avait un à vendre à Cherbourg, les Cotenteam ont rassemblé l’argent nécessaire et acheté ce bateau, déjà assez bien équipé, appelé Jopium.

Elles font l’entretien ensemble quand leurs agendas respectifs le permettent. Adhérentes au Yacht Club de Cherbourg, elles peuvent profiter de l’aménagement du club et du matériel mis à disposition. Les filles remarquent que beaucoup de personnes viennent leur donner des coups de main. L’une d’entre elles souligne : « c’est aussi pratique d’être des filles parce qu’il y a toujours une personne qui vient nous aider, sans qu’on demande ».

Les Demoizelles de Cherbourg

Et comme le dit l’adage, « on n’arrête pas une équipe qui gagne », ces dames ont même leur régate ! Comme les filles bénéficient d’un entourage et d’un réseau local sur lesquels s’appuyer ainsi que d’un plan d’eau sécurisé – la rade de Cherbourg -, elles se sont lancées, en 2018, dans la création de cette régate, qui s’est tenue le weekend du 13 et 14 octobre 2018. Cinq bateaux ont concourus, principalement des locaux et des Normands. Depuis, plusieurs éditions se sont succédées et le nombre d’équipages a plus que doublé. Fort de l’engouement 100 % féminin, la régate des Demoizelles fait désormais partie de la WLS Trophy.

En parallèle, Muriel, infirmière de métier, a su tisser un lien entre la régate féminine et la campagne nationale de sensibilisation au dépistage du cancer du sein, qui se tient tous les mois d’octobre.

A bord, comment ça se passe ?

Sur Jopium, elles ne peuvent être que quatre à cinq personnes maximum. Complémentaires, les membres de l’équipage de Cotenteam ont chacune deux postes pour pouvoir se relayer, en fonction des disponibilités et des envies des unes et des autres. Même si, au début, elles préféraient tourner pour se rendre compte des difficultés que chacune rencontrait, elles conservent généralement le même poste pour pouvoir se perfectionner, avoir des bons automatismes et être bien coordonnées entre elles.

Marie et Morgane partagent le poste de numéro un ou embraque3 : « c’est moi qui suis à l’avant, qui me prend tous les paquets de vagues et qui protège tout mon équipage », plaisante Marie. « Parfois, je m’amuse à ne pas dire « vague » quand il y en a une grosse qui arrive, comme ça je partage un peu ». « Être numéro un, c’est aussi gérer le spi, la voile toute gonflée et colorée devant », précise-t-elle, « et regarder le plan d’eau pour contrôler les bateaux alentours, les casiers, les risées, les cailloux ».

Ensuite, il y a le poste de piano embraque assuré par Dorothée, qui s’occupe principalement des voiles, et qui gère le spi avec la numéro un. Il lui faut aller récupérer dans le cockpit, assister, sortir le bout-dehors4 si besoin et gérer tous les bouts qui arrivent dans le bateau.

Le poste à la grand-voile dit de tacticienne est partagé par Julie, Muriel et Camille. Il faut s’occuper du positionnement du bateau par rapport aux autres et aux bouées et donc cela demande au préalable de réfléchir au cap et à la trajectoire, d’observer le vent et le courant, paramètres très importants dans la Manche. Avant la régate, elles font un point tactique toutes ensemble.

Julie, Muriel et Camille sont les trois potentielles barreuses. Celle qui ne barre pas sera à la grand-voile, et aura « le nez dans les voiles pour regarder comment marche le bateau ».

Régater ensemble, trouver un équilibre

Pourtant, le poste de numéro un demande beaucoup d’efforts d’un seul coup, « cela aiderait de faire du sport, surtout les bras ! » Morgane reconnaît qu’elles sont toujours en gainage pour se maintenir à la gîte, et qu’il leur faut faire attention à leur position car un mal de dos peut vite arriver.

Julie remarque : « c’est ça aussi la voile loisir, on fait des régates et des compétitions mais, à côté, on n’est pas pro, on a un métier et nos vies à côté, et c’est difficile de tout allier ! » Et Camille résume tout simplement : « il faut trouver un juste milieu».

Une certaine renommée !

Marie reconnaît que « c’est un peu le début d’une grande aventure ici, un équipage féminin, c’est un nouveau. » A Cherbourg, en plus de Cotenteam, trois autres équipages féminins de J80 sont présents depuis peu, le groupe de l’école Intechmer5 (Sail’Intechmer), celui des « filles de la Marine » et le tout nouvel équipage J’Zelles Sailing team.

Si le public, les médias et les locaux s’intéressent à elles, c’est aussi parce qu’elles pensent avoir développé une dynamique dans le port et sur le territoire cherbourgeois. « On nous appelle « les filles » ou « Jopium les filles.» Tout cela pour « prouver que nous aussi les filles, on peut être performante, naviguer dans des grosses conditions et organiser des régates qui font parties du championnat féminin maintenant. En deux ans et demi, ça a pris vraiment fort. »

Sans quelques difficultés !

Au-delà de l’enthousiasme et de la fougue qu’elles manifestent, chacune à tour de rôle me confie ses réticences, ses propres difficultés liées à la régate, au bateau ou à l’équipage.

Pour Marie, par exemple, l’enjeu principal au départ était de s’intégrer dans un nouveau groupe et de connaître chaque personne afin de créer de la cohésion. Le deuxième enjeu était de tenir le rythme de la régate. Aujourd’hui, c’est celui de la force physique. Sinon, « c’est juste génial » s’exclame-t-elle.

Pour Dorothée, ce qui l’incommode le plus, c’est de ne pas pouvoir communiquer sur le moment car en général en régate, si elles font une erreur, elles n’en parlent pas pour rester concentrer. D’où l’importance de débriefer ensemble à chaque fois pour ne pas rester dans l’erreur et passer à autre chose.

Elles évoquent aussi leur difficulté à reprendre confiance après des déceptions. Elles n’ont que très rarement l’occasion d’être suivies, ce qui les a amené à ajouter une ligne « entraînement » dans le budget de leur demande de sponsoring. Aussi, aujourd’hui, elles bénéficient d’un coaching par le Yacht club de Cherbourg.

L’équipage féminin Cotenteam, qui vient tout juste de fêter ses cinq ans d’existence, a su dépasser les obstacles du démarrage et s’ajuster ensemble. Elles ont réussi à être plus fluides et plus détendues sur l’eau, le tout à grand renfort de communication entre elles et de parties de rigolade. La preuve en est, leurs résultats sont plus que prometteurs. Très récemment, elles ont remporté la quatrième place dans leur catégorie au Tour des Port de la Manche de juillet 2022 en Winner 9. Pas de machisme, ni de sexisme en vue, elles semblent entourées de bienveillance et de soutien. Ces filles là aiment la mer, et la mer leur rend bien.

1. Créée en 2011, la Women’s Cup est une régate 100% féminine en voile légère qui se tient à Pornichet début mars : https://www.womencup.fr. Conjointement à quatre autres régates 100% féminines en France, la Women’s Cup fait partie du Women Leading and Saling Trophy organisé par la Fédération française de voile depuis 2019, en voile légère.

2. Le J80 est un voilier monocoque de sport de 8m, lancé en 1993. Il peut accueillir 5 personnes.

3. Embraque : réglage du spi et du génois et virements de bord. Elles sont deux à l’embraque, chacune d’un côté du bateau lors des virements : quand l’une choque, l’autre reprend.

4. Bout-dehors : un espar fixe ou rétractable pointant à l’avant d’un bateau dans l’axe du navire pour gréer des voiles d’avant.

5. Institut de formation et de recherche en sciences et techniques de la mer.

Texte et photos : Mathilde Pilon

Louise Ras

La narratrice de l’océan

Juillet 2020. La goélette en bois de douze mètres, Hirondelle, est en escale au port du Crouesty dans le Morbihan. Louise Ras est membre de l’association Sailing Hirondelle1 et copropriétaire de la goélette. Le majestueux vieux gréement trône en bout de quai parmi des unités standardisées. Louise m’invite à monter sur le voilier et à prendre connaissance de l’équipage du moment composé de son compagnon, Aurélien, et d’une bénévole, Louison, occupée à dessiner quelques bulles de bande-dessinée.

A bord d’Hirondelle, temps de pause pour Louise, avant de donner une interview.
© Mathilde Pilon

La voile, une histoire de famille

Louise a 28 ans. Sa mère est Germano-américaine et son père Français, « du Lot », précise-t-elle. Grands amateurs de voile, ses parents aimaient acheter des vieux bateaux pour les restaurer, naviguer un peu et les revendre. Jusqu’à ses douze ans, Louise a vécu dans la baie de Chesapeake2, en Virginie, sur la côte est des États-Unis. Elle a grandi dans l’univers des chantiers navals : « à jouer entre les bateaux, à aider mes parents, à poncer du bois », se souvient-elle et, dès le plus jeune âge, a pratiqué l’Optimist, à bord duquel elle adorait « être toute seule sur son bateau et avoir l’impression d’être le chef », sensation souvent rare à cet âge-là.

Ensuite, un océan plus loin, la petite famille s’est installée en Dordogne, loin des embruns de la mer. Formé à l’UCPA, son père souhaitait que ses enfants apprennent à naviguer à l’école des Glénans, la voilà embarquée en stage de voile tous les étés, jusqu’à passer son monitorat et encadrer des stages.

Depuis ses dix ans, Louise a un rêve en tête : habiter sur un bateau et naviguer loin. Sans trop savoir comment y arriver, cela l’a animé jusqu’à croiser, bien plus tard, le sillage d’Hirondelle. Entre temps, elle a rencontré Aurélien, moniteur de voile et secouriste aux Sapeurs Pompiers de Paris, qui, lui aussi, avait la même envie de vivre sur un bateau. Après des études en sciences politiques à Bordeaux, et un Master sur les biens publics mondiaux, Louise a travaillé un an à Paris sur le milieu marin. En manque de mer, le couple a vite décidé de se rapprocher de la Bretagne et de partir en quête d’un bateau.

Hirondelle, voilier chéri

Un an et demi de recherche, quelques sous en poche et un cahier des charges bien précis, c’est Hirondelle qui sera l’heureuse élue de leur prospection. La goélette, construction amateur des années 1990, reprend son envol et migre depuis son Doubs natal jusqu’à Brest pour 18 mois de chantier.

Louise se plaît à raconter l’histoire du voilier. Installés dans le Doubs, le couple d’anciens propriétaires a construit pendant huit ans leur navire, inspiré des plans de l’architecte naval américain Herreshoff. Ils ont navigué douze ans, en Méditerranée principalement. Ne se sentant plus en âge de prendre le large, ils ont décidé de vendre leur bateau. Mais, il s’agissait plus de confier leur bébé à des personnes de confiance que de trouver un simple acheteur. Traversant la France pour venir voir le voilier, Louise et Aurélien ont passé une journée entière de « recrutement avant adoption » durant l’été 2018 pour voir si leur projet correspondait à la philosophie de navigation des propriétaires. On ne confie pas Hirondelle au premier venu ! Le coup de cœur fût respectif. « Nous sommes tombés en amour de ce bateau, il est beau, assez unique, tout est rempli d’histoire, même le nom ! Il s’appelle Hirondelle car des hirondelles venaient nicher tous les printemps dans le bateau pendant la construction » s’émerveille à nouveau Louise !

Ils l’ont mis à l’eau début janvier 2020. Pendant le temps des travaux de rénovation, ils ont monté le projet associatif Sailing Hirondelle, qui consiste « à créer des supports de sensibilisation à une relation plus durable avec l’océan », l’idée étant de concevoir du commun autour de ce bateau et non d’en faire un projet personnel.

Fort d’une année d’étude en architecture navale et d’expériences sur des chantiers navals, Aurélien avait pour objectif d’être autonome le plus possible en terme de travaux et de réparation, surtout « quand on a un petit budget ou que tu veux aller loin », précise Louise. Quant à elle, elle a « appris sur le tas », en essayant de comprendre comment tout fonctionne. Bien entourés à Brest, ils ont bénéficié de nombreux coups de main.

Habitués comme beaucoup à une navigation sur des sloops classiques en polyester, ils se sont initiés à l’usage et au réglage des nombreuses voiles du deux-mâts. Ils habitent ensemble sur le bateau, et, comme ils le mettent en même temps à disposition de l’association Sailing Hirondelle, des bénévoles techniciens, artistes, chercheurs ou encore journalistes viennent à bord. La bande de joyeux lurons partagent donc une vie en collectif et voguent à la rencontre d’acteurs et actrices de l’océan.

Voyage, petite Hirondelle ! Et raconte-nous des histoires.

Suite à une expérience professionnelle sur la création d’outils pédagogiques dans le cadre de la relation « humain et océan » à Brest, Louise a souhaité continuer à réaliser d’autres supports de sensibilisation au milieu marin. En discutant autour d’elle, Alix, pro de la communication, et Aline, illustratrice et graphiste, se sont associées à son projet. Sailing Hirondelle est née en 2019. Ils ont mis en place un financement participatif pour le lancement de l’association et ils ont réussi à fédérer autour de leur projet des fournisseurs de matériel, ce qui leur a permis de s’équiper d’un radeau de survie, de vestes de quart ou encore de matériel de sécurité.

En 2020, ils ont navigué cinq mois autour de la Bretagne, où, entre Nantes et Saint-Malo, Louise est allée à la rencontre de personnes explorant, vivant ou protégeant la mer et a retranscrit leur témoignage sous forme d’articles et de podcasts. Les bénévoles aux horizons variés sont présents également pour créer d’autres supports – vidéos, photos, dessins -, que l’association utilise et diffuse.

Une manière de vivre la mer, un projet fédérateur autour de la protection des océans, ces jeunes gens réfléchissent à faire autrement. Sur l’île d’Houat, des îliens lui ont rapportés : « on a parfois du mal avec les gens qui viennent consommer la mer », phrase qu’elle considère si tristement appropriée à la mentalité d’une partie des navigateurs.

Naviguer, des sensations qui la portent

« Dans mes interviews, quand je demande ‘c’est quoi pour toi l’océan ?’, tout le monde me répond : ‘la liberté’ « , me confie-t-elle.

Ce qui est certain, c’est l’apaisement total qu’elle y retrouve. Pendant ses études à Bordeaux, elle s’échappait quelques heures à Bordeaux Lac pour se ressourcer une heure à bord d’un 420. « Ce n’était pas un coin de nature, juste un rond d’eau mais c’était une échappée incroyable, un relâchement ». Sur l’eau, en dériveur, « tu laisses tes problèmes à terre, tu barres, tu cherches les risées, tu regardes tes réglages, tu ressens les sensations, tu essaies de faire planer ton bateau, c’est jouissif, tu es trop bien, c’est un sentiment de bonheur profond », poétise-t-elle. Avec Hirondelle, les sensations sont très différentes, il leur faut faire bouger douze tonnes juste avec le vent et sentir l’inertie. « C’est vachement fort alors que c’est plus lent que le dériveur ! » Louise ne s’ennuie jamais, à regarder les paysages évolués et la mer chaque jour différente.

Quant à ses craintes en mer, elle déclare tout de go : « Couler, avoir une grosse avarie, quoi  » ! Puisqu’elle supporte très mal la vue du sang ou des piqûres, elle craint réellement que quelqu’un à bord ait des problèmes et qu’il lui faille faire face à la situation. Elle espère que, avec l’adrénaline, elle soit capable de gérer si ça arrive. Heureusement pour elle, son compagnon, Aurélien, ancien secouriste et formateur pour les premiers secours en mer, est bien plus à l’aise.

Du sexisme ordinaire à des modèles féminins inspirants

« Dès que tu montes en niveau, en dériveur, tu es la seule femme quasiment », résume-t-elle. Dans l’encadrement de stage, ou lors de ses stages de monitorat, elle était très souvent la seule femme. Le fait de ne pas avoir d’exemples de femme à bord a joué sur son manque de confiance en elle. En effet, dès que Louise discute avec des femmes qui naviguent, elles témoignent de leur manque de confiance et qu’elles ont besoin de faire et refaire pour prouver aux autres et à elles-même qu’elles savent naviguer.

Toutefois, l’hiver précédent, « on a vu un 31 pieds arriver dans le port de Brest juste après une tempête, et une petite minette était en train d’attacher le bateau, tout s’est passé dans le calme, c’était propre, c’était magnifique, il n’y avait aucun mec qui gueulait ». « C’était une navigatrice solo qui a fait du dériveur, de la croisière, du convoyage, de la maintenance, elle sait bien évidement gérer son bateau toute seule. » Cette dernière lui a confiée qu’elle avait réalisé les travaux de rénovation toute seule, acquérant confiance au fur et à mesure.

Par ailleurs, le sexisme sous-jacent bien ancré dans les mentalités semble l’agacer tout particulièrement. Elle prend en exemple une connaissance, une femme marin professionnelle qui avait vue des hommes refuser d’embarquer en raison de sa présence. Ou encore la fois où elle encadrait un stage adulte mixte et que les femmes stagiaires étaient surprises d’avoir une monitrice, ne cessant de comparer Louise à leur précédent prof. Ressenti guère agréable, ni évident à gérer. Ou alors lors de leur recherche de bateau, quand les propriétaires montraient la construction et les fonds à Aurélien et la cuisine à Louise.

Résultat de ce sexisme ordinaire en continu : « on se retrouve à ne pas se sentir légitime », résume-t-elle. « En dériveur, on pense que, si tu n’arrives pas à hisser la voile, c’est parce que tu n’as pas de force alors qu’en fait il y a quelque chose de coincer, et, qu’au final, le mec il bourrine et casse le truc ! »

Louise se dit que naviguer entre femmes serait une étape parmi d’autres pour faire face au sexisme. Elle aimerait embarquer plus de femmes qui veulent prendre confiance sur un bateau, peu importe l’âge et leur niveau, « sans un mec qui arrive pour t’arracher un bout des mains ». Ou encore des femmes qui sont en train de passer des diplômes pour être capitaine et qui ont besoin d’un cadre non mixte, avec des modèles qui te donnent confiance ».

Le modèle de Louise est l’Américaine Tania Aebi, la plus jeune femme à avoir fait le tour du monde en solitaire à 18 ans. Jeune, Louise a lu le récit de ses aventures3 et ça a été le déclic. « Avoir un exemple de femme, c’est fort quand tu es petite, quand tu ne vois que des mecs naviguer, et là dans ton bouquin c’est une femme qui assure ».

La belle Hirondelle, que Louise se plaît à définir au féminin, ailes déployées, vogue en Atlantique principalement en compagnie de sa communauté de bénévoles engagés et surfe sur les réseaux sociaux et dans les évènements nautiques pour sensibiliser aux problématiques relatifs aux océans, en y diffusant photos, vidéos, dessins et podcasts. Louise, quant à elle, profite de sa nouvelle vie qu’elle s’est créée sur mesure, emprunte de ses aspirations les plus profondes.

1. https://www.sailinghirondelle.com

2. Baie au sud de Washington DC, limitrophe avec les états du Delaware, du Maryland, de la Virginie.

3. Maiden Voyage, de Tania Aebi et Bernadette Brennan, 2012, Editions Simon & Schuster.

Auteur : Mathilde Pilon

Gallia Vallet

L’artiste nomade

Un voilier s’est érigé au devant de la scène, le Münchhausen, un Arpège de 1968. Des voyages ont pris forme, bruts et vifs comme l’océan. Hors des murs des théâtres où Gallia exerce son métier de comédienne et hors des murs des lieux collectifs qu’elle investie, elle s’est trouvée un cocon flottant fin 2019, en duo avec son compagnon. La voile est devenue l’objet d’un nouvel apprentissage. En 2020, son premier périple à bord du Münchhausen a duré huit mois, de La Corogne aux Canaries, et un retour de Madère à Marseille, sa ville d’adoption.

Comédienne et graphiste, Gallia est une nomade des mers depuis bientôt deux ans, à bord de son Arpège, un Dufour de 9,25m.

Gallia, l’esprit voyageur

Gallia a 32 ans. Elle a grandi à Paris et a été initiée à la voile sur un Optimist en Bretagne, où sa mère habite désormais. Issue d’une famille d’artistes, c’est naturellement qu’elle a suivi des études aux Beaux-Arts et s’accomplit désormais sur les planches des théâtres comme comédienne.

Elle a vécu à Marseille pendant treize ans et c’est là qu’elle retourne après les tournées et les résidences artistiques plus ou moins lointaines. C’est dans la ville phocéenne, à contre courant de la gentrification urbaine actuelle, qu’elle s’est investit dans l’ouverture et l’animation de lieux collectifs autogérés. Et c’est sous le vent méditerranéen qu’elle a rencontrée non seulement son compagnon, mais aussi qu’elle a pu redécouvrir la voile, grâce à des amis marins et à une association disposant d’un vieux gréement. Son quotidien est donc très nomade. Ses projets personnels et sa vie professionnelle l’amènent à voyager tout le temps. Alors vivre sur un bateau n’en est que la continuité.

Plonger tête la première
Elle reconnait n’avoir eu que très peu d’expérience nautique avant de se lancer dans l’achat d’un voilier avec son compagnon – ils ont eu un coup de coeur pour un Arpège de 1968 de chez Dufour -, et « avoir plongé dedans tête la première un peu en aveugle », confie-t-elle.

C’est à bord de son bateau, le Münchhausen – nom qu’ils ont donné en hommage au drôle de personnage populaire allemand du XVIIIe siècle, le baron de Münchhausen – qu’elle a presque tout appris. Ce fut un grand bain immersif !

Les membres d’équipage variaient en fonction des destinations. Ces derniers ne sachant pas tous naviguer, quand parfois son compagnon se reposait, il lui a alors fallu savoir gérer par elle-même pour que le bateau fonctionne correctement. Par exemple, dit-elle « on s’est retrouvé très vite à faire des quarts tout seul, mon copain était le capitaine, mais moi, j’étais la deuxième personne qui savait le mieux naviguer – ce qui était assez étonnant car je ne savais pas très bien naviguer -, et du coup, on me réveillait pour me demander ce qu’il fallait faire à ce moment-là, comment régler, s’il fallait prendre un ris, s’il fallait abattre ou lofer, c’est à dire donner des conseils à des gens qui, eux, ne savaient pas du tout naviguer. »

L’école de la confiance

Une responsabilité qui lui faisait peur mais qui lui a permis d’acquérir une bonne connaissance du bateau et de la mer et qui lui donné confiance dans ses capacités.

Puisque son compagnon a suivi des formations dans les bateaux, dont le Capitaine 200, il avait la casquette du sachant à bord. Très vite, il a eu besoin de pouvoir se reposer sur elle, et elle estime qu’il a fait en sorte qu’elle prenne les décisions elle-aussi, même a des moments où ce n’était pas agréable pour elle. Trouver sa place à bord du Münchhausen n’a pas été compliqué mais prendre confiance en elle et dans ce qu’elle ressentait a été un peu plus long : « il y a eu des moments où tu fais des erreurs, et tu ne le répètes pas une deuxième fois car tu vois directement ce que l’erreur amène comme conséquence. Voilà : j’apprends, j’apprends. »

Elle ajoute : « c’est un moyen de transport qui nous fait mettre en confrontation avec la nature, avec le vent, avec des forces qu’on ne contrôle pas du tout, sur lesquelles on n’a pas de prise. Du coup, on apprend toujours, toute notre vie, tous les gens qui naviguent apprendront toujours face à des nouvelles situations. C’est à chaque fois différent. »

Pour le plaisir d’une nouvelle expérience

« C’est quand même magnifique de faire du bateau. C’est un moyen de transport où tu es à la fois complètement autonome et dépendant du vent. C’est une forme de liberté et, en même temps, tu n’es pas libre du tout parce qu’il faut que tu fasses avec les éléments. En plus, c’est un moyen de transport qui utilise un minimum d’énergie fossile ».

Le vent la fascinait déjà. En tant que comédienne, elle avait travaillé avec des cerfs volants et des objets volants. Alors, quand elle a appris qu’un bateau pouvait remonter au vent, elle a trouvé ça beau et incroyable : « les vagues et le vent nous repoussent, on devrait reculer, et non, on avance ! »

Gallia aime faire des nouvelles expériences, elle aime voyager et essayer des nouvelles pratiques. Alors, à deux, ils se sont lancés…

Nomade des mers

« C’est comme vivre dans un camion », suppose-t-elle, éprise de grands espaces, « ton jardin c’est le monde ». Mais dans le mouvement du voyage et la vastitude du monde, parfois avoir un point de chute, « un lieu à soi »1, est vital pour se ressourcer. Elle convient que, après deux ans de vadrouille, ça lui a fait du bien d’avoir un endroit qu’elle considère comme étant chez elle. « Là, ça en fait un concret et qui peut nous emmener un peu partout. »

De l’Espagne à la Grèce, ils ont réalisé principalement de longues navigations à bord de leur bateau maison. « Lors des grandes traversées, tu es vraiment immergée dedans, c’est un autre monde, tu te mets sur un rythme qui es complètement différent. Tu sens la rondeur de la Terre, tu vois vraiment le temps que tu vas prendre et la distance pour aller quelque part. »

Le sexisme n’a qu’à bien se tenir !

Gallia commence par conter la fois où, à Valence en Espagne, elle a présenté au capitaine du port les passeports de l’équipage, composé de deux hommes et d’une femme. Ce dernier demandant lequel des deux hommes étaient le skipper, Gallia n’a pas hésité une seconde à répondre que c’était elle !

Cette anecdote mise à part, elle confie ne pas avoir ressenti de sexisme à bord puisqu’elle a principalement voyagé avec « des équipages très politisés de base », à la fibre féministe. A l’île de La Gomera, elle a rencontré à plusieurs reprises des capitaines féminins, entre autres deux femmes qui savaient naviguer depuis toute petite et qui initiaient leurs compagnons à la voile. « C’était chouette », se réjouit-elle, « mais c’est très rare ».

La féminité à bord

Question force physique, Gallia affirme qu’elle n’a pas eu besoin de faire appel à quelqu’un d’autre pour l’aider. Volontaire et tenace, elle n’hésite pas à remettre un coup de winch quand il le faut.

Quant à sa féminité à bord, puisqu’elle considère le bateau comme sa maison, elle n’a pas ressenti de gêne. Pendant ses règles, « que ce soit en mer ou à terre, je vais être de mauvais poil ! » Alors quand il lui faut se réveiller à deux heures du matin pour son quart de nuit : « je ne dis trop rien mais je ne vais pas être contente ».

Des peurs légitimes

Lors des longues navigations, le moins plaisant pour elle est la fatigue cumulée par un rythme de quart et par une vigilance de chaque instant. En arrivant à Gibraltar, ils ont eu une bonne douzaines d’heures avec beaucoup de vent. Gallia n’était pas très rassurée et quand elle n’était pas de quart, elle ne trouvait pas le sommeil car elle n’arrivait pas à faire confiance aux équipiers et remontait sur le pont pour tout vérifier. « En y repensant, le manque de sommeil, c’est hard, quand même ! Tu as moins de patience, et plus tu es fatiguée, plus ça va te faire peur. »

Sinon, elle confie que les gros cargos l’effraie beaucoup : « tu vois qu’en vingt minutes, ils se rapprochent, et que très vite ils sont à 200 mètres de toi : je n’aime pas trop ce genre de situation ! »

Ses plaisirs en navigation

L’âme poète qui l’anime lui fait répondre tout de go : « regarder les étoiles la nuit » et les animaux marins : « j’adore me mettre à l’avant et regarder les oiseaux, les dauphins, les baleines ! »
Mais Gallia aime aussi sentir son bateau, saisir l’instant quand il avance et son inertie. Quand elle réalise une manoeuvre d’accostage, elle n’est pas peu fière de réussir ! Bonne vivante, elle adore cuisiner quand tout est calme et qu’elle sent bien.

Si le mal de mer lui a joué quelques mauvais tours, Gallia s’est vite accordée à ce nouveau style de vie, au gré des vents et des vagues. Un an après leur première expédition dans l’Atlantique, les deux partenaires ont pris la direction de la mer Egée et du pays « aux dieux antiques », où la mythologie hellénique a ravi la soif d’aventure, d’art et de littérature de cette navigatrice novice.

1. Référence à l’oeuvre de Virginia Woolf Une chambre à soi ou Lieu à soi, selon les traductions (A Room of One’s Own).

Auteur : Mathilde Pilon

Charlotte Yven

De la régate à la course au large

Charlotte l’étudiante, Charlotte la voileuse. 25 ans, à l’aube d’une carrière de navigatrice, Charlotte est issue du vivier morlaisien de régatiers. Entre deux trains, Charlotte et son manteau jaune me rejoignent au café. Peu à peu, au fil de la discussion, les embruns de la mer et la accords mathématiques de l’ingénierie s’entremêlent à la fumée du thé chaud.

Après une journée de stage chez Kairos, Charlotte profite de la ville de Concarneau, jamais loin des bateaux.
©Mathilde Pilon

La mer, le vent et les cailloux pour une touche à tout

Un père de Morlaix, une mère de Cherbourg, deux bouts de terre si proches de la mer. Les parents de Charlotte vivent à Plougasnou dans le Finistère. La baie de Morlaix se pose alors comme décor et terrain de jeu, tout a commencé là-bas. Charlotte a grandi entre des étés à caboter en Bretagne sur le bateau familial et des stages d’Optimist, au club1 de Plougasnou où elle a commencé à faire de la régate dans la baie de Morlaix, elle est à tel point ravie que la voilà à se confronter, avec son Optimist, aux Championnat de France !

Ça y est, Charlotte a goûté à la compétition ! Alors, elle s’essaie au laser. Rapidement, elle passe au 420 en double et, arrivée au lycée, elle intègre le Pôle Espoir de Brest en Sport Etudes, section voile, et ce, pendant quatre ans, avec des résultats plutôt prometteurs : championne de France deux années consécutives (2014 et 2015), vice-championne du monde en 2015. Etudiante en école d’ingénieur à Rennes, elle rejoint le Pôle France de Brest, où elle joue sur un support olympique, le 470, en tant que « jeune moins de 23 ans », ce qui lui réussit plutôt bien : elle décroche la troisième place aux Championnats d’Europe (2019).

Charlotte est une jeune femme qui ne manque pas d’idées ni de perspectives. Alors qu’elle souhaite « sortir un peu du milieu de l’olympisme », elle se confronte aussi au match racing (régate en duel) et elle décide de s’orienter également vers la course au large. Alors, rien de tel que de s’y exercer. En 2021, elle intègre le Team Vendée Formation2, qui l’accompagne et la forme : elle participe au Tour de Bretagne à la voile et à la Solitaire du Figaro.

Depuis le début, Charlotte bénéficie du soutien sans faille de sa famille, ce qui « la motive à continuer, [car] quand c’est un peu dur, ils sont toujours avec moi » même si, parfois, elle aimerait les voir plus, à l’instar des copains « qui ne font pas de voile ». « On est obligé de faire des compromis quand on fait du sport de haut-niveau, […] et on est d’autant plus content quand on peut être présent et on profite deux fois plus », relativise-t-elle.

Concilier la voile haut-niveau et les études

« C’est un petit rythme à prendre quand même », souligne-t-elle ! Car, pour Charlotte, il est important de suivre des études supérieures afin de s’assurer des portes ouvertes pour « après »…

Tant qu’elle était en Sport Etudes, elle arrivait assez bien à s’organiser entre le lycée à Brest et le Pôle Espoir, les entraînements étant calés dans l’emploi du temps. Une fois en école d’ingénieur, à l’INSA de Rennes, il lui a fallu se prendre en main de manière plus indépendante pour gérer au mieux son emploi du temps universitaire, son planning sportif, sa préparation physique, des aller-retours entre les deux bouts de la Bretagne et tout ce qui agrémente une vie d’étudiante et de sportive de haut-niveau.

Charlotte n’a pas choisi ce cursus-là par hasard puisqu’elle a toujours eu un attrait pour les matières scientifiques et que le métier d’ingénieur correspondait bien au milieu du nautisme. Son école propose un cursus adapté et un aménagement de l’emploi du temps à destination de sportifs de haut-niveau de différentes disciplines. Aujourd’hui toute jeune diplômée, Charlotte admet qu’ « au début ce n’était pas facile, surtout les deux premières années de la prépa intégrée, c’était assez dense ». Un système assez bien rodé et qui a l’air de fonctionner puisque plusieurs navigateurs renommés sont passés par là, à l’instar d’Armel Le Cléac’h.

Charlotte, 25 ans, est navigatrice sportive de haut niveau et est diplômée en génie des matériaux à l’Insa de Rennes.
©Mathilde Pilon

Et les femmes dans le milieu de la voile de compétition ?

Dans la voile, chez les petits, la proportion filles-garçons est assez bien répartie, environ 50-50, selon la Fédération française de Voile. C’est après, en Sport Études ou en études supérieures, qu’il y a moins de filles que de garçons. Elle explique : « en général, les filles ne courent pas avec les garçons car il y a deux catégories, et il y a quand même moins de filles que de garçons sur les compet’. »

Fort heureusement, une catégorie assez récente est apparue : les équipages mixtes. Le phénomène a commencé avec le catamaran olympique en double mixte, le Nacra, et se répand parmi les autres séries : les 407 en double mixte, la course au large en double mixte, etc. « C’est cool car il y aura le même nombre de filles que de garçons », se réjouit-elle », c’est vers quoi ils tendent aux JO : avoir autant de médailles pour les garçons que pour les filles. »

Actuellement, en dériveurs, « dans les séries où les filles courent avec les garçons, on récompense toujours la première fille, il y a un podium garçon et un podium fille, même si elle est arrivée dixième de la course derrière les garçons, la fille sera récompensée. » Charlotte nuance : « ce qui n’est pas forcément le cas dans d’autres séries, en course au large, on récompense les premiers à l’arrivée mais pas forcément les premières filles (elles sont moins nombreuses). Mais on ne voit pas les choses de la même manière, en Olympisme et au large… » Charlotte considère qu’en ce moment, dans les séries olympiques, une certaine bienveillance envers les filles est à noter : « on les pousse à continuer, à aller chercher le haut-niveau, à intégrer les structures, on les récompense aussi ». Voilà de quoi « encourager les filles à faire de la voile ».

La jeune femme se confronte par contre au choc des âges… « Plus on grandit et plus on est en contact avec l’ancienne génération, là on sent des préjugés ou des idées un peu arrêtées sur la place des femmes dans la voile. » Concrètement, peu de femmes travaillent dans la préparation des bateaux, peu de femmes intègrent les équipes techniques, peu de femmes naviguent sur les compétitions, « en course au large, on peut les compter sur les doigts d’une main ». Et pourquoi ? s’interroge-t-elle : « du fait qu’il y a une idée préconçue, elles ne sont pas aidées à franchir le pas, elles osent peut-être moins parce qu’il y a ces barrières-là. »

Dans la nouvelle génération, « les mentalités sont en train de changer et ces barrières se gomment parce qu’on parle plus de l'[égalité femme homme] et surtout parce que des femmes sont en train de montrer que c’est possible et que, par conséquent, les autres filles ont moins peur d’y aller. »

Voile au féminin : solidarité et compétences

En stage ou en régate, toute la journée passée en combinaison ou en affaires de sport, Charlotte aime bien porter un petit bijou quand elle rentre chez elle mais elle ne semble pas donner trop d’importance à l’apparat dit féminin. Et, quant à notre spécificité biologique des règles, et bien, « on trouve des adaptations, ça fait partie du jeu ».

Toutefois, malgré l’habitude des stages et entrainements en équipages féminins « où ça se passe très bien », Charlotte reconnaît qu’ elle avait eu une petite réticence, lors d’une sélection féminine de la course du Figaro, quant « au crêpage de chignons » entre les différentes concurrentes. Finalement, tout a été pour le mieux : « on naviguait en équipage à trois par bateaux, il y avait trois bateaux : il y avait de la cohésion, on rigolait, on s’entraidait ; la sélection finale n’a pas trop impacté sur l’ambiance générale du stage ». Bilan positif donc : bonne ambiance et de l’entraide entre elles.

Charlotte réfléchit à voix haute : du fait que les filles soient moins nombreuses, elles auraient moins à faire leur place, elles auraient plus de chance à avoir des opportunités (surtout en équipage mixte), et donc il y aurait moins de rivalité que chez les garçons, et peut-être même un peu plus de solidarité…


Cependant, à l’heure de naviguer à plusieurs et de bien s’entendre sur l’eau, pour Charlotte, la question du genre n’est pas là où il faut s’arrêter. Ce qui fait la différence, selon elle : la personnalité et les compétences : « Si on fait avec les qualités de chacun, si on donne les mêmes possibilités à l’un et à l’autre, il n’y a aucune raison que la fille ne puisse pas s’en sortir aussi bien. Et, ce, dans tous les domaines. »

Une route à tracer sur une carte

Charlotte a encore devant elle de belles années de voile et de régates. Une multitude d’opportunités paraissent s’offrir à elle, ou du moins se donne-t-elle les moyens de goûter à ses envies. Elle se questionne néanmoins sur son orientation future : la voile professionnelle, l’ingénierie, l’alliance des deux… En tant que nouvelle spécialiste en génie de matériaux et passionnée de voile, les domaines de recherche et développement des bateaux, comme ceux du Vendée Globe, l’intéressent grandement pour chercher plus de performance mais aussi des matériaux moins polluants. « On parle de la voile comme un sport propre mais en fait pas complètement : il y a peut-être du travail à faire dans cette voie-là, pour aboutir à des matériaux plus respectueux de l’environnement ». « Plutôt que de la fibre de carbone, on pourrait trouver des fibres plus naturelles. On pourrait recycler ces bateaux en carbone, au lieu de les entasser sur des parkings une fois qu’ils sont dépassés », la voilà déjà repartie à rêver, parmi les nombreux terrains de jeu qui se présenteront sûrement à elle.

1. La société des Régates des Plougasnou (Finistère).

2. https://teamvendeeformation.com/

En savoir + sur Charlotte : https://www.charlotte-yven.fr/Facebook

Auteur : Mathilde Pilon

Des femmes et la mer

Portraits de navigatrices d’aujourd’hui.

Par ordre d’apparence : 1. Charlotte Yven, voile légère et course au large ; 2. Martine Préel, accompagnatrice Défi Voile Adaptée ; 3. Emmanuelle Périé Bardout, exploratrice à Under the Pole ; 4. Louise Ras, skippeuse de l’Hirondelle et coordinatrice Sailing Hirondelle ; 5. Anna, à la « méca » sur l’Albarquel et membre des Bordées ; 6. Maëlenn Lemaître, championne du monde en match racing ; 7. Cotenteam, l’équipe féminin en J80 de Cherbourg ; 8. Julie Mira, coach voile adaptée aux femmes chez « Les Marinettes » ; 9. Raphaëlle Ugé, membre de Balance Ta Voile et éducatrice sportive en voile ; 10. Marta Güemes, amatrice de voile sportive et salariée à Ocean Peak Project ; 11. Gallia Vallet, artiste nomade ; 12. Cécile Le Sausse, chargée de projet à Explore ; 13. Cléo, membre de Liberbed

Au delà des navigatrices connues et médiatisées pour leurs exploits de régates, transat en solitaires, et autres courses autour du monde (Ella Maillard, Florence Arthaud, Isabelle Autissier), et de quelques aventurières originales (Anita Conti, Jéromine Pasteur, Tania Aebi) pour lesquelles il faut reconnaître tout leur mérite avant-gardiste, il est nécessaire de constater que leur reconnaissance est un phénomène récent – comme en témoigne la volonté aux Jeux Olympiques de 2024 d’organiser plus de régates en mixte (série 470) ou encore la confiance accordée par l’une des plus grosses écuries françaises de course au large à une femme, Clarisse Crémer, pour concourir à bord d’un monocoque le Vendée Globe de 2020.

Toutefois, il reste important de souligner que le milieu de la voile reste majoritairement masculin, tant dans le nombre de licenciés hommes à la Fédération Française de Voile bien supérieur à celui des femmes (seulement 25% de femmes licenciées, après l’âge de 15 ans) et dans la faible participation féminine dans les courses au large (10%), que dans les mentalités où le sexisme perdure. En effet, selon l’association britannique visant aux changements positifs (environnement, égalité des genre, etc.) dans la voile au niveau mondiale, la World Sailing Trust, une enquête menée dans plus de 75 pays montre ainsi qu’au moins 60% des femmes répondant au questionnaires ont été victimes de discriminations sexistes.

Sous forme de portraits de femmes impliquées dans le milieu de la voile en France, ce reportage s’attache à mettre en lumière treize femmes passionnées par la navigation, afin d’entendre leur voix et leur parcours, de comprendre ce qui les porte et de rendre compte de leurs choix de vie.

Comment sont-elles arrivées dans ce milieu ? Quelles sont leurs motivations ? Comment vivent-elles leur féminité à bord ? A quels obstacles ont-elles dû faire face ? Comment se sont-elles fait accepter en tant que femme ? Comment vivre une vie d’aventure et vie de couple ou de famille ? Portent-elles un enjeu fort à faire reconnaître leur place à bord ? Quels liens entretiennent-elles avec la mer et le bateau ?

Pour avoir un éclairage sur ces questionnements, je suis allée, en 2020 et 2021, à la rencontre de femmes (genre tel qu’elles se définissent elles-mêmes), vivant seule, accompagnée, en famille ou encore organisée en collectif militant, de skippeuses et régatières haut-niveau ou amatrices, de tout âge, de tout horizon, ou de femmes simplement animées par cette pratique.

Pour lire les articles :

Martine Préel : Accompagnatrice Défi Voile Adaptée

Anna : La mécanicienne marine

Charlotte Yven : De la régate à la course au large

Marta Güemes : De la Mini Transat à la voile pour tou.te.s.

Gallia Valet : L’artiste nomade

Cléo : La chercheuse d’idéal

Emmanuelle Périé Bardout : L’exploratrice

Louise Ras : La narratrice de la mer

Cotenteam : Le très enthousiaste équipage 100% féminin cherbourgeois

Cécile Le Sausse : L’énergique skippeuse

Julie Mira : La coach voile au féminin

Maëlenn Lemaître : La championne du monde en match racing

Raphaëlle Ugé : La lanceuse d’alerte