Deux navigatrices, un Sangria, des dessins et un tour de Méditerranée : le temps d’une bulle ou deux avec Sweety AroundZeWorld

Propos recueillis par : Mathilde Pilon, mars 2023 / Photos : Mathilde Pilon / Dessins : Sweety AroundZeWorld

Sarah et Sophie, la trentaine et férues de grand air, ont navigué depuis Marseille, leur port d’attache, jusqu’aux îles grecques du Dodécanèse à bord de leur cher Sweety, un Sangria de 1973. Au travers de leur regard perspicace et leur fine sensibilité, les deux deux complices “à la vie comme à la mer” racontent leur périple sous forme de dessins non dénués d’humour. Sophie au tracé et Sarah à l’aquarelle. Rencontre.

Sarah (à gauche) et Sophie (à droite) sont toujours à l’affût de nouvelles histoires de navigation à raconter en dessin.

Sarah et Sophie, pouvez-vous vous présenter ?

Sarah : J’ai grandi dans le sud de la France, dans un village des gorges du Verdon, à proximité du lac d’Esparron. C’est donc là que j’ai découvert la voile. Vers onze ans, j’ai commencé à prendre des cours de planche à voile l’été. Au fur et à mesure des années, on sortait aussi hors saison et j’ai pu tester d’autres types d’embarcations, comme les dériveurs.

Sophie : Je n’ai pas du tout fait de voile quand j’étais petite. Par contre j’ai grandi sur une péniche en Seine-et-Marne. A la base, je voulais acheter un bateau fluvial, à moteur. La passion de la voile est venue petit à petit, par la pratique sur Sweety. Ce qui m’intéressait vraiment au début, c’était de voir comment toutes les deux on arrivait à faire avancer le bateau, et comment le lien évoluait entre nous sur le bateau.

Aujourd’hui, entre deux navigations, vous travaillez dans le spectacle vivant. D’où vous vient la fibre artistique ?

Sarah : A la fin du lycée, j’ai fait les Beaux-Arts à Avignon, j’avais une pratique très variée. Parallèlement, j’aidais des copains qui avaient un groupe de musique sur la lumière et la scénographie. Je me suis spécialisée à l’ENSATT de Lyon (Ecole nationale supérieure des arts et techniques du théâtre) pour me reconvertir comme éclairagiste. J’ai été régisseuse principale dans une structure culturelle à Marseille pendant deux ans et demi. Aujourd’hui je travaille pour des compagnies de théâtre. C’est à Marseille qu’on s’est rencontrée avec Sophie, on a suivi la même formation mais on se connaissait pas de l’école. Par la suite, ça a collé et on eu envie d’aventures, de projets sur l’eau.

Sophie : Après le bac, je n’arrêtais pas de dessiner des bédés, j’ai alors voulu passer les concours des trois plus grandes écoles d’illustration. Je suis arrivée aux concours avec mes petites planches de dessin “regardez, j’ai dessiné comme Garfield”, évidemment ils ne m’ont pas acceptée. Ensuite, j’ai commencé la fac de théâtre et j’ai rencontré une metteuse en scène en faisant du stop, qui m’a motivée à rejoindre une école de théâtre. Maintenant je suis éclairagiste, en pause pour faire du bateau.

Comment est né votre projet “bateau” ?

Sarah : On avait vraiment cette envie de voyage en itinérance, dans des endroits sauvages. Et dans la boîte bleue, aussi ! On est tout le temps enfermée au théâtre, dans une boîte noire.

Sophie : Pour répondre à ce besoin, on s’est dit “pourquoi pas vivre sur un bateau ?” puisqu’on est l’une et l’autre intermittente du spectacle et qu’on peut choisir d’habiter où l’on veut. Au départ, on cherchait un bateau qui pouvait faire aussi bien du fluvial que de la navigation à la voile, tel que les bateaux hollandais adaptés aux canaux, mais ils sont hyper chers, très grands et impossibles à naviguer à deux. C’est pour cela qu’on s’est orientée vers un bateau comme celui-ci, un Sangria.

Sarah : Par ailleurs, notre rencontre a permis d’accomplir un rêve d’enfant : quand j’étais petite, je voulais partir avec la Baleine blanche. C’était une association qui permettait à un groupe de jeunes adolescents de partir vivre une expérience de navigation à la voile en équipage pendant neuf mois. Le fait de rencontrer Sophie qui avait cette même envie de voyage a permis de réaliser ce rêve-là.

Quel est votre lien avec le Sweety, un Sangria de 1973 ?

Sophie : On l’a acheté en 2018 à l’Estaque à Marseille. Le propriétaire, qui avait beaucoup de souvenirs liés à ce bateau de famille, a aimé notre projet de voyage et a pris le temps de faire une jolie passation. Et dès qu’on a vu le nom, on s’est dit qu’il était pour nous : Sweety.

Sarah : Depuis, on lui a apporté de nombreuses adaptations et améliorations, comme installer un tube d’enrouleur, fabriquer un nouveau safran ou encore réfectionner la chaise d’arbre, et, ce, par nous-même dans la mesure du possible. On a fait notre premier voyage sur dix jours en plein hiver, cap sur Porquerolles. On a passé Noël et le jour de l’an sur l’eau.

Sophie : Ensuite on a réussi à se dégager trois mois de temps, destination Corse Sardaigne Sicile, les îles Eoliennes. Là c’était les premières traversées, les premières fois où l’on ne voyait plus du tout la terre, les premières fois où l’on a vu les dauphins, les baleines et les requins.

Sarah : Les premières nuits sans lune dans la brume. On ne maîtrisait pas encore bien les histoires d’AIS et on ne comprenait pas bien à quelle distance étaient réellement les bateaux. Tout était étrange et très particulier, dans un temps vraiment dilaté, hors réalité. Et comme ça nous a tellement plu, un an après, on a repris un peu de temps pour aller jusqu’à l’île d’Elbe.

Sophie : On a commencé à refuser des propositions de travail pour pouvoir se préserver du temps et naviguer. On a décidé de s’octroyer un an et demi pour ce voyage-ci, où on a réussi à rejoindre les îles du Dodécanèse.

Sophie : Notre prochain projet : monter dans le nord, région qui nous tente tellement. On voudrait s’installer en Bretagne pour pouvoir refaire des petits voyages de trois mois, et monter jusqu’en Norvège, en passant par l’Angleterre, l’Ecosse…

Sweety AroundZeWorld, comment est née cette envie de raconter ce que vous vivez à bord ?

Sophie : On aime bien faire plein de projets ensemble, du coup on s’est dit “et si on faisait du dessin ensemble ?” Moi, je fais le tracé et Sarah, elle peint. A l’origine, dessiner nous permettait de prolonger la journée de navigation, c’était vraiment juste pour nous deux.

Sarah : Pour cela, on cherchait le moment le plus emblématique de la sortie pour en faire une blague, on portait une anecdote personnelle sur un format d’image unique, à l’instar de Mike Peyton qu’on a découvert par la suite.

Sophie : Puis, on a commencé à mettre sur Instagram. Et comme des personnes suivaient notre compte, on s’est dit qu’il fallait poster un dessin par semaine. Désormais, c’est vraiment un autre exercice car on ne dessine plus des anecdotes intimes mais des anecdotes sur ce qu’on voit du milieu de la voile. Cela nous permet également de nous exprimer sur ce qui nous choque au moyen de l’humour qui permet de temporiser.

Sarah : C’est vrai, au départ on illustrait ce que pouvait être la vie à bord sous tous ces aspects pour faire rire. Petit à petit, on s’est dit que ce serait pas mal de proposer autre chose, de montrer une image différente du marin dur à cuire, homme, qui pense performance et chiffres. C’est important qu’il y ait d’autres représentations du milieu de la voile, qui sont finalement peu présentes. Ca commence à évoluer mais quand on regarde des gens comme Mike Peyton, il était presque le seul à faire de l’illustration de voile à son époque, il était dans un truc très genré et très stéréotypé : c’est l’homme qui navigue, la femme qui reste à la maison et qui n’est pas emballée par l’idée de faire une sortie le weekend avec les enfants.

Sophie : Du coup, on change même un peu les dessins. Au début, les personnages n’étaient pas très genrés. Maintenant, on a envie de montrer que ce sont deux filles qui font de la voile. On a également créé une nouvelle catégorie de planches qu’on appelle les “mansplaining” (ou “mecsplication” en français, un concept désignant le fait qu’un homme expique à une femme ce qu’elle sait déjà sans qu’elle n’est rien demandée), car ça nous arrive tout le temps. Ce sont pour le coup des histoires vraies, pas du tout exagérées, contrairement aux autres. Une fois, un homme en commentaire nous a dit “ah j’ai un peu honte de le dire mais je me reconnais dans ce petit personnage.”

Sarah : Là, on s’est dit que c’était pas mal car ça permettait aussi aux gens de se voir de l’extérieur, de réinterroger leur comportement et donc, à notre échelle, ça peut peut-être faire évoluer les mentalités. Le dessin, ça permet peut-être aussi d’accepter les situations qui ne sont pas drôles parce qu’on se dit qu’on pourra en faire un dessin. Voilà, tout cela permet de donner du sens au voyage, sur la longueur. Le fait de se tenir à créer un ou deux dessins par semaine, ça nous force presque à respecter une rigueur de travail.

Sophie : Avec le dessin, ce qui est rigolo, c’est qu’on est obligée d’aller naviguer pour avoir des idées. Vivement la mise à l’eau !

Sarah : Oui, on aimerait bien créer des événements conviviaux, comme des expos, des vernissages pour montrer nos planches selon les ports où l’on se trouve, et les gens pourraient y venir boire un coup. Par ailleurs, ça nous plairait bien aussi de faire un livre du genre La voile pour les nuls, avec les choses à ne pas faire, sur le ton de l’humour.

Qui est la capitaine à bord ?

Sarah : On ne veut pas de système pyramidal, donc l’une a pris les jours impairs et l’autre les jours pairs lorsque les autorités nous demandent. On est toutes les deux sur les papiers. En réalité, en mer quand il faut prendre une décision, on a toujours cinq minutes pour parler des meilleures options.

Sophie : Dans l’urgence, on est toujours d’accord parce qu’il n’y a pas mille solutions, sinon c’est celle qui a la décision la plus prudente qui gagne. On trouve super important que chacune puisse être autonome sur le bateau, de savoir tout faire. Par exemple, si l’une préfère telle ou telle manœuvre, l’autre doit être tout aussi capable de l’exécuter. Pareil pour les travaux, on réalise tout ensemble.

Sarah : C’est essentiel pour nous d’être au même niveau de connaissance pour tous les postes. C’est également important pour soi de ne jamais se faire porter par l’autre, pour ne jamais subir. Aussi, si jamais l’autre est en incapacité, il faut pouvoir être autonome. Et ne jamais se complaire dans des jeux de rôle de pouvoir.

Aux dernières nouvelles, le Sweety a rejoint l’Atlantique via le canal des 2 mers. Vite, vite, vite, cap vers la Bretagne !

Liens :

www.sweetyaroundzeworld.com

www.instagram.com/sweetyaroundzeworld/

Louise Ras

La narratrice de l’océan

Juillet 2020. La goélette en bois de douze mètres, Hirondelle, est en escale au port du Crouesty dans le Morbihan. Louise Ras est membre de l’association Sailing Hirondelle1 et copropriétaire de la goélette. Le majestueux vieux gréement trône en bout de quai parmi des unités standardisées. Louise m’invite à monter sur le voilier et à prendre connaissance de l’équipage du moment composé de son compagnon, Aurélien, et d’une bénévole, Louison, occupée à dessiner quelques bulles de bande-dessinée.

A bord d’Hirondelle, temps de pause pour Louise, avant de donner une interview.
© Mathilde Pilon

La voile, une histoire de famille

Louise a 28 ans. Sa mère est Germano-américaine et son père Français, « du Lot », précise-t-elle. Grands amateurs de voile, ses parents aimaient acheter des vieux bateaux pour les restaurer, naviguer un peu et les revendre. Jusqu’à ses douze ans, Louise a vécu dans la baie de Chesapeake2, en Virginie, sur la côte est des États-Unis. Elle a grandi dans l’univers des chantiers navals : « à jouer entre les bateaux, à aider mes parents, à poncer du bois », se souvient-elle et, dès le plus jeune âge, a pratiqué l’Optimist, à bord duquel elle adorait « être toute seule sur son bateau et avoir l’impression d’être le chef », sensation souvent rare à cet âge-là.

Ensuite, un océan plus loin, la petite famille s’est installée en Dordogne, loin des embruns de la mer. Formé à l’UCPA, son père souhaitait que ses enfants apprennent à naviguer à l’école des Glénans, la voilà embarquée en stage de voile tous les étés, jusqu’à passer son monitorat et encadrer des stages.

Depuis ses dix ans, Louise a un rêve en tête : habiter sur un bateau et naviguer loin. Sans trop savoir comment y arriver, cela l’a animé jusqu’à croiser, bien plus tard, le sillage d’Hirondelle. Entre temps, elle a rencontré Aurélien, moniteur de voile et secouriste aux Sapeurs Pompiers de Paris, qui, lui aussi, avait la même envie de vivre sur un bateau. Après des études en sciences politiques à Bordeaux, et un Master sur les biens publics mondiaux, Louise a travaillé un an à Paris sur le milieu marin. En manque de mer, le couple a vite décidé de se rapprocher de la Bretagne et de partir en quête d’un bateau.

Hirondelle, voilier chéri

Un an et demi de recherche, quelques sous en poche et un cahier des charges bien précis, c’est Hirondelle qui sera l’heureuse élue de leur prospection. La goélette, construction amateur des années 1990, reprend son envol et migre depuis son Doubs natal jusqu’à Brest pour 18 mois de chantier.

Louise se plaît à raconter l’histoire du voilier. Installés dans le Doubs, le couple d’anciens propriétaires a construit pendant huit ans leur navire, inspiré des plans de l’architecte naval américain Herreshoff. Ils ont navigué douze ans, en Méditerranée principalement. Ne se sentant plus en âge de prendre le large, ils ont décidé de vendre leur bateau. Mais, il s’agissait plus de confier leur bébé à des personnes de confiance que de trouver un simple acheteur. Traversant la France pour venir voir le voilier, Louise et Aurélien ont passé une journée entière de « recrutement avant adoption » durant l’été 2018 pour voir si leur projet correspondait à la philosophie de navigation des propriétaires. On ne confie pas Hirondelle au premier venu ! Le coup de cœur fût respectif. « Nous sommes tombés en amour de ce bateau, il est beau, assez unique, tout est rempli d’histoire, même le nom ! Il s’appelle Hirondelle car des hirondelles venaient nicher tous les printemps dans le bateau pendant la construction » s’émerveille à nouveau Louise !

Ils l’ont mis à l’eau début janvier 2020. Pendant le temps des travaux de rénovation, ils ont monté le projet associatif Sailing Hirondelle, qui consiste « à créer des supports de sensibilisation à une relation plus durable avec l’océan », l’idée étant de concevoir du commun autour de ce bateau et non d’en faire un projet personnel.

Fort d’une année d’étude en architecture navale et d’expériences sur des chantiers navals, Aurélien avait pour objectif d’être autonome le plus possible en terme de travaux et de réparation, surtout « quand on a un petit budget ou que tu veux aller loin », précise Louise. Quant à elle, elle a « appris sur le tas », en essayant de comprendre comment tout fonctionne. Bien entourés à Brest, ils ont bénéficié de nombreux coups de main.

Habitués comme beaucoup à une navigation sur des sloops classiques en polyester, ils se sont initiés à l’usage et au réglage des nombreuses voiles du deux-mâts. Ils habitent ensemble sur le bateau, et, comme ils le mettent en même temps à disposition de l’association Sailing Hirondelle, des bénévoles techniciens, artistes, chercheurs ou encore journalistes viennent à bord. La bande de joyeux lurons partagent donc une vie en collectif et voguent à la rencontre d’acteurs et actrices de l’océan.

Voyage, petite Hirondelle ! Et raconte-nous des histoires.

Suite à une expérience professionnelle sur la création d’outils pédagogiques dans le cadre de la relation « humain et océan » à Brest, Louise a souhaité continuer à réaliser d’autres supports de sensibilisation au milieu marin. En discutant autour d’elle, Alix, pro de la communication, et Aline, illustratrice et graphiste, se sont associées à son projet. Sailing Hirondelle est née en 2019. Ils ont mis en place un financement participatif pour le lancement de l’association et ils ont réussi à fédérer autour de leur projet des fournisseurs de matériel, ce qui leur a permis de s’équiper d’un radeau de survie, de vestes de quart ou encore de matériel de sécurité.

En 2020, ils ont navigué cinq mois autour de la Bretagne, où, entre Nantes et Saint-Malo, Louise est allée à la rencontre de personnes explorant, vivant ou protégeant la mer et a retranscrit leur témoignage sous forme d’articles et de podcasts. Les bénévoles aux horizons variés sont présents également pour créer d’autres supports – vidéos, photos, dessins -, que l’association utilise et diffuse.

Une manière de vivre la mer, un projet fédérateur autour de la protection des océans, ces jeunes gens réfléchissent à faire autrement. Sur l’île d’Houat, des îliens lui ont rapportés : « on a parfois du mal avec les gens qui viennent consommer la mer », phrase qu’elle considère si tristement appropriée à la mentalité d’une partie des navigateurs.

Naviguer, des sensations qui la portent

« Dans mes interviews, quand je demande ‘c’est quoi pour toi l’océan ?’, tout le monde me répond : ‘la liberté’ « , me confie-t-elle.

Ce qui est certain, c’est l’apaisement total qu’elle y retrouve. Pendant ses études à Bordeaux, elle s’échappait quelques heures à Bordeaux Lac pour se ressourcer une heure à bord d’un 420. « Ce n’était pas un coin de nature, juste un rond d’eau mais c’était une échappée incroyable, un relâchement ». Sur l’eau, en dériveur, « tu laisses tes problèmes à terre, tu barres, tu cherches les risées, tu regardes tes réglages, tu ressens les sensations, tu essaies de faire planer ton bateau, c’est jouissif, tu es trop bien, c’est un sentiment de bonheur profond », poétise-t-elle. Avec Hirondelle, les sensations sont très différentes, il leur faut faire bouger douze tonnes juste avec le vent et sentir l’inertie. « C’est vachement fort alors que c’est plus lent que le dériveur ! » Louise ne s’ennuie jamais, à regarder les paysages évolués et la mer chaque jour différente.

Quant à ses craintes en mer, elle déclare tout de go : « Couler, avoir une grosse avarie, quoi  » ! Puisqu’elle supporte très mal la vue du sang ou des piqûres, elle craint réellement que quelqu’un à bord ait des problèmes et qu’il lui faille faire face à la situation. Elle espère que, avec l’adrénaline, elle soit capable de gérer si ça arrive. Heureusement pour elle, son compagnon, Aurélien, ancien secouriste et formateur pour les premiers secours en mer, est bien plus à l’aise.

Du sexisme ordinaire à des modèles féminins inspirants

« Dès que tu montes en niveau, en dériveur, tu es la seule femme quasiment », résume-t-elle. Dans l’encadrement de stage, ou lors de ses stages de monitorat, elle était très souvent la seule femme. Le fait de ne pas avoir d’exemples de femme à bord a joué sur son manque de confiance en elle. En effet, dès que Louise discute avec des femmes qui naviguent, elles témoignent de leur manque de confiance et qu’elles ont besoin de faire et refaire pour prouver aux autres et à elles-même qu’elles savent naviguer.

Toutefois, l’hiver précédent, « on a vu un 31 pieds arriver dans le port de Brest juste après une tempête, et une petite minette était en train d’attacher le bateau, tout s’est passé dans le calme, c’était propre, c’était magnifique, il n’y avait aucun mec qui gueulait ». « C’était une navigatrice solo qui a fait du dériveur, de la croisière, du convoyage, de la maintenance, elle sait bien évidement gérer son bateau toute seule. » Cette dernière lui a confiée qu’elle avait réalisé les travaux de rénovation toute seule, acquérant confiance au fur et à mesure.

Par ailleurs, le sexisme sous-jacent bien ancré dans les mentalités semble l’agacer tout particulièrement. Elle prend en exemple une connaissance, une femme marin professionnelle qui avait vue des hommes refuser d’embarquer en raison de sa présence. Ou encore la fois où elle encadrait un stage adulte mixte et que les femmes stagiaires étaient surprises d’avoir une monitrice, ne cessant de comparer Louise à leur précédent prof. Ressenti guère agréable, ni évident à gérer. Ou alors lors de leur recherche de bateau, quand les propriétaires montraient la construction et les fonds à Aurélien et la cuisine à Louise.

Résultat de ce sexisme ordinaire en continu : « on se retrouve à ne pas se sentir légitime », résume-t-elle. « En dériveur, on pense que, si tu n’arrives pas à hisser la voile, c’est parce que tu n’as pas de force alors qu’en fait il y a quelque chose de coincer, et, qu’au final, le mec il bourrine et casse le truc ! »

Louise se dit que naviguer entre femmes serait une étape parmi d’autres pour faire face au sexisme. Elle aimerait embarquer plus de femmes qui veulent prendre confiance sur un bateau, peu importe l’âge et leur niveau, « sans un mec qui arrive pour t’arracher un bout des mains ». Ou encore des femmes qui sont en train de passer des diplômes pour être capitaine et qui ont besoin d’un cadre non mixte, avec des modèles qui te donnent confiance ».

Le modèle de Louise est l’Américaine Tania Aebi, la plus jeune femme à avoir fait le tour du monde en solitaire à 18 ans. Jeune, Louise a lu le récit de ses aventures3 et ça a été le déclic. « Avoir un exemple de femme, c’est fort quand tu es petite, quand tu ne vois que des mecs naviguer, et là dans ton bouquin c’est une femme qui assure ».

La belle Hirondelle, que Louise se plaît à définir au féminin, ailes déployées, vogue en Atlantique principalement en compagnie de sa communauté de bénévoles engagés et surfe sur les réseaux sociaux et dans les évènements nautiques pour sensibiliser aux problématiques relatifs aux océans, en y diffusant photos, vidéos, dessins et podcasts. Louise, quant à elle, profite de sa nouvelle vie qu’elle s’est créée sur mesure, emprunte de ses aspirations les plus profondes.

1. https://www.sailinghirondelle.com

2. Baie au sud de Washington DC, limitrophe avec les états du Delaware, du Maryland, de la Virginie.

3. Maiden Voyage, de Tania Aebi et Bernadette Brennan, 2012, Editions Simon & Schuster.

Auteur : Mathilde Pilon

Marta Güemes

De la Mini Transat à la voile pour tou.te.s.

L’automne s’installe doucement en ce mois d’octobre 2020. Le vent balaie les nuages et le soleil perce enfin sur le bassin des Chalutiers à La Rochelle. Marta, jeune trentenaire, grand sourire et débordante d’énergie, revient tout juste de quinze jours en mer à bord du voilier de l’association Ocean Peak.

Un parcours voyageur

Marta a grandi entre Valladolid en Espagne, chez sa mère, et l’île de Lanzarote aux Canaries, chez son père. Bien qu’entourée de mer, au milieu de l’océan, elle n’avait que très peu pratiqué la voile. Marta a étudié dans une école française jusqu’au brevet. A 18 ans, elle est partie vivre à Lyon pour suivre des études de biochimie en école d’ingénieur.

C’est lors d’un stage de fin d’études en Nouvelle-Zélande, en 2012, qu’elle découvre la voile et que son histoire d’amour avec les voiliers a commencé. « Je suis tombée sous le charme », se souvient-elle. Adepte des voyages en vélo, la voile lui ouvre de nouveaux horizons ! Marta n’a plus qu’une idée en tête, apprendre à naviguer. Une fois ses études terminées et après deux ans de « premiers boulots », elle a rejoint l’école des Glénans.

Direction l’Irlande, pour se mettre à l’épreuve, dans le cadre d’un bénévolat de longue durée où, logée et nourrie à la base irlandaise des Glénans, elle répare les bateaux pendant l’hiver et se forme en parallèle au monitorat de voile de croisière, en 2012-2013. A partir de là, elle n’a jamais arrêté de naviguer.

Même si parfois, elle s’est fait happer par les montagnes et son emploi d’ingénieur en traitement de l’eau à Grenoble, très vite, il lui a fallu revenir à la voile. Chose possible dans son entreprise, un bureau d’études assez connu, qui organise des régates d’entreprise en équipage. C’est là qu’elle rencontre des personnes préparant la mini transat…

La mini transat, un nouveau défi !

En septembre 2015, Marta achète un Pogo 2 : « Moi, j’ai des tocs comme ça, quand j’y vais, je fonce », rie-t-elle. Pendant deux ans, son entreprise lui aménage son temps de travail et la sponsorise, et elle se prépare ainsi à la Mini transat, « plus pour l’aventure que la performance », confie-t-elle. Un défi un peu fou qui lui fait tout de même un peu peur puisqu’elle n’avait jamais navigué en solitaire auparavant.

La « Mini », comme on dit dans le milieu, c’est une régate de course au large en solitaire créée en 1977, sans assistance ni communication ni moteur, sur un bateau de 6,50 mètres entre Les Sables d’Olonne ou La Rochelle, et les Antilles, avec une escale aux Canaries1. « Le fait de faire cette première transatlantique avec escale aux Canaries n’était pas voulue mais j’étais trop contente de me sentir un peu plus de là bas, et qu’on me reconnaisse de là bas ».

La course s’est bien passée. Marta est arrivée trentième de la classe mini. Par contre, le retour à la réalité a été difficile : « pendant deux ans, tu es focalisée dans un truc à fond, tu fais tout pour toi et puis après tu reviens et tu t’assoies devant ton bureau, tu reprends tes calculs et une vie moins extraordinaire ».

Ocean Peak, ou comment continuer l’aventure

En 2018, un collègue de la Mini transat lui propose de monter le projet Ocean Peak. Lui est éducateur, grimpeur et marin. L’idée d’origine était de proposer deux types de navigation avec le voilier course croisière de 16 mètres en aluminium, Triphon, un Lévrier des mers2 : l’une sportive par des expéditions voile et alpinisme – qui les ont portées jusqu’au Groenland et aux îles Lofoten -, l’autre sociale avec des séjours de rupture à destination de jeunes en difficulté.

Cela fait quatre ans que l’association Ocean Peak tourne avec une énergie aujourd’hui centrée sur les séjours jeune, portée par une vingtaine de bénévoles. Marta, elle, est salariée à mi-temps (en complément de son travail d’ingénieur freelance en biochimie) et se plaît à transmettre sa passion de la voile à des jeunes de l’aide sociale à l’enfance et des quartiers dits prioritaires de La Rochelle. Les séjours durent deux semaines. En amont, sont proposés des ateliers de découverte et de préparation3 pour faciliter l’engagement et l’implication des jeunes. Certes, deux semaines, c’est très court mais cela apporte un environnement et un cadre différents à ces jeunes. Sur la mer, le bateau impose ses propres règles, alors ces dernières, liées à la sécurité et à la vie à bord, sont généralement bien acceptées. Marta explique : « Le prix du bateau leur est donné, l’environnement bateau leur est expliqué, aussi ils se rendent compte que quelque chose d’exceptionnel a été mis en place pour qu’ils puissent naviguer et qu’ils puissent en profiter. Très souvent, ils en sont reconnaissants. Par exemple, si un jeune abîme exprès un élément du bateau, il est débarqué. Mais, le bateau, ils le préservent à chaque fois ».

Entre sexisme et paternalisme, il faut faire sa place de navigatrice

Qu’y a-t-il donc d’étrange que d’être une femme navigatrice ? Voilà donc une question que Marta s’est posée dès le début de sa pratique, en tant que monitrice en centre nautique. Parce qu’elle n’avait que 26 ans, parce que les quatre « bonhommes » qu’elle encadrait en stage de croisière, eux, en avaient 40, elle reçut de leur part des commentaires désagréables, comme « ah, c’est toi qui va nous sauver ! »

Ensuite, quand elle a commencé à préparer la Mini transat, elle s’est rendue compte qu’il n’y avait que très peu de femmes dans ce milieu, et que les remarques désobligeantes se bousculaient. Soit les gens la considérait comme une gamine qui n’allait pas réussir la Mini, soit ils l’aidaient, de manière très paternelle, ne la prenant pas vraiment au sérieux. Comme le jour où, en arrivant au port lors de la Mini, des inconnus l’accueillirent en lui demandant où était le reste de l’équipage et si sa famille était au courant de ce qu’elle faisait, comme si cela était inconcevable de voir une femme d’une trentaine d’années seule à bord. Manque de légitimité et infantilisation, encore une fois ! Le ton de Marta s’échaude quelque peu.

Par ailleurs, elle ajoute que le côté médiatique de la question de la différence femme – homme pendant la course l’a vraiment importunée. « Moi je ne me lève pas le matin en me disant que je suis une femme dans la voile quoi ! Je fais du bateau parce que j’aime bien faire du bateau, et ensuite, oui, je suis une femme », ajoute-t-elle franchement. Elle me partage l’anecdote où, à une journaliste de l’AFP, elle a souligné le fait qu’elles n’étaient que 8 femmes sur 81 et que celles qui veulent gagner sont toutes sous hormones (par la prise de la pilule en continu) pour stopper les règles « car quand tu as tes règles, tu as beaucoup moins de force, tu es fatiguée ». La journaliste n’a rien publié de tout ça. Sujet tabou ? Pourtant, entre navigatrices, c’est un thème qu’elles abordent, mais qui semble toutefois encore mal aisé de rendre public.

Quand elle navigue avec des amis hommes, elle s’est rendue compte qu’ils sont beaucoup moins dans l’anticipation parce qu’ils ont de la force physique. Marta n’a pas cette force là, d’autant qu’elle n’est pas une adepte de la musculation. Alors, à la place, elle anticipe et prépare tout, afin de naviguer très proprement. Dans ses courses, remarque-t-elle, elle ne fait certes pas de grosses performances, mais elle n’a jamais rien cassé ! Ce qui fait donc la différence dans les façons de naviguer, c’est le mental.

Même après une course au large et de nombreuses régates en équipage, même avec le statut de cheffe de bord sur des expéditions dans le grand nord, Marta reçoit encore des remarques « ah les femmes à la barre » ou peine parfois à être écoutée quand elle donne des consignes en régate à des hommes « qui sortent sur l’eau quatre fois dans l’année ! » Elle a l’impression qu’une femme peut faire ce qu’elle veut une fois qu’elle a montré patte blanche, comme participer au Vendée Globe : « il faut montrer ton palmarès pour qu’on te prenne au sérieux. » « Ça reste un milieu très masculin ; tu as l’impression qu’il faut que tu montres tout le temps ta légitimité ! » résume-t-elle.

Alors, maintenant, elle n’écoute plus, elle suit son chemin et mène ses projets de bons pieds avec ses bateaux et des personnes à qui elle n’a rien à prouver !

Naviguer « au féminin »

Marta souhaite pourtant ardemment montrer que les femmes sont capables, et naviguer entre femmes le permet. Elle étaie : « Quand il y a un homme à bord, les gens vont penser naturellement que c’est l’homme qui gère. Au moins, si on n’est que des femmes, la question ne se pose pas ; c’est forcément une de nous qui gère. » Elle en a fait l’expérience un été où elle est partie avec des amies. Elles ont constaté qu’elles étaient plus à l’aise d’être qu’entre femmes parce qu’elles prenaient le temps d’apprendre à leur rythme.

A Ocean Peak, sur le dernier séjour, parmi les quatre encadrants, il y avait deux femmes, à savoir une guide de haute montagne (qui vit le même manque de légitimité en montagne) et Marta. L’idée étant de montrer aux jeunes que des femmes peuvent faire des choses incroyables, et de favoriser la mixité de ces séjours « sport aventure » trop souvent catégorisés masculins. Toutefois, Marta a l’impression que l’étiquette « femme » des projets est devenu un argument de vente, sinon « on ne t’inclut pas dans les projets ». Sorte de « women washing »…

Ses désaffections et ses préférences en navigation

Marta se laisse un moment de réflexion sur ce qui lui déplaît dans la voile… comme si cela était impossible. Avec son franc-parler, elle déclare : « Ça coûte très cher, et ça reste un milieu hyper élitiste ». « A part quelques projets outsider, ça reste des milieux un peu riche quoi ! Quand tu n’es pas dans cette dynamique là, il faut trouver des plans, des tunes à gauche à droite. Nous, pour pouvoir l’offrir à des jeunes de l’aide sociale à l’enfance, ou des jeunes des quartiers, il faut qu’on lève des fonds comme pas possible parce que ça coûte trop cher. »

Sinon, dans la voile, elle aime tout ! Elle aime le cadre du bateau. Elle aime la voile en solitaire et en équipage. « En équipage, c’est hyper puissant de se serrer les coudes pour faire face à des conditions difficiles. En solitaire, il n’y a que toi et tu ne peux pas douter de toutes tes décisions […] et tu vois si ça marche ou ça marche pas. « 

Le soleil s’est levé, il est 13 heures, elle enfourche son vélo et file naviguer sur un Figaro 1 qu’elle a acheté avec un ami. Elle se fait plaisir avec ce bateau sportif « où tu peux faire des réglages, aller vite et amener les ami.e.s en mer ». Un jour, peut-être, Marta concourra à nouveau… en mini !

1. Les ports de départ, d’escale et d’arrivée varient en fonction de l’organisation.

2. Triphon a été construit en Bretagne au chantier Le Guen-Hemidi en 1990 ; on ne compte que 10 unités dans le monde.

3. Cartographie, nœuds, jeu pour fédérer, découverte des métiers de la mer.

+ d’infos sur Marta : https://www.sailing-marta.com/, Facebook

Auteur : Mathilde Pilon

Charlotte Yven

De la régate à la course au large

Charlotte l’étudiante, Charlotte la voileuse. 25 ans, à l’aube d’une carrière de navigatrice, Charlotte est issue du vivier morlaisien de régatiers. Entre deux trains, Charlotte et son manteau jaune me rejoignent au café. Peu à peu, au fil de la discussion, les embruns de la mer et la accords mathématiques de l’ingénierie s’entremêlent à la fumée du thé chaud.

Après une journée de stage chez Kairos, Charlotte profite de la ville de Concarneau, jamais loin des bateaux.
©Mathilde Pilon

La mer, le vent et les cailloux pour une touche à tout

Un père de Morlaix, une mère de Cherbourg, deux bouts de terre si proches de la mer. Les parents de Charlotte vivent à Plougasnou dans le Finistère. La baie de Morlaix se pose alors comme décor et terrain de jeu, tout a commencé là-bas. Charlotte a grandi entre des étés à caboter en Bretagne sur le bateau familial et des stages d’Optimist, au club1 de Plougasnou où elle a commencé à faire de la régate dans la baie de Morlaix, elle est à tel point ravie que la voilà à se confronter, avec son Optimist, aux Championnat de France !

Ça y est, Charlotte a goûté à la compétition ! Alors, elle s’essaie au laser. Rapidement, elle passe au 420 en double et, arrivée au lycée, elle intègre le Pôle Espoir de Brest en Sport Etudes, section voile, et ce, pendant quatre ans, avec des résultats plutôt prometteurs : championne de France deux années consécutives (2014 et 2015), vice-championne du monde en 2015. Etudiante en école d’ingénieur à Rennes, elle rejoint le Pôle France de Brest, où elle joue sur un support olympique, le 470, en tant que « jeune moins de 23 ans », ce qui lui réussit plutôt bien : elle décroche la troisième place aux Championnats d’Europe (2019).

Charlotte est une jeune femme qui ne manque pas d’idées ni de perspectives. Alors qu’elle souhaite « sortir un peu du milieu de l’olympisme », elle se confronte aussi au match racing (régate en duel) et elle décide de s’orienter également vers la course au large. Alors, rien de tel que de s’y exercer. En 2021, elle intègre le Team Vendée Formation2, qui l’accompagne et la forme : elle participe au Tour de Bretagne à la voile et à la Solitaire du Figaro.

Depuis le début, Charlotte bénéficie du soutien sans faille de sa famille, ce qui « la motive à continuer, [car] quand c’est un peu dur, ils sont toujours avec moi » même si, parfois, elle aimerait les voir plus, à l’instar des copains « qui ne font pas de voile ». « On est obligé de faire des compromis quand on fait du sport de haut-niveau, […] et on est d’autant plus content quand on peut être présent et on profite deux fois plus », relativise-t-elle.

Concilier la voile haut-niveau et les études

« C’est un petit rythme à prendre quand même », souligne-t-elle ! Car, pour Charlotte, il est important de suivre des études supérieures afin de s’assurer des portes ouvertes pour « après »…

Tant qu’elle était en Sport Etudes, elle arrivait assez bien à s’organiser entre le lycée à Brest et le Pôle Espoir, les entraînements étant calés dans l’emploi du temps. Une fois en école d’ingénieur, à l’INSA de Rennes, il lui a fallu se prendre en main de manière plus indépendante pour gérer au mieux son emploi du temps universitaire, son planning sportif, sa préparation physique, des aller-retours entre les deux bouts de la Bretagne et tout ce qui agrémente une vie d’étudiante et de sportive de haut-niveau.

Charlotte n’a pas choisi ce cursus-là par hasard puisqu’elle a toujours eu un attrait pour les matières scientifiques et que le métier d’ingénieur correspondait bien au milieu du nautisme. Son école propose un cursus adapté et un aménagement de l’emploi du temps à destination de sportifs de haut-niveau de différentes disciplines. Aujourd’hui toute jeune diplômée, Charlotte admet qu’ « au début ce n’était pas facile, surtout les deux premières années de la prépa intégrée, c’était assez dense ». Un système assez bien rodé et qui a l’air de fonctionner puisque plusieurs navigateurs renommés sont passés par là, à l’instar d’Armel Le Cléac’h.

Charlotte, 25 ans, est navigatrice sportive de haut niveau et est diplômée en génie des matériaux à l’Insa de Rennes.
©Mathilde Pilon

Et les femmes dans le milieu de la voile de compétition ?

Dans la voile, chez les petits, la proportion filles-garçons est assez bien répartie, environ 50-50, selon la Fédération française de Voile. C’est après, en Sport Études ou en études supérieures, qu’il y a moins de filles que de garçons. Elle explique : « en général, les filles ne courent pas avec les garçons car il y a deux catégories, et il y a quand même moins de filles que de garçons sur les compet’. »

Fort heureusement, une catégorie assez récente est apparue : les équipages mixtes. Le phénomène a commencé avec le catamaran olympique en double mixte, le Nacra, et se répand parmi les autres séries : les 407 en double mixte, la course au large en double mixte, etc. « C’est cool car il y aura le même nombre de filles que de garçons », se réjouit-elle », c’est vers quoi ils tendent aux JO : avoir autant de médailles pour les garçons que pour les filles. »

Actuellement, en dériveurs, « dans les séries où les filles courent avec les garçons, on récompense toujours la première fille, il y a un podium garçon et un podium fille, même si elle est arrivée dixième de la course derrière les garçons, la fille sera récompensée. » Charlotte nuance : « ce qui n’est pas forcément le cas dans d’autres séries, en course au large, on récompense les premiers à l’arrivée mais pas forcément les premières filles (elles sont moins nombreuses). Mais on ne voit pas les choses de la même manière, en Olympisme et au large… » Charlotte considère qu’en ce moment, dans les séries olympiques, une certaine bienveillance envers les filles est à noter : « on les pousse à continuer, à aller chercher le haut-niveau, à intégrer les structures, on les récompense aussi ». Voilà de quoi « encourager les filles à faire de la voile ».

La jeune femme se confronte par contre au choc des âges… « Plus on grandit et plus on est en contact avec l’ancienne génération, là on sent des préjugés ou des idées un peu arrêtées sur la place des femmes dans la voile. » Concrètement, peu de femmes travaillent dans la préparation des bateaux, peu de femmes intègrent les équipes techniques, peu de femmes naviguent sur les compétitions, « en course au large, on peut les compter sur les doigts d’une main ». Et pourquoi ? s’interroge-t-elle : « du fait qu’il y a une idée préconçue, elles ne sont pas aidées à franchir le pas, elles osent peut-être moins parce qu’il y a ces barrières-là. »

Dans la nouvelle génération, « les mentalités sont en train de changer et ces barrières se gomment parce qu’on parle plus de l'[égalité femme homme] et surtout parce que des femmes sont en train de montrer que c’est possible et que, par conséquent, les autres filles ont moins peur d’y aller. »

Voile au féminin : solidarité et compétences

En stage ou en régate, toute la journée passée en combinaison ou en affaires de sport, Charlotte aime bien porter un petit bijou quand elle rentre chez elle mais elle ne semble pas donner trop d’importance à l’apparat dit féminin. Et, quant à notre spécificité biologique des règles, et bien, « on trouve des adaptations, ça fait partie du jeu ».

Toutefois, malgré l’habitude des stages et entrainements en équipages féminins « où ça se passe très bien », Charlotte reconnaît qu’ elle avait eu une petite réticence, lors d’une sélection féminine de la course du Figaro, quant « au crêpage de chignons » entre les différentes concurrentes. Finalement, tout a été pour le mieux : « on naviguait en équipage à trois par bateaux, il y avait trois bateaux : il y avait de la cohésion, on rigolait, on s’entraidait ; la sélection finale n’a pas trop impacté sur l’ambiance générale du stage ». Bilan positif donc : bonne ambiance et de l’entraide entre elles.

Charlotte réfléchit à voix haute : du fait que les filles soient moins nombreuses, elles auraient moins à faire leur place, elles auraient plus de chance à avoir des opportunités (surtout en équipage mixte), et donc il y aurait moins de rivalité que chez les garçons, et peut-être même un peu plus de solidarité…


Cependant, à l’heure de naviguer à plusieurs et de bien s’entendre sur l’eau, pour Charlotte, la question du genre n’est pas là où il faut s’arrêter. Ce qui fait la différence, selon elle : la personnalité et les compétences : « Si on fait avec les qualités de chacun, si on donne les mêmes possibilités à l’un et à l’autre, il n’y a aucune raison que la fille ne puisse pas s’en sortir aussi bien. Et, ce, dans tous les domaines. »

Une route à tracer sur une carte

Charlotte a encore devant elle de belles années de voile et de régates. Une multitude d’opportunités paraissent s’offrir à elle, ou du moins se donne-t-elle les moyens de goûter à ses envies. Elle se questionne néanmoins sur son orientation future : la voile professionnelle, l’ingénierie, l’alliance des deux… En tant que nouvelle spécialiste en génie de matériaux et passionnée de voile, les domaines de recherche et développement des bateaux, comme ceux du Vendée Globe, l’intéressent grandement pour chercher plus de performance mais aussi des matériaux moins polluants. « On parle de la voile comme un sport propre mais en fait pas complètement : il y a peut-être du travail à faire dans cette voie-là, pour aboutir à des matériaux plus respectueux de l’environnement ». « Plutôt que de la fibre de carbone, on pourrait trouver des fibres plus naturelles. On pourrait recycler ces bateaux en carbone, au lieu de les entasser sur des parkings une fois qu’ils sont dépassés », la voilà déjà repartie à rêver, parmi les nombreux terrains de jeu qui se présenteront sûrement à elle.

1. La société des Régates des Plougasnou (Finistère).

2. https://teamvendeeformation.com/

En savoir + sur Charlotte : https://www.charlotte-yven.fr/Facebook

Auteur : Mathilde Pilon

Anna

La mécanicienne marine

Anna est une puce océane qui bondit et rebondit, de mers en ports, de formations en jobs maritimes, d’idées en expériences. Sur un chantier bénévole en non mixité choisie1 de rénovation du vieux gréement portugais l’Albarquel2, Anna, 34 ans, était l’une des référentes « méca » de l’association marseillaise Les Bordées3. Entre une bricole à réparer en salle des machines et la révision électrique du GPS, Anna s’est confiée sur son rapport à la mer, le temps d’une pause café, rive sud du Tage.

Une première rencontre avec la mer sous les vents turbulents de la misogynie

En 2008, Anna est partie en bateau stop avec son compagnon de l’époque, à 21 ans, à bord d’un catamaran de 12 mètres, au départ de La Rochelle direction les Antilles. Ce fût sa « première rencontre » avec la mer. Passées les premières 24 heures où, dans le Golfe de Gascogne, « ça brassait grave, c’était la tempête », Anna a découvert la vie à bord, les quarts, les étoiles qui scintillent dans le ciel.

Pourtant la désillusion est vite arrivée. Difficile en effet de faire sa place à bord en tant que seule équipière féminine lorsque le capitaine lui demandait, à elle plutôt qu’aux trois autres membres masculins de l’équipage, de faire le ménage et lui ordonnait de rentrer à l’intérieur dès qu’il y avait une manœuvre délicate ou un potentiel danger. Protection, machisme ? Elle ne savait trop quoi penser, d’autant qu’elle n’avait jamais reçu d’éducation genrée : enfant, ses parents la laissait grimper aux arbres et bricolait un peu. Son copain, qui partait de rien tout comme elle, a quant à lui reçu la confiance « d’homme à homme » du capitaine qui lui apprenait plein de choses. Anna écoutait alors à côté. D’autres anecdotes sexistes sont venues la bousculer et lui donner l’impression qu’elle ne servait à rien à bord.

Une deuxième rencontre plus stimulante

Arrivés aux Antilles, ils ont expérimenté d’autres navigations en bateau stop et ont rejoint La Martinique. Ils ont trouvé une annonce pour éventuellement faire la transat retour : un capitaine cherchait une gars et une fille comme équipiers, l’homme aux manœuvres, la femme auprès des enfants pour faire les leçons. Anna a dit non !

Tout proche de leur mouillage, deux « magnifiques trois mâts », la Rara Vis et le Bel Espoir, trônaient dans l’anse. Les personnes à bord y faisaient du trapèze et se baignaient, dont « plein de filles ». « Ça avait l’air trop chouette, très vite j’ai eu envie de les rencontrer ! » se remémore-t-elle. Un tour d’annexe et Anna aborde le Rara Vis et rencontre ainsi Michel Jaouen, « en train de lire des journaux en anglais », assis sous le grand roof. Michel Jaouen est le fondateur aujourd’hui disparu de l’association Amis Jeudi Dimanche (AJD) située dans le Finistère près de l’Aber Wrach.

Ni une, ni deux, Michel Jaouen invite Anna et son copain à son bord pendant une semaine. L’occasion de découvrir une autre manière de naviguer et de discuter de la formation aux métiers de la mer proposée par l’AJD : « en deux secondes, j’ai su que je voulais suivre cette formation », un vrai déclic pour Anna.

L’AJD : la rencontre avec la mécanique

Elle explique que les stagiaires de l’AJD sont réunis autour d’un chantier commun où ils ont la possibilité de tout faire – de la voilerie, de la mécanique, de la soudure – et aussi d’apprendre à naviguer. C’est une école dont « les moyens de transmission sont vraiment libres ». Anna fait remarquer que les formateurs sont majoritairement des hommes mais que, pour autant, la parité et l’égalité des genres parmi les stagiaires y seraient un point de vigilance.

Elle a commencé par le chantier bois, puis s’est mise à faire de « la ferraille » (soudure). Ensuite, elle a embarqué sur le Bel Espoir pendant six mois sur une transat aller retour où elle a été « poussée dans la machine de manière trop belle », se souvient-elle : il lui fallait trouver une fuite dans le moteur ! C’est ainsi qu’elle s’est mise à faire de la mécanique bateau : « c’est comme un petit terrain de jeu avec plein de machines à gérer et où tu surveilles tout ». A bord, les personnes qui s’y connaissaient lui expliquaient des tas de choses pendant les pauses. « La transmission, elle se faisait comme ça, il n’y a pas de honte à ne pas connaître », assure-t-elle !

 » Dans l’esprit de plusieurs projets collectifs de bateaux tel que celui des Bordées ou du Polar Sternen, il y a beaucoup de celui de l’AJD. Tu arrives tel que tu es et tu trouves ta place, on donne la confiance aux gens et le sentiment d’être utile. Quand tu navigues, tout le monde a une place. Au début c’est dur de trouver sa place mais, en fait, on a besoin de tout le monde car il y a toujours un moment en mer où tu es fatigué et du coup on se relaie dans les énergies, […], c’est trop bien, surtout quand ce sont tes copains ». Pour Anna, son lien avec la mer, « c’est grâce à l’AJD », résume-t-elle.

Des formations, encore des formations !

A la sortie de l’AJD, elle est partie suivre une nouvelle formation à l’école de pêche de l’île d’Yeu. Elle en est ressortie avec un diplôme de motoriste à la pêche dont elle est très fière mais, quand elle a cherché à travailler, personne ne voulait embarquer de fille. Baluchon à l’épaule, elle est retournée à l’AJD pour installer un système électrique sur un bateau. Anna n’a donc pas fait de pêche. Elle croit que, physiquement, elle n’aurait pas tenu le coup, « c’est vraiment dur ».

Toujours en train de rebondir, Anna faisait le point sur sa carte des formations, il lui fallait un diplôme plus important… celui d’officier mécanicien dans la marine marchande ! Elle a donc rejoint l’École nationale supérieure maritime de Saint-Malo pendant deux ans et obtenu son brevet haut la main. D’équipages français sur des bateaux scientifiques où les conditions sociales du travail sont plutôt intéressantes car « tu ne bosses pas avec des Philippins qui sont payés ultra moins que toi » à des agences d’anti terrorisme et d’anti piraterie travaillant avec l’armée, Anna s’est forgée ses expériences.

Le temps nouveau des projets collectifs

Anna a également travaillé sur plusieurs vieux-gréements, période compliquée pour des raisons de sexisme à bord… Difficile d’asseoir sa légitimité sur ses compétences techniques en tant que femme ! Selon elle, le milieu de la voile traditionnelle est l’un des milieux les plus rudes : « un milieu ultra machiste, que des gars, très à l’ancienne, très au mérite.,[…], tu n’as pas le droit d’avoir peur, tu n’as pas le droit de te tromper, tu n’as pas le droit d’émettre des doutes ».

Ensuite, elle s’est engagée sur d’autres voiliers tenus par des copains. C’est à cette occasion que, dans le port de Cadiz, quatre voiliers aux projets militants et alternatifs, dont l’Albarquel, se sont réunis et Anna y a découvert un autre univers (la réflexion sur les enjeux de société actuels et les rapports de domination), ainsi qu’un éclairage libre et libertaire sur la navigation. Elle a donc rejoint les Bordées, l’association marseillaise d’éducation populaire par la navigation, qui affrétait jusqu’à récemment l’Albarquel. Elle a passé du temps à naviguer avec eux et à y faire de la mécanique, leur esprit bienveillant lui redonnant du baume au cœur.

L’été 2019, Les Bordées cherchaient un capitaine pour un séjour cinéma. Anna s’est prêtée à l’exercice, accompagnées par deux membres de l’association, et s’est rendue compte qu’elle arrivait à maîtriser correctement le bateau. Bilan positif donc ! Elle a porté à nouveau la casquette de capitaine lors d’un second convoyage où elle s’est sentie à l’aise dans ses compétences et prises de décision. Être capitaine sur l’Albarquel, ce n’est pas comme être capitaine sur un autre bateau. La navigation est portée de manière horizontale : « c’est juste l’idée que le capitaine tranche à un moment où il faut trancher, par exemple quand il y a une décision lourde à prendre ou quand cela concerne la sécurité puisque, de toute façon, la responsabilité est portée juridiquement par le capitaine ».

La voile au féminin, et pourquoi pas ?

Anna confie que « moi, je suis devenue comme un mec, sur la défensive ». Avec les Bordées, elle apprend peu à peu à déconstruire son fonctionnement car elle a réalisé que toutes les filles n’ont pas eu le même parcours qu’elle.

Anna évoque les Sea Women4, rebaptisé récemment les SeaWho, « le réseau d’entraide féministe sur l’eau ». Elle conclue qu’elle a manqué de ne pas avoir rencontré suffisamment de marins « complices et pros » avec qui discuter de sexisme et de la place des femmes et des minorités à bord. Pour faire face au paternalisme de certains, il faut lutter un peu, tout en acceptant que c’est une histoire de génération et que ça évolue petit à petit. « Pour prendre la place qui n’est pas donnée par les mecs, sur un bateau, il faut que les mecs ne soient pas là. Les femmes prennent confiance ainsi. »

Puisque la mer, c’est toute sa vie maintenant, elle ne peut pas définir en un mot son sentiment. « En mer, c’est simple », synthétisera-t-elle. Foisonnante d’anecdotes incongrues et d’histoires drôles, débordante d’énergie, Anna a une profonde envie de se rendre aujourd’hui dans les lieux où il n’y a pas se battre, « là où c’est facile », notamment ceux tenus par des pairs impliqués dans la construction de projets collectifs et attentifs aux questions de genre.

1. Sans homme cisgenre.

2. Ce vieux-gréement réalisait autrefois du fret de sel depuis le sud du Portugal,jusqu’aux différents ports morutiers du pays. Racheté en 2014, le bateau a été confié à l’association marseillaise Les Bordées qui organisent des séjours et des convoyages aux beaux jours en Méditerranée, ainsi que différents chantiers de réfection l’hiver sur l’un des plus anciens chantiers navals du Portugal, au bord du Tage. Fin 2021, l’Albarquel a été racheté par un couple de Français ayant une entreprise de chartering.

3. https://www.helloasso.com/associations/les-bordees

4. https://seawho.noblogs.org

Auteur : Mathilde Pilon

Martine Préel

Voile adaptée, régates et croisières

Martine Préel, femme indépendante et enthousiaste de 65 ans, est installée à Cherbourg depuis plusieurs années aujourd’hui. Elle a su conjuguer sa passion de la voile et son engagement auprès de personnes en situation de handicap. C’est en organisant des sorties et des régates avec et pour ces personnes qu’elle et son compagnon, Thierry Fortin, leur ont donné le goût de la mer et de la compétition. Entre croisière et régates handisport, Martine vogue sur les flots de l’émancipation à bord.

La découverte de la voile

Originaire de l’Orne, Martine n’était pas une « habitante de la mer ». Alors en école d’éducateur spécialisé à Hérouville-Saint-Clair (14), l’envie de découvrir la voile l’invite à s’inscrire à des stages à chaque vacance dans la Manche voisine, à Coudeville exactement. Par la suite, elle a goûté à l’habitable à l’école des Glénans. Sa passion s’y est confirmée.

Mais les hasards de la vie ont fait qu’elle n’a pas vraiment continué, s’engageant dans d’autres projet. Une nouvelle période s’est ouverte quand elle a repris son travail d’éducatrice spécialisée dans le Cotentin et qu’elle est montée à bord d’un habitable pour accompagner des personnes en situation d’handicap dont elle s’occupait au foyer adapté de Beaumont-Hague. Et là tout est revenu : les sensations qu’elle avait pu avoir, tout ce qu’elle aimait… C’est à cette occasion qu’elle a rencontré son compagnon actuel, Thierry Fortin, éducateur spécialisé lui aussi et skipper professionnel !

Son duo avec Thierry Fortin

Thierry et Martine partagent cette passion commune de la mer. En complément de son métier d’éducateur, Thierry « fait voyager » des gens sur ses bateaux, principalement l’été, avec sa société de chartering Cotentin Croisières.

Martine ne connaissait pas le milieu des régates, mais c’est naturellement que Thierry lui a proposé en 2006 de faire le Tour des Ports de la Manche1 avec un groupe de personnes en situation de handicap sur son Sun Fizz2 de 12 mètres. Ce fut « une super aventure », se remémore-t-elle. Elle a alors suivi une « formation accélérée » avec Thierry puisqu’il fallait qu’elle soit à la fois accompagnante des personnes qu’ils recevaient sur le bateau et navigante.

Entre plaisance et régate, plaisir et compétition

A la question « que préfères-tu dans la navigation ? », Martine répond qu’elle aime la vie sur un bateau, de manière générale : « on quitte la terre, on laisse tout sur le ponton, et on va ailleurs ».

Comme plaisancière, elle aime se retrouver « au cœur des éléments, et tout le reste n’a plus d’importance, on est juste à l’essentiel, c’est à dire faire marcher le bateau au mieux et profiter de ce qui se trouve autour, parfois peu de choses : les oiseaux, le coucher de soleil, les nuages ». Elle est en perception fine avec ce qui se trouve autour d’elle. Etre à la fois seuls sur l’eau et, une fois au port, entourés de gens, même s’ils ne se connaissent pas, « c’est du bonheur, une vie assez simple aussi, où l’on partage très vite les repas ». Que ce soit en Manche, direction les « Anglos, » la barre à la main à attaquer les vagues, ou en Corse, en short et manches courtes sous le soleil méditerranéen.

Les régates, c’est un autre univers qu’elle apprécie tout autant. Elle s’émerveille quand plus de cent bateaux se retrouvent ensemble sur l’eau à naviguer pour concourir et apprécie quand ils se retrouvent le soir : « on est concurrent sur l’eau […] mais c’est une grande famille, le monde de la voile ». En régate, elle admet son goût du challenge et de la compétition. Avec son équipage, ils font en sorte d’affiner leurs savoirs et compétences pour que le bateau donne le meilleur de lui-même, et eux-aussi. L’autre challenge est celui d’embarquer dans ce défi les personnes en situation de handicap dont ils s’occupent.

La voile adaptée : la grande aventure humaine

Aujourd’hui retraitée, Martine était auparavant cheffe de service à l’ESAT3 de Beaumont-Hague. Dans cet établissement, une sortie voile par semaine était proposée aux personnes du foyer sur le bateau Défi Voile Adaptée, et cela continue d’être d’actualité. Il est essentiel que les personnes aient envie d’y aller. Ensuite, il est nécessaire de sortir en mer pour voir si les personnes sont assez endurantes pour tenir plusieurs heures sur l’eau dans des conditions parfois difficiles, qu’elles ne soient pas malades et n’aient pas peur. Si tout cela est réuni, les personnes décident si elles souhaitent s’engager sur de la régate.

Pour le Tour des Ports de la Manche, leur « noyau de régatiers » est constitué d’un équipage mixte, avec une majorité de filles (3 femmes pour 2 hommes) : « on a toujours la parité sans la chercher », et de trois accompagnateurs. Valérie, l’une des équipières, participe aux régates depuis 2006. « Quand elle parle de la voile, elle a des petites étoiles dans les yeux », me confie Martine. A chaque fin du Tour des Ports, elle assure joyeusement : « l’année prochaine, je reviens » ! Défi Voile Adaptée participe également à Voile En Tête4, une régate organisée par l’association de handisport Sports en Tête, des ESAT et des hôpitaux psychiatriques.

Pour rendre le bateau plus pratique d’utilisation, il a fallu l’adapter, ainsi que le langage marin. Les bouts sont systématiquement de couleurs différentes pour reconnaître leurs fonctions, ainsi ils se comprennent : « choque le jaune, tire la noire ». Une flèche est marquée au feutre à côté du winch pour voir directement dans quel sens tourner la manivelle. Pour les personnes en fauteuil, une sorte de chaise de mât leur permet d’être transportées dans le cockpit.

A bord, tout le monde participent, les accompagnants ayant un œil bienveillant mais extrêmement attentif à toutes les manœuvres et l’équipage. Parfois, il leur faut finir les tours de winch, et quand la situation est trop délicate, éviter les mises en danger. Parfois encore, des peurs peuvent survenir, surtout dans le mauvais temps. C’est une vigilance de chaque instant puisqu’ils doivent être toujours à l’affût en termes de navigation et de bien-être de chacun. Il leur faut à la fois motiver tout le monde et sentir jusqu’où ils peuvent les emmener pour que personne ne sente en difficulté. Mais aujourd’hui ils se connaissent tous très bien. Michelle, une régatière qui avait peur au début, restait assise dans le fond du cockpit ; progressivement, elle a pris confiance et maintenant elle peut faire un peu tout. « La confiance en soi, c’est quand même bien ! », insiste Martine !

Mais pour régater, il faut s’entraîner ! Pour le Tour des Ports de la Manche, ils se retrouvent lors de dix entraînements, étalés entre avril et juin, un soir par semaine pendant deux heures, principalement dans la rade de Cherbourg. Le but n’est pas forcément d’aller loin mais de faire des manœuvres pour que tout revienne et être opérationnel en régate. Et les entraînements, ça paie ! En me montrant quelques clichés du dossier de presse que Martine avait emmené avec elle, je remarque des trophées : « là, c’est les podiums qu’on a fait, forcément on est content ».

Les femmes à la barre, l’autonomie sinon rien !

Martine souligne avec évidence que le milieu des régates est à dominance masculine, au regard du nombre peu élevé de participantes. Toutefois, le sexisme, dans sa pratique de la voile, ne l’a pas touché particulièrement dans la mesure où elle navigue en couple sur un bateau qu’elle connaît bien et qu’elle a très peu navigué sur d’autres voiliers où elle avait sa place à faire. Dans le Cotentin, Thierry est un marin connu et reconnu. Pour autant, elle avait à cœur de prendre sa place auprès de lui comme navigatrice afin d’être active et autonome. Et pour cela, « il ne faut pas rester enfermée chez soi, il faut se faire reconnaître, montrer son intérêt et ses compétences ! » « De toute façon, ce que j’aimais au départ, c’est barrer ; et dans les conditions difficiles, je voulais y être, en bouffer », dit-elle avec amusement.

De manière générale, elle remarque que les hommes sur un bateau ne s’adressent pas de la même façon entre eux qu’à une femme, à connaissance et compétence égales. Lors de régates locales où Martine se retrouvait seule femme à bord, elle reconnaît qu’elle a bel et bien dû affirmer son rôle d’équipière. Elle est persuadée « que les femmes doivent faire savoir que la navigation les intéressent, qu’elles sont des interlocutrices comme les autres ! » Souvent d’autres femmes lui ont confiées qu’elles ne prennent pas d’initiative ou qu’on ne leur en laisse pas l’opportunité. Martine ne voit pas les choses de cet œil-là, c’est avant tout sa façon d’être dans la vie, à savoir prendre sa place, en tant que femme. Elle a passé son Bac en 1975, « en plein dans les années communistes et féministes ». Elle avait reçu une éducation genrée d’une mère au foyer. Son objectif était de quitter la maison dès qu’elle pouvait, d’avoir un métier et d’être indépendante, sans qu’aucun homme ne lui dicte quoi que ce soit.

Martine apprécie de naviguer avec des consœurs, à l’instar de son expérience en tant que membre d’une équipe féminine sur un J80. « Alors que dans les équipages masculins, effectivement, ça s’engueule, les femmes, elles, trouvent ça désagréable et adoptent d’autre moyen de communiquer », observe Martine.

Pour Martine Préel, tout est imbriqué, la voile est cette toile poussée par le vent, cousue de différents laizes : de la découverte à 20 ans, des croisières où il fait bon naviguer en famille, des régates partagées avec des personnes qui n’auraient pas eu accès à la mer autrement.

1. Le Tour des Ports de la Manche est une régate annuelle, organisée depuis 1984, et qui se tient début juillet durant une semaine.

2. Construction Jeanneau, des années 1980.

3. Établissement et service d’aide par le travail.

4. Régate se tenant début septembre, organisée par Sports en Tête (association promouvant les activités sportives et physiques en santé mentale).

Auteur : Mathilde Pilon

Des femmes et la mer

Portraits de navigatrices d’aujourd’hui.

Par ordre d’apparence : 1. Charlotte Yven, voile légère et course au large ; 2. Martine Préel, accompagnatrice Défi Voile Adaptée ; 3. Emmanuelle Périé Bardout, exploratrice à Under the Pole ; 4. Louise Ras, skippeuse de l’Hirondelle et coordinatrice Sailing Hirondelle ; 5. Anna, à la « méca » sur l’Albarquel et membre des Bordées ; 6. Maëlenn Lemaître, championne du monde en match racing ; 7. Cotenteam, l’équipe féminin en J80 de Cherbourg ; 8. Julie Mira, coach voile adaptée aux femmes chez « Les Marinettes » ; 9. Raphaëlle Ugé, membre de Balance Ta Voile et éducatrice sportive en voile ; 10. Marta Güemes, amatrice de voile sportive et salariée à Ocean Peak Project ; 11. Gallia Vallet, artiste nomade ; 12. Cécile Le Sausse, chargée de projet à Explore ; 13. Cléo, membre de Liberbed

Au delà des navigatrices connues et médiatisées pour leurs exploits de régates, transat en solitaires, et autres courses autour du monde (Ella Maillard, Florence Arthaud, Isabelle Autissier), et de quelques aventurières originales (Anita Conti, Jéromine Pasteur, Tania Aebi) pour lesquelles il faut reconnaître tout leur mérite avant-gardiste, il est nécessaire de constater que leur reconnaissance est un phénomène récent – comme en témoigne la volonté aux Jeux Olympiques de 2024 d’organiser plus de régates en mixte (série 470) ou encore la confiance accordée par l’une des plus grosses écuries françaises de course au large à une femme, Clarisse Crémer, pour concourir à bord d’un monocoque le Vendée Globe de 2020.

Toutefois, il reste important de souligner que le milieu de la voile reste majoritairement masculin, tant dans le nombre de licenciés hommes à la Fédération Française de Voile bien supérieur à celui des femmes (seulement 25% de femmes licenciées, après l’âge de 15 ans) et dans la faible participation féminine dans les courses au large (10%), que dans les mentalités où le sexisme perdure. En effet, selon l’association britannique visant aux changements positifs (environnement, égalité des genre, etc.) dans la voile au niveau mondiale, la World Sailing Trust, une enquête menée dans plus de 75 pays montre ainsi qu’au moins 60% des femmes répondant au questionnaires ont été victimes de discriminations sexistes.

Sous forme de portraits de femmes impliquées dans le milieu de la voile en France, ce reportage s’attache à mettre en lumière treize femmes passionnées par la navigation, afin d’entendre leur voix et leur parcours, de comprendre ce qui les porte et de rendre compte de leurs choix de vie.

Comment sont-elles arrivées dans ce milieu ? Quelles sont leurs motivations ? Comment vivent-elles leur féminité à bord ? A quels obstacles ont-elles dû faire face ? Comment se sont-elles fait accepter en tant que femme ? Comment vivre une vie d’aventure et vie de couple ou de famille ? Portent-elles un enjeu fort à faire reconnaître leur place à bord ? Quels liens entretiennent-elles avec la mer et le bateau ?

Pour avoir un éclairage sur ces questionnements, je suis allée, en 2020 et 2021, à la rencontre de femmes (genre tel qu’elles se définissent elles-mêmes), vivant seule, accompagnée, en famille ou encore organisée en collectif militant, de skippeuses et régatières haut-niveau ou amatrices, de tout âge, de tout horizon, ou de femmes simplement animées par cette pratique.

Pour lire les articles :

Martine Préel : Accompagnatrice Défi Voile Adaptée

Anna : La mécanicienne marine

Charlotte Yven : De la régate à la course au large

Marta Güemes : De la Mini Transat à la voile pour tou.te.s.

Gallia Valet : L’artiste nomade

Cléo : La chercheuse d’idéal

Emmanuelle Périé Bardout : L’exploratrice

Louise Ras : La narratrice de la mer

Cotenteam : Le très enthousiaste équipage 100% féminin cherbourgeois

Cécile Le Sausse : L’énergique skippeuse

Julie Mira : La coach voile au féminin

Maëlenn Lemaître : La championne du monde en match racing

Raphaëlle Ugé : La lanceuse d’alerte

Paysannes

Portraits de femmes engagées dans l’agriculture biologique en Ille-et-Vilaine (Bretagne, France).

Par ordre d’apparence : 1. Thérèse Fumery, produtrice de lait bio ; 2. Marie-Christine Lesage, productrice de fromages frais ; 3. Marion Rupin, maraîchère ; 4. Marie Bertrand, paysanne boulangère ; 5. Sylvie Thiel, maraîchère ; 6. Marine, vente à la ferme ; 7. Evelyne Loison, ex-productrice de boissons et desserts à l’avoine ; 8. Anaïs Kerhoas, productrice de tisanes et plantes aromatiques ; 9. Rozenn Mell, paysanne brasseuse ; 10. Sophie Persehais, productrice de tisanes et plantes aromatiques ; 11. Elysabeth Gury Oberthur, productrice de jus de pommes ; 12. Gwenolée Goueset, productrice de fromages frais ; 13. Valérie Le Dantec, productrice de fromages de chèvre et brebis ; 14. Cécile Duté, vente de lait cru et productrice de glaces ; 15. Sarah Le Goff, maraîchère.

Sous forme de portraits de femmes impliquées dans l’agriculture biologique en Ille-et-Vilaine, ce reportage présente une à une la vie de 15 paysannes d’aujourd’hui.

Les agricultrices cherchent de plus en plus à mettre en cohérence leur projet professionnel, leur projet de vie et leurs convictions personnelles : vie saine au rythme de la nature, préservation de l’environnement, paysannerie.

J’ai repéré, entre 2016 et 2018, des initiatives de femmes au niveau local afin de comprendre les enjeux qui les portent. Vous pouvez découvrir et lire, entre autres, les témoignages d’une paysanne brasseuse, d’une productrice de fromages, d’une herboriste, de maraîchères m’attachant à expliquer les raisons de leur lancement dans l’activité agricole, les liens créés avec le territoire ainsi que leur féminité.

Pour lire quelques portraits :

Thérèse Fumery, Iffendic (35), productrice de lait bio : Du pis au militantisme

Anaïs Kerhoas, Sains (35), productrice de plantes aromatiques et de tisanes : Les tisanes d’Anaïs

Valérie Le Dantec, Chavagne (35), productrice de fromage au lait bio de chèvre, brebis et vache : Valérie et ses petits fromages

Sarah Le Goff, Iffendic (35), maraîchère : Des légumes, le grand air et la femme sauvage

Rozenn Mell, Melesse (35), paysanne brasseuse : Une blonde, une ronde, une gorgée : voici la Drao !

Marie Bertrand, paysanne boulangère, et Marion Rupin, maraîchère, Guipry-Messac (35) : La Ferme des 5 Sens ou le sens du collectif