Martine Préel

Voile adaptée, régates et croisières

Martine Préel, femme indépendante et enthousiaste de 65 ans, est installée à Cherbourg depuis plusieurs années aujourd’hui. Elle a su conjuguer sa passion de la voile et son engagement auprès de personnes en situation de handicap. C’est en organisant des sorties et des régates avec et pour ces personnes qu’elle et son compagnon, Thierry Fortin, leur ont donné le goût de la mer et de la compétition. Entre croisière et régates handisport, Martine vogue sur les flots de l’émancipation à bord.

La découverte de la voile

Originaire de l’Orne, Martine n’était pas une « habitante de la mer ». Alors en école d’éducateur spécialisé à Hérouville-Saint-Clair (14), l’envie de découvrir la voile l’invite à s’inscrire à des stages à chaque vacance dans la Manche voisine, à Coudeville exactement. Par la suite, elle a goûté à l’habitable à l’école des Glénans. Sa passion s’y est confirmée.

Mais les hasards de la vie ont fait qu’elle n’a pas vraiment continué, s’engageant dans d’autres projet. Une nouvelle période s’est ouverte quand elle a repris son travail d’éducatrice spécialisée dans le Cotentin et qu’elle est montée à bord d’un habitable pour accompagner des personnes en situation d’handicap dont elle s’occupait au foyer adapté de Beaumont-Hague. Et là tout est revenu : les sensations qu’elle avait pu avoir, tout ce qu’elle aimait… C’est à cette occasion qu’elle a rencontré son compagnon actuel, Thierry Fortin, éducateur spécialisé lui aussi et skipper professionnel !

Son duo avec Thierry Fortin

Thierry et Martine partagent cette passion commune de la mer. En complément de son métier d’éducateur, Thierry « fait voyager » des gens sur ses bateaux, principalement l’été, avec sa société de chartering Cotentin Croisières.

Martine ne connaissait pas le milieu des régates, mais c’est naturellement que Thierry lui a proposé en 2006 de faire le Tour des Ports de la Manche1 avec un groupe de personnes en situation de handicap sur son Sun Fizz2 de 12 mètres. Ce fut « une super aventure », se remémore-t-elle. Elle a alors suivi une « formation accélérée » avec Thierry puisqu’il fallait qu’elle soit à la fois accompagnante des personnes qu’ils recevaient sur le bateau et navigante.

Entre plaisance et régate, plaisir et compétition

A la question « que préfères-tu dans la navigation ? », Martine répond qu’elle aime la vie sur un bateau, de manière générale : « on quitte la terre, on laisse tout sur le ponton, et on va ailleurs ».

Comme plaisancière, elle aime se retrouver « au cœur des éléments, et tout le reste n’a plus d’importance, on est juste à l’essentiel, c’est à dire faire marcher le bateau au mieux et profiter de ce qui se trouve autour, parfois peu de choses : les oiseaux, le coucher de soleil, les nuages ». Elle est en perception fine avec ce qui se trouve autour d’elle. Etre à la fois seuls sur l’eau et, une fois au port, entourés de gens, même s’ils ne se connaissent pas, « c’est du bonheur, une vie assez simple aussi, où l’on partage très vite les repas ». Que ce soit en Manche, direction les « Anglos, » la barre à la main à attaquer les vagues, ou en Corse, en short et manches courtes sous le soleil méditerranéen.

Les régates, c’est un autre univers qu’elle apprécie tout autant. Elle s’émerveille quand plus de cent bateaux se retrouvent ensemble sur l’eau à naviguer pour concourir et apprécie quand ils se retrouvent le soir : « on est concurrent sur l’eau […] mais c’est une grande famille, le monde de la voile ». En régate, elle admet son goût du challenge et de la compétition. Avec son équipage, ils font en sorte d’affiner leurs savoirs et compétences pour que le bateau donne le meilleur de lui-même, et eux-aussi. L’autre challenge est celui d’embarquer dans ce défi les personnes en situation de handicap dont ils s’occupent.

La voile adaptée : la grande aventure humaine

Aujourd’hui retraitée, Martine était auparavant cheffe de service à l’ESAT3 de Beaumont-Hague. Dans cet établissement, une sortie voile par semaine était proposée aux personnes du foyer sur le bateau Défi Voile Adaptée, et cela continue d’être d’actualité. Il est essentiel que les personnes aient envie d’y aller. Ensuite, il est nécessaire de sortir en mer pour voir si les personnes sont assez endurantes pour tenir plusieurs heures sur l’eau dans des conditions parfois difficiles, qu’elles ne soient pas malades et n’aient pas peur. Si tout cela est réuni, les personnes décident si elles souhaitent s’engager sur de la régate.

Pour le Tour des Ports de la Manche, leur « noyau de régatiers » est constitué d’un équipage mixte, avec une majorité de filles (3 femmes pour 2 hommes) : « on a toujours la parité sans la chercher », et de trois accompagnateurs. Valérie, l’une des équipières, participe aux régates depuis 2006. « Quand elle parle de la voile, elle a des petites étoiles dans les yeux », me confie Martine. A chaque fin du Tour des Ports, elle assure joyeusement : « l’année prochaine, je reviens » ! Défi Voile Adaptée participe également à Voile En Tête4, une régate organisée par l’association de handisport Sports en Tête, des ESAT et des hôpitaux psychiatriques.

Pour rendre le bateau plus pratique d’utilisation, il a fallu l’adapter, ainsi que le langage marin. Les bouts sont systématiquement de couleurs différentes pour reconnaître leurs fonctions, ainsi ils se comprennent : « choque le jaune, tire la noire ». Une flèche est marquée au feutre à côté du winch pour voir directement dans quel sens tourner la manivelle. Pour les personnes en fauteuil, une sorte de chaise de mât leur permet d’être transportées dans le cockpit.

A bord, tout le monde participent, les accompagnants ayant un œil bienveillant mais extrêmement attentif à toutes les manœuvres et l’équipage. Parfois, il leur faut finir les tours de winch, et quand la situation est trop délicate, éviter les mises en danger. Parfois encore, des peurs peuvent survenir, surtout dans le mauvais temps. C’est une vigilance de chaque instant puisqu’ils doivent être toujours à l’affût en termes de navigation et de bien-être de chacun. Il leur faut à la fois motiver tout le monde et sentir jusqu’où ils peuvent les emmener pour que personne ne sente en difficulté. Mais aujourd’hui ils se connaissent tous très bien. Michelle, une régatière qui avait peur au début, restait assise dans le fond du cockpit ; progressivement, elle a pris confiance et maintenant elle peut faire un peu tout. « La confiance en soi, c’est quand même bien ! », insiste Martine !

Mais pour régater, il faut s’entraîner ! Pour le Tour des Ports de la Manche, ils se retrouvent lors de dix entraînements, étalés entre avril et juin, un soir par semaine pendant deux heures, principalement dans la rade de Cherbourg. Le but n’est pas forcément d’aller loin mais de faire des manœuvres pour que tout revienne et être opérationnel en régate. Et les entraînements, ça paie ! En me montrant quelques clichés du dossier de presse que Martine avait emmené avec elle, je remarque des trophées : « là, c’est les podiums qu’on a fait, forcément on est content ».

Les femmes à la barre, l’autonomie sinon rien !

Martine souligne avec évidence que le milieu des régates est à dominance masculine, au regard du nombre peu élevé de participantes. Toutefois, le sexisme, dans sa pratique de la voile, ne l’a pas touché particulièrement dans la mesure où elle navigue en couple sur un bateau qu’elle connaît bien et qu’elle a très peu navigué sur d’autres voiliers où elle avait sa place à faire. Dans le Cotentin, Thierry est un marin connu et reconnu. Pour autant, elle avait à cœur de prendre sa place auprès de lui comme navigatrice afin d’être active et autonome. Et pour cela, « il ne faut pas rester enfermée chez soi, il faut se faire reconnaître, montrer son intérêt et ses compétences ! » « De toute façon, ce que j’aimais au départ, c’est barrer ; et dans les conditions difficiles, je voulais y être, en bouffer », dit-elle avec amusement.

De manière générale, elle remarque que les hommes sur un bateau ne s’adressent pas de la même façon entre eux qu’à une femme, à connaissance et compétence égales. Lors de régates locales où Martine se retrouvait seule femme à bord, elle reconnaît qu’elle a bel et bien dû affirmer son rôle d’équipière. Elle est persuadée « que les femmes doivent faire savoir que la navigation les intéressent, qu’elles sont des interlocutrices comme les autres ! » Souvent d’autres femmes lui ont confiées qu’elles ne prennent pas d’initiative ou qu’on ne leur en laisse pas l’opportunité. Martine ne voit pas les choses de cet œil-là, c’est avant tout sa façon d’être dans la vie, à savoir prendre sa place, en tant que femme. Elle a passé son Bac en 1975, « en plein dans les années communistes et féministes ». Elle avait reçu une éducation genrée d’une mère au foyer. Son objectif était de quitter la maison dès qu’elle pouvait, d’avoir un métier et d’être indépendante, sans qu’aucun homme ne lui dicte quoi que ce soit.

Martine apprécie de naviguer avec des consœurs, à l’instar de son expérience en tant que membre d’une équipe féminine sur un J80. « Alors que dans les équipages masculins, effectivement, ça s’engueule, les femmes, elles, trouvent ça désagréable et adoptent d’autre moyen de communiquer », observe Martine.

Pour Martine Préel, tout est imbriqué, la voile est cette toile poussée par le vent, cousue de différents laizes : de la découverte à 20 ans, des croisières où il fait bon naviguer en famille, des régates partagées avec des personnes qui n’auraient pas eu accès à la mer autrement.

1. Le Tour des Ports de la Manche est une régate annuelle, organisée depuis 1984, et qui se tient début juillet durant une semaine.

2. Construction Jeanneau, des années 1980.

3. Établissement et service d’aide par le travail.

4. Régate se tenant début septembre, organisée par Sports en Tête (association promouvant les activités sportives et physiques en santé mentale).

Auteur : Mathilde Pilon

Des femmes et la mer

Portraits de navigatrices d’aujourd’hui.

Par ordre d’apparence : 1. Charlotte Yven, voile légère et course au large ; 2. Martine Préel, accompagnatrice Défi Voile Adaptée ; 3. Emmanuelle Périé Bardout, exploratrice à Under the Pole ; 4. Louise Ras, skippeuse de l’Hirondelle et coordinatrice Sailing Hirondelle ; 5. Anna, à la « méca » sur l’Albarquel et membre des Bordées ; 6. Maëlenn Lemaître, championne du monde en match racing ; 7. Cotenteam, l’équipe féminin en J80 de Cherbourg ; 8. Julie Mira, coach voile adaptée aux femmes chez « Les Marinettes » ; 9. Raphaëlle Ugé, membre de Balance Ta Voile et éducatrice sportive en voile ; 10. Marta Güemes, amatrice de voile sportive et salariée à Ocean Peak Project ; 11. Gallia Vallet, artiste nomade ; 12. Cécile Le Sausse, chargée de projet à Explore ; 13. Cléo, membre de Liberbed

Au delà des navigatrices connues et médiatisées pour leurs exploits de régates, transat en solitaires, et autres courses autour du monde (Ella Maillard, Florence Arthaud, Isabelle Autissier), et de quelques aventurières originales (Anita Conti, Jéromine Pasteur, Tania Aebi) pour lesquelles il faut reconnaître tout leur mérite avant-gardiste, il est nécessaire de constater que leur reconnaissance est un phénomène récent – comme en témoigne la volonté aux Jeux Olympiques de 2024 d’organiser plus de régates en mixte (série 470) ou encore la confiance accordée par l’une des plus grosses écuries françaises de course au large à une femme, Clarisse Crémer, pour concourir à bord d’un monocoque le Vendée Globe de 2020.

Toutefois, il reste important de souligner que le milieu de la voile reste majoritairement masculin, tant dans le nombre de licenciés hommes à la Fédération Française de Voile bien supérieur à celui des femmes (seulement 25% de femmes licenciées, après l’âge de 15 ans) et dans la faible participation féminine dans les courses au large (10%), que dans les mentalités où le sexisme perdure. En effet, selon l’association britannique visant aux changements positifs (environnement, égalité des genre, etc.) dans la voile au niveau mondiale, la World Sailing Trust, une enquête menée dans plus de 75 pays montre ainsi qu’au moins 60% des femmes répondant au questionnaires ont été victimes de discriminations sexistes.

Sous forme de portraits de femmes impliquées dans le milieu de la voile en France, ce reportage s’attache à mettre en lumière treize femmes passionnées par la navigation, afin d’entendre leur voix et leur parcours, de comprendre ce qui les porte et de rendre compte de leurs choix de vie.

Comment sont-elles arrivées dans ce milieu ? Quelles sont leurs motivations ? Comment vivent-elles leur féminité à bord ? A quels obstacles ont-elles dû faire face ? Comment se sont-elles fait accepter en tant que femme ? Comment vivre une vie d’aventure et vie de couple ou de famille ? Portent-elles un enjeu fort à faire reconnaître leur place à bord ? Quels liens entretiennent-elles avec la mer et le bateau ?

Pour avoir un éclairage sur ces questionnements, je suis allée, en 2020 et 2021, à la rencontre de femmes (genre tel qu’elles se définissent elles-mêmes), vivant seule, accompagnée, en famille ou encore organisée en collectif militant, de skippeuses et régatières haut-niveau ou amatrices, de tout âge, de tout horizon, ou de femmes simplement animées par cette pratique.

Pour lire les articles :

Martine Préel : Accompagnatrice Défi Voile Adaptée

Anna : La mécanicienne marine

Charlotte Yven : De la régate à la course au large

Marta Güemes : De la Mini Transat à la voile pour tou.te.s.

Gallia Valet : L’artiste nomade

Cléo : La chercheuse d’idéal

Emmanuelle Périé Bardout : L’exploratrice

Louise Ras : La narratrice de la mer

Cotenteam : Le très enthousiaste équipage 100% féminin cherbourgeois

Cécile Le Sausse : L’énergique skippeuse

Julie Mira : La coach voile au féminin

Maëlenn Lemaître : La championne du monde en match racing

Raphaëlle Ugé : La lanceuse d’alerte

Paysannes

Portraits de femmes engagées dans l’agriculture biologique en Ille-et-Vilaine (Bretagne, France).

Par ordre d’apparence : 1. Thérèse Fumery, produtrice de lait bio ; 2. Marie-Christine Lesage, productrice de fromages frais ; 3. Marion Rupin, maraîchère ; 4. Marie Bertrand, paysanne boulangère ; 5. Sylvie Thiel, maraîchère ; 6. Marine, vente à la ferme ; 7. Evelyne Loison, ex-productrice de boissons et desserts à l’avoine ; 8. Anaïs Kerhoas, productrice de tisanes et plantes aromatiques ; 9. Rozenn Mell, paysanne brasseuse ; 10. Sophie Persehais, productrice de tisanes et plantes aromatiques ; 11. Elysabeth Gury Oberthur, productrice de jus de pommes ; 12. Gwenolée Goueset, productrice de fromages frais ; 13. Valérie Le Dantec, productrice de fromages de chèvre et brebis ; 14. Cécile Duté, vente de lait cru et productrice de glaces ; 15. Sarah Le Goff, maraîchère.

Sous forme de portraits de femmes impliquées dans l’agriculture biologique en Ille-et-Vilaine, ce reportage présente une à une la vie de 15 paysannes d’aujourd’hui.

Les agricultrices cherchent de plus en plus à mettre en cohérence leur projet professionnel, leur projet de vie et leurs convictions personnelles : vie saine au rythme de la nature, préservation de l’environnement, paysannerie.

J’ai repéré, entre 2016 et 2018, des initiatives de femmes au niveau local afin de comprendre les enjeux qui les portent. Vous pouvez découvrir et lire, entre autres, les témoignages d’une paysanne brasseuse, d’une productrice de fromages, d’une herboriste, de maraîchères m’attachant à expliquer les raisons de leur lancement dans l’activité agricole, les liens créés avec le territoire ainsi que leur féminité.

Pour lire quelques portraits :

Thérèse Fumery, Iffendic (35), productrice de lait bio : Du pis au militantisme

Anaïs Kerhoas, Sains (35), productrice de plantes aromatiques et de tisanes : Les tisanes d’Anaïs

Valérie Le Dantec, Chavagne (35), productrice de fromage au lait bio de chèvre, brebis et vache : Valérie et ses petits fromages

Sarah Le Goff, Iffendic (35), maraîchère : Des légumes, le grand air et la femme sauvage

Rozenn Mell, Melesse (35), paysanne brasseuse : Une blonde, une ronde, une gorgée : voici la Drao !

Marie Bertrand, paysanne boulangère, et Marion Rupin, maraîchère, Guipry-Messac (35) : La Ferme des 5 Sens ou le sens du collectif

L’Albarquel

Albarquel – Portugal – Janvier 2020

Reportage réalisé en janvier 2020 près de Lisbonne au Portugal lors d’un chantier collectif bénévole de réfection d’un vieux gréement portugais.

Début 2020, j’ai décidé d’embarquer pour de nouvelles aventures. J’ai largué mes amarres bretonnes pour participer à un chantier bénévole en non mixité choisie autour du bateau Albarquel au Portugal. Lisbonne de l’autre côté du rivage, sur les rives du Tage, à Sarilhos Pequenos plus exactement, notre petit groupe prenait le relai des travaux de réfection de ce ketch aurique au chantier de Mestre Jaime. Construit en 1957, il se consacrait au transport du sel depuis les salines du Sado, fleuve au sud du Portugal, jusqu’aux différents ports morutiers portugais. Albarquel connut plusieurs vies, et de port en port, il est arrivé à Marseille où l’association militante Les Bordées propose de faire découvrir la mer au plus grand nombre (https://www.helloasso.com/associations/les-bordees). Favorisant la transmission de compétences et l’apprentissage horizontal et par « le faire », Les Bordées convoie l’Albarquel jusqu’au Portugal, où celui-ci renoue avec ses racines le temps d’un petit coup de neuf durant l’hiver, avec le soutien d’un chantier naval traditionnel portugais.

Voici également quelques clichés de l’Albarquel et du chantier qui l’environne.

Aujourd’hui, l’Albarquel a été racheté par un couple de Français qui a l’a convoyé jusqu’à La Ciotat où ces derniers proposent désormais du chartering : http://www.albarquel.com.

La Ferme des 5 Sens ou le sens du collectif

Marie Bertrand est paysanne boulangère, et Marion Rupin est maraichère. Ces deux amies se sont installées sur le même lieu, à la Ferme des 5 Sens, à Guipry-Messac, avec trois autres acolytes Pierre, Mickaël et Tamara.

Je les ai rencontrées en mai 2016. Ces deux jeunes trentenaires, tout autant rêveuses que réfléchies, m’ont présentées leur ferme où, en effet, le sens n’est pas seulement à la quête mais l’objet de leur réalité.

Marie Bertrand (à gauche) et Marion Rupin (à droite)

En quête de sens

Entre les études en économie sociale et solidaire achevées en 2007 et le projet de reprise de la Ferme des 5sens en 2014, il y a d’abord les premières expériences professionnelles, et aussi et surtout les questionnements, les utopies et les envies de concret, de retour à la terre, de reconnexion avec le territoire.

 Marie a appris à faire du pain bien loin d’ici… en Bolivie alors qu’elle travaillait pour une ONG dans la recherche de financement. Déçue par le secteur de la solidarité internationale, mais tenue par l’idée de revenir à la terre, elle a envie de mettre en pratique ce qu’elle a appris là-bas et décide avec son compagnon de se former dans le sud-ouest où ils obtiennent leur certificat de spécialisation en agriculture biologique. Cette deuxième aventure dure cinq ans. Puis arrive leur bébé, une petite fille d’aujourd’hui cinq ans, une autre aventure encore. Puis l’envie de s’installer. Alors pourquoi pas vivre le rêve d’un projet d’installation collective avec une bande de copains copines ?

Marion milite dans des collectifs anti-pubs et participe a des chantiers participatifs. Les questions de la consommation « mieux et bien » l’interrogent énormément et l’orientent sur l’alimentation. Puis, elle réalise son premier travail en Ardèche où elle accompagne des porteurs de projets en milieu rural. A ce moment-là, elle a envie d’être de l’autre côté du bureau, à savoir de porter son propre projet. C’est alors qu’elle se lance elle aussi dans un contrat de spécialisation en agriculture biologique dans le sud de la France au sein d’une ferme maraîchère et arboricole. Elle se confronte physiquement au métier, elle travaille dehors. Après un voyage avec son compagnon, ils reviennent en Ille-et-Vilaine pour se reconnecter avec le territoire. Durant trois ans, elle est salariée comme maraîchère dans une ferme à Corps-Nuds où elle a la chance d’être autonome sur la production et la commercialisation. En parallèle, elle donne naissance à deux petites filles. Et vient l’envie de s’installer aussi !

Marion au volant du tracteur de la ferme
Marie pétrie le pain et le laisse reposer

Le sens du collectif

En octobre 2015, c’est le début de l’aventure commune. Le groupe de copains – ils sont six au total – s’installe à la Ferme des 5 sens, déjà labellisée bio,  et crée une cohabitation d’entreprises sur ce même lieu.

 La ferme compte un grand hangar, des terres, un bâtiment… Marie et Mickaël, son conjoint, se lancent en tant que paysans boulangers en GAEC (groupement agricole d’exploitation en commun) et reprennent l’activité déjà existante. Marion et Pierre, de leur côté, s’occupent des terres et font du maraîchage ; ils créent l’EARL « Les Primeurs des 5 Sens » (EARL = exploitation agricole à responsabilité limitée). Ils accueillent Tamara qui, quant à elles, fabriquent des savons, « La Savonnerie des 5 Sens ». Réside donc ici une communauté de travail, leur objectif étant « la création d’un espace de développement d’activités indépendantes dans un esprit coopératif et respectueux du vivant. » Cela permet de mutualiser la ferme, le matériel et la commercialisation tout en partageant des principes d’entraide, de solidarité et de convivialité.

Et le tout appartient à une SCI citoyenne (SCI = société civile immobilière) réunissant 240 citoyens qui ont choisi d’acheter la ferme collectivement. Ils ont été soutenus par l’association Terre de Liens, qui favorise les nouvelles installations paysannes, dans ce projet.

Marion et Pierre se sont spécialisés dans les légumes primeurs (de printemps), de fin d’été et d’automne. Ils vendent en circuit court principalement.

Marie et Mickaël sont à la fois au four et au moulin, dans les champs et au fournil, collègues et conjoints. Être paysans boulangers, c’est faire plein de tâches différentes. Ils cultivent 23 hectares en rotation. Le blé est envoyé au tri à Bain-de-Bretagne, ensuite ils récupèrent la farine pour leurs pains qu’ils produisent entre 300 et 400 kg par semaine. L’objectif serait 500 kg pour faire vivre deux personnes et restaurer leur propre moulin.

Le sens de l’organisation

Tout ça, sur papier, ça envoie du rêve, n’est-ce pas ? Le rêve étant devenu réalité. Mais les filles, Marie et Marion, parlent aussi de leurs doutes, de leur fatigue et de la nécessité d’une bonne organisation professionnelle et familiale. Il est nécessaire de séparer les temps et avoir des coupures géographiques et psychologiques. D’ailleurs personne n’habite sur la ferme.

Marion a le souhait d’organiser sa production de légumes aussi en fonction de ses enfants pour passer du temps avec eux. Les filles précisent qu’elles ne veulent pas que le choix de vie des parents soit subi par les enfants. Alors elles testent. Ce sont les toutes premières années. Marie souhaiterait avoir un peu plus de temps pour elle dans la semaine, et aussi pour son couple, et des temps de formation… « pas à pas, on va y arriver ! »

 Il y a également des peurs à lever, comme celle de ne pas pouvoir tout gérer, entre la vie de maman, de femme et d’agricultrice. « Ce sont des superwomen, celles qui arrivent à faire ça » souligne Marion.

En avant pour la fournée
Sous la serre

Le sens du lien

L’un des objectifs de la Ferme des 5 Sens, c’est aussi vivre en lien avec un territoire. Alors la fine équipe organise des réunions publiques dans le but de faire connaître leur activité aux voisins, fêtes champêtres et autres moments de partage. « Je ne pense pas qu’ils nous prennent pour des beatniks », exprime Marion, sourire au coin. Et Marie répond « enfin, certains peut-être une peu ».

Un autre objectif dans la ferme est l’importance de la communication ; celle-ci permet de soulager« surtout dans un collectif » pour pouvoir compter les uns sur les autres. Cela passe par des réunions hebdomadaires pour gérer le quotidien à la ferme mais aussi par la volonté d’interactions humaines de qualité. « On apprend beaucoup plus de soi que des autres dans un collectif » affirment les deux acolytes.

Féminessence

Au moment d’aborder les questions de la place des femmes dans le milieu agricole et de la féminité, les filles me parlent en premier lieu de l’aménagement du travail « pour faire évoluer le métier », et pour développer la prise en compte du corps dans la pratique, par exemple pour prendre soin de son périnée. Ces adaptations ergonomiques peuvent être amenées par les femmes et « font du bien aux hommes aussi », admet Marion. Alors, quand l’une ou l’autre pense manquer de force physique, elles trouvent des combines ou demandent de l’aide à leurs voisins.

C’est lors de sa maternité que Marion s’est questionnée sur la place des femmes en agriculture car il lui fallait trouver des solutions techniques d’aménagement du travail. Aujourd’hui, « les hommes passent plus de temps avec les enfants et le partage des tâches a permis qu’on a pu s’installer et faire ce métier là » témoigne-t-elle.

Marie explique que parfois il faut se forcer à affronter une situation et certaines peurs, comme celle de conduire le tracteur : « c’est froid, c’est du métal » alors que travailler la farine, le blé, c’est plus organique, plus cocooning, ça lui ressemble plus.

Et comme il est important, dans l’esprit de leur collectif, de respecter l’équité entre les sexes, il est nécessaire que les uns et les autres soient interchangeables, dans un même corps de métier, sur les différents postes de travail afin de pouvoir se relayer et être au même degré d’information.

Le rapport à la féminité, « ce n’est pas toujours évident » quand au quotidien on porte des habits vieux et sales. « Faire attention à soi demande plus d’efforts » précise Marion, « faute de temps, il n’est pas toujours facile de trouver un sas de décompression avant de rentrer à la maison ou d’aller chercher mes filles à l’école, parfois j’aimerais leur montrer une autre image de la femme ».

Lors de jours de fatigue, Marie se maquille légèrement les yeux, juste pour elle, pour « l’image que tu te renvois de toi à toi », ou porte des boucles d’oreilles pour aller au marché. D’une voix amusée, elle précise qu’elle a envie « d’être aussi belle que son pain » pour accompagner le produit qu’elle fabrique jusqu’au bout.

Enfin, phénomène curieux mais ordinaire quand des femmes partagent un même lieu : leurs règles, « leurs lunes » comme elles les appellent, se sont calées en même temps. Marie et Marion sont « en phase » et disent pouvoir se comprendre au travail émotionnellement.

Du pis au militantisme

Installée à Iffendic avec son conjoint dans une magnifique longère, tout écologiquement restaurée, Thérèse Fumery est paysanne laitière, en agriculture biologique bien entendu !

J’ai rencontré Thérèse en mai 2016. Calme, robuste et souriante. Elle m’a présentée son lieu de vie, sa ferme et ses vaches, bienheureuses au grand air, broutant l’herbe du pré d’à côté.

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Quand le projet de couple se conjugue avec un projet collectif 

Thérèse est fille d’agriculteur, et pour autant, elle n’est pas venue à l’agriculture de suite. C’est à Rennes, étudiante, qu’elle rencontre son conjoint. Puis elle part travailler dans sa région d’origine en tant que conseillère agricole à la Chambre d’agriculture du Nord (elle avait quand même déjà la fibre, non ?!) alors que son conjoint s’installe en septembre 1983 dans sa ville natale, à Iffendic. Elle l’a très vite rejoint en Bretagne.

Dès le départ, le projet de couple allait de pair avec un projet d’installation agricole, c’était un souhait commun à tous les deux, et Thérèse y avait sa place en tant que femme, comme une évidence.

Et le projet d’installation allait de pair avec… un projet collectif ! Alors ils ont trouvé trois fermes familiales différentes qu’ils ont réunis en GAEC (groupement agricole d’exploitation en commun). Le GAEC est aujourd’hui spécialisé en production laitière. Ici, la ferme Boc-es-Chènes est le siège social. La deuxième ferme se situe à trois kilomètres, et la troisième à 14 kilomètres.

Deux troupeaux de vaches jersiaises sont répartis en fonction des fermes. Ils sont en système herbager depuis vingt ans. Sur les 127 hectares communs, 106 sont destinés à l’herbe de prairie pour que les vaches puissent pâturer tranquillement. Et ils ont un peu de maïs pour nourrir les bêtes, en semences libres et participatives. Ils vendent le lait en circuit long à Tribalat.

Sur leur exploitation, ils n’utilisent plus de pesticides depuis longtemps, leur objectif n’étant pas l’intensification élevée, et ils ont recourt à la médecine alternative à base d’huiles essentielles pour soigner les bêtes. Ils ont reçu la labellisation en agriculture biologique en 2009, ce qui leur permet, désormais, de bénéficier de la reconnaissance extérieure sur leurs pratiques environnementales.

Thérèse explique que chacun est responsable de sa ferme mais qu’il est important de pouvoir se remplacer les uns les autres dans différentes tâches : « on doit tous être capables de se remplacer pour intervenir en cas de besoin ».

Deux métiers : pas les pieds dans le même sabot !

Thérèse combine deux mi-temps : elle est à la fois formatrice agricole au centre de formation agricole du Rheu, et productrice laitière sur la ferme.

Au tout début, Thérèse a dû apprendre beaucoup de choses pour travailler sur la ferme mais elle reconnaît avoir la capacité de prendre du recul, d’aller de l’avant, de se dire que c’est un essai qu’ils avaient envie à l’époque avec son mari… se laissant la possibilité de faire autre chose, la liberté de ne pas se bloquer dans un métier.

Tant que la ferme était petite, elle était formatrice à temps plein au centre de formation agricole (CFPPA) de Montfort-sur-Meu, puis à mi-temps, ce qui lui a permis de s’occuper de la volaille en vente directe à la ferme. Aujourd’hui elle travaille au CFPPA du Rheu, spécialisé en maraîchage et en bio. Elle y rencontre des personnes non issues du milieu agricole, les néo ruraux, et fait confronter leurs rêves à la réalité. C’est tout là le rôle du formateur, « de les faire atterrir » pour que les stagiaires concrétisent un projet professionnel dont l’objectif est d’en vivre. Elle apprécie d’être à la fois en activité et de rencontrer des gens qui démarrent leur activité, ajoutant que les stagiaires apprécient qu’il y ait des formateurs de terrain.

Au Boc-es-Chênes, Thérèse s’occupe de la gestion administrative et de la traite des vaches, « pas les travaux des champs ni les tracteurs. » Son mari, quant à lui, est aux cultures : semence des prairies, fauches pour l’ensilage et l’enrubannage, foins pour les stocks d’hiver ; et à l’affouragement des animaux. Thérèse fait attention à être très bien organisée et efficace pour gagner du temps entre ces deux mi-temps. Le fait de ne pas avoir d’enfant joue beaucoup aussi dans son organisation.

Cependant, tout n’est pas si simple quand on parle de statut ! Comme elle était salariée en dehors de la ferme, elle ne pouvait pas entrer dans le GAEC. Elle a longtemps bénéficié d’aucun statut sur l’exploitation, comme cela arrive souvent pour les femmes, encore aujourd’hui. Cette situation ne lui convenait pas vraiment vis-à-vis de l’extérieur ni pour sa retraite. Depuis peu, elle a fait le « choix par défaut » de se rattacher au « sous statut », dit-elle, de conjoint collaborateur. C’est « mieux que rien » mais elle pointe bien là du doigt le problème de reconnaissance dans sa vie professionnelle d’agricultrice. « Ce sont majoritairement les femmes qui ont des statuts défavorisés, c’est un choix pour payer moins de cotisations sociales mais finalement elles en paient les frais, elles ont une retraite de misère et elles n’ont pas les même droits que leur mari ; l’Etat français n’est pas au clair avec ça et la profession majoritaire – à savoir l’agriculture conventionnelle – ne milite pas pour que les droits avancent. »

Et encore du collectif !

Des réseaux, elle en fait partie ! Mais disons qu’elle et son conjoint semblent être surtout moteurs dans la création de réseau.

Au départ, Thérèse reconnaît qu’ils étaient dans un système très intensif en total contradiction avec leur idée de l’agriculture – à savoir l’agriculture paysanne – qu’ils avaient avant même leur installation. Ils utilisaient un peu de pesticide (d’une marque bien connue…) sur le champ de maïs et trouvaient les animaux ni résistants ni adaptables…

« Quand on expérimente des nouvelles choses ou quand on se pose des questions sur nos pratiques, il n’y a pas beaucoup de gens pour nous épauler et les conseillers agricoles nous décourageaient ». C’est alors qu’ils ont créé un groupe de réflexion et de formation entre collègues, la plupart membres de la Confédération paysanne, qui a abouti à la création d’un groupe d’éleveurs en système herbager, appelé Adage 35 (Agriculture durable par l’autonomie, la gestion et l’environnement). Le but étant de mutualiser les expériences, limiter la prise de risque et, surtout, de renforcer la cohésion et la motivation de groupe. L’Adage a aujourd’hui un peu plus de vingt ans.

Reine de l’organisation, elle a également fait partie d’un groupe de comptabilité au sein de la Cuma de chez elle, ou bien encore elle a animé des ateliers sur la gestion administrative à la Chambre d’agriculture.

Thérèse a toujours milité pour la paysannerie. C’est une évidence pour elle que le métier de paysan se fait en groupe : « c’est valorisant pour la dynamique de territoire et cela permet des discussions sur les politiques agricoles ».

Son mari lui dit souvent « Ah, ça y est, tu as encore une idée… » Au moment de l’entretien, elle avait l’envie de créer une coopérative qui aiderait les jeunes non issus du milieu agricole à s’installer en complétant leur formation par des stages dans des fermes encadrés par des paysans en Bretagne, à l’instar de ce qui se fait en Loire-Atlantique.

Accueil paysan, refuge LPO, soutien à la ZAD de Notre-Dame-des-Landes… les convictions et les mises en pratique sont bien réelles et multiples. « La militance lui vient de réflexions bien personnelles et non familiales », explique-t-elle. Et dans ce tourbillon d’idées d’un monde meilleur, le lieu respire la tranquillité et l’humilité…

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Une blonde, une ronde, une gorgée : voici la Drao !

La bière dans l’âme, Rozenn Mell est paysanne brasseuse à Melesse où elle produit une bière artisanale, locale et bio, la Drao, depuis 2013.

J’ai rencontré Rozenn en mars 2017. Encore une fois la simplicité et l’authenticité des échanges étaient au rendez-vous. Passionnée et terre-à-terre à la fois, Rozenn m’a accueillie à la brasserie plusieurs fois entre mars et octobre 2017.

De l’agro à la bio : de l’or-ge dans les mains

Originaire du Finistère, Rozenn est venue à Rennes suivre des études en agroalimentaire de 2002 à 2007. Elle y découvre l’art du brassage de la bière au sein de l’association étudiante « La ruée vers l’orge ».

En parallèle, elle réalise des petits boulots d’été chez des maraîchers bio en vente directe qui lui transmettent les notions de circuits courts, de l’éthique, du contact humain et de la relation « de la terre à l’assiette ».

Et quand elle rentre dans sa famille, elle va voir ses cousins et donne des coups de main à son oncle, producteur de cidre.

Après deux ans dans un bureau d’études en environnement travaillant pour les industries agroalimentaires, Rozenn n’y trouve pas son compte « éthiquement parlant » et décide de quitter son poste. Pendant ce temps de réflexion, elle continue à brasser la bière avec son compagnon. C’est alors qu’elle part faire des stages chez des maraîchers et s’inscrit ensuite à la formation en agriculture biologique du Rheu. Le déclic arrive quand on lui parle d’un paysan brasseur installé dans le Morbihan. Rozenn s’immerge alors dans le milieu et va à la rencontre des différentes brasseries bretonnes.

Pour s’installer en tant que paysanne brasseuse, il faut des terres pour cultiver l’orge. Rozenn répond en 2011 à un appel à candidat à Montreuil le Gast, et bingo, elle peut travailler sur une terre déjà certifiée bio de 10 hectares. En 2012, elle trouve le bâtiment qui fera office de ferme brasserie à Melesse. Le temps de réaliser les démarches d’installation, elle démarre réellement son activité en janvier 2013. En mai de la même année, elle célèbre son premier brassin. Aujourd’hui, elle est passée de 10 à 20 hectares, non pour courir à l’agrandissement mais pour créer un poste.

Let’s dance

Drao vient du gallo, la langue du coin, et signifie danse, ronde, fête… tout ce qui va bien avec l’image festive de la bière. Blues, polka, flamenco… les noms des bières se déclinent au rythme des pas de danse et des saisons pour les séries limitées. La blonde vous emporte sur du boogie woogie, l’ambrée sur du funky groovy. La communication colorée est assurée par un infographiste d’Hédée.

Rozenn élabore elle-même les recettes, jouant sur les variétés et les quantités. Pour cela, elle se rend dans ses champs d’orge une fois par semaine pour vérifier les terres, voir les besoins en désherbage, semer au printemps ou à l’automne, récolter en été. La partie brasserie est la plus conséquente : production de 1000 litres par semaine, conditionnement en bouteilles ou en fût, brassage, livraison…

Son objectif étant de fabriquer un produit et de le vendre sur le territoire à des personnes de confiance, Rozenn privilégie la vente directe en ouvrant la ferme brasserie le vendredi après-midi et en livrant à un maximum de 30 kilomètres de chez elle. « L’achat n’est pas un acte anodin, c’est soutenir une entreprise locale, conforter des emplois, mettre du sens » explique-t-elle à ses clients. Le bouche-à-oreille s’est chargé du reste.

Un rythme de croisière à trouver quand on est une femme

Aujourd’hui, le challenge est de trouver un rythme de travail confortable pour elle et son employée, mais aussi au niveau familial. Les deux s’imbriquent car il s’agit bien pour elle d’un projet de vie. Léger bémol qui n’altère rien à son enthousiasme : le brassage de la bière est et reste un travail, elle a donc posé des limites horaire dès le départ.

Au début de son activité, elle traversait un stress quotidien car elle avait tout à créer, avec les emprunts à rembourser dans un coin de sa tête. Aujourd’hui, elle est plus sereine, elle a trouvé son rythme et elle produit des quantités suffisantes. « Il faut beaucoup d’énergie au départ pour tenir mais ça a été car j’aime ce que je fais ».

Par ailleurs, Rozenn est très vigilante quant à l’aspect très physique de ce travail qui nécessite énormément de manutentions. « Il faut être en forme » mais ce n’est pas une raison pour s’user la santé ; elle est alors à l’écoute des besoins de son employée et des siens pour mettre en place des outils nécessaires et soulager le corps.

Du réseau et des soutiens

Rozenn se rend fréquemment à la CUMA (Coopérative d’utilisation du matériel agricole) du coin. L’enjeu a été de comprendre le jargon et la langue locale mais surtout de se faire accepter… Ses terres étaient convoitées par des voisins qui regardaient d’un mauvais œil son installation : une femme qui fabrique de la bière en agriculture biologique, ça n’a aucun sens… Il lui a fallu beaucoup dialoguer avec eux pour que, désormais, elle soit plus sûre d’elle et ait moins d’appréhension. Si bien qu’elle a pu déléguer la conduite des engins sur son champ.

Le propriétaire du bâtiment de la brasserie, James, est agriculteur conventionnel. Il lui a permis de se faire intégrer plus facilement et de bénéficier de son soutien sur place dans le milieu conventionnel : « ça fait du bien car c’est comme si j’avais pris leur terre ».

Le rôle de l’entourage est très important pour elle. Elle remercie son conjoint pour toute l’aide qu’il a pu lui apporter, surtout la première année, en l’assistant dans les travaux ou aujourd’hui en l’appuyant dans des prises de décisions ou à résoudre des questionnements.

Il y a aussi les collègues en AB avec qui elle fait des échanges, comme « du fumier contre de la paille ».

Adhérente dans différentes structures de soutien à l’agriculture biologique et paysanne, elle a parfois l’impression de plus consommer de l’information que d’être vraiment impliquée. Tout cela n’est pas évident à mettre en place quand il y a la vie de famille d’un côté et un rythme de travail à tenir.

 


Pour en savoir + sur elle :

Son site Internet Ferme Brasserie Drao et page Facebook

Des légumes, le grand air et la femme sauvage.

Sarah le Goff est maraîchère depuis 2010 à Iffendic, près de la mythique et mystique forêt de Brocéliande. Aujourd’hui elle a 40 ans, assume les coups durs météo ou techniques de son métier et, surtout, s’épanouie au contact de la nature.

J’ai rencontré Sarah en mai 2016. Autour d’un thé aux épices, porte et fenêtres de sa maison grandes ouvertes, un chien qui vagabonde, des chevaux bien heureux, des terres surplombant la campagne alentour, Sarah s’est confiée sur son parcours, son travail de maraichage, sa vie de femme tout simplement.

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Un parcours de soignante : de l’infirmerie à l’alimentation

Dans sa vie d’avant, Sarah était infirmière. Puis, peu à peu, elle n’a plus été en accord avec la surmédicalisation et l’alimentation dans les centres de soin, les hôpitaux, les maisons de retraite, etc. Végétarienne depuis longtemps, elle s’est alors rapprochée du soin par les plantes en suivant une formation en herboristerie. La législation française était trop compliquée dans ce domaine ; pourtant elle souhaitait réellement et concrètement mettre les plantes et la santé au cœur de son activité professionnelle. C’est alors qu’elle s’est orientée vers le maraichage. Et la voilà suivre pendant deux ans la formation agricole au Rheu.

Le diplôme en poche, la recherche du foncier pour s’installer a été un peu longue… mais elle a finalement trouvé une ferme et des terres à Iffendic où aujourd’hui elle vit et travaille.

Quand la réalité du métier…

Installée seule, des galères, elle en a connu pendant cinq ans : soucis techniques, dégâts météo, coups durs… Heureusement, les amis lui ont donnés des coups de main. D’ailleurs, elle n’envisage pas de « travailler seule toute sa vie car c’est un métier physique et dur », et ce, pour ne pas s’user la santé.

Fort heureusement pour elle, avant son installation, les terres étaient des prairies ; Sarah a pu en tirer parti pour la labellisation directe en agriculture biologique.

En location, elle bénéficie de deux hectares de terrain autour de la maison où elle habite, 800 m2 de tunnels pour y cultiver les légumes, un verger et deux beaux et fringants chevaux. Elle produit une cinquantaine de légumes à l’année, du jus de pommes issus du verger, sans oublier les plantes aromatiques, le tout vendu en vente directe. Elle distribue les trois-quarts de sa production en Amap et se rend aux marchés hebdomadaires d’Iffendic et de Paimpont. Elle écoule le reste de sa production de légumes à quelques restaurants rennais à la saison, et ponctuellement à un groupement de producteurs. De temps en temps, elle répond à des commandes pour de l’évènementiel. Et, enfin, elle prépare des colis vendus directement à la ferme.

Dans sa pratique professionnelle, Sarah est beaucoup plus organisée qu’au départ, elle anticipe beaucoup plus, elle appelle cela « l’organisation par l’expérience ». Il y a d’un côté les contraintes à gérer : la solitude, la météo et le vent (la ferme est sur une butte), la fatigue. Mais surtout il y a cette liberté d’être son propre patron, de travailler seule, même en tant que femme, sans compte à rendre, de prendre des décisions par soi-même.

… se conjugue avec l’art de vivre…

Être dehors en contact avec la nature, être en lien avec le rythme des cycles naturels : voilà son plus grand plaisir.

Quand elle arrive à se prendre des temps libres, Sarah en profite pour s’adonner à ses passions que sont la photo, le dessin, la musique, le cheval. Un brin artiste, n’est-ce pas ? Durant ces moments de « off », elle veut vraiment faire autre chose que l’agriculture, puisqu’elle y passe 10 heures par jour… ces temps libres peuvent être difficiles à prévoir lors de la haute saison.

… et le militantisme.

Secrète sur ses origines, après avoir vadrouillé à droite à gauche, entre autres dans les Cévennes, Sarah s’est établie en Bretagne, région qu’elle affectionne énormément pour ses paysages et ses habitants, mais région dont elle ne comprend pas du tout le modèle agricole.

Impliquée au niveau du collectif départemental, Sarah milite à la Confédération Paysanne pour l’accès au foncier principalement et aussi pour y rencontrer des collègues paysans. Elle regrette que le maraichage n’y soit pas beaucoup représenté, « ni les femmes à ce propos ». Pour elle, il est très important de défendre l’agriculture paysanne. D’ailleurs, Sarah se définit « paysanne » et non « agricultrice » comme le veut la législation en vigueur.

En parallèle, elle fait partie d’Agrobio35, organisation de soutien à l’agriculture biologique en Bretagne pour bénéficier de leurs formations, quand elle peut, car elles sont souvent proposées au moment de la pleine saison de maraichage.

Quant à ses voisins agriculteurs, elle les respecte même s’ils ont une vision totalement opposée de l’agriculture. Toutefois, elle ne partage aucun lien avec eux et remarque une pratique de l’agriculture très individuelle. « Il y a plus de lien entre les petits qu’entre les gros, qui sont tous à courir pour avoir le plus de terres » note-t-elle. Pour témoigner de la solidarité présente chez les « petits », Sarah me parle de collègues et de copains maraichers qui lui prêtent du matériel de temps en temps ou qui lui donnent des coups de main. Et de, pourquoi pas, réaliser des journées d’échange…

Et la vie de femme dans tout ça !

La solitude lui est pesante à l’heure de vouloir fonder une famille mais sa facette artiste l’a amenée à organiser des spectacles à domicile avec un ami clown « pour faire bouger la campagne ».

Superwoman, elle en a des airs… à l’instar de nombreuses autres femmes qui croient et qui se démènent dans leur activité. Souvent, on lui dit qu’elle et forte et courageuse, et elle le sait, pourtant elle sait aussi qu’il faut gérer et surmonter la fatigue, et cela est loin d’être évident !

Elle aime apporter une touche féminine quand elle fait les marchés, par exemple, elle s’habille « comme une femme » portant alors boucles d’oreille et maquillage, « ça lui fait plaisir » et la change du quotidien.